“When
I began the Ponzi scheme, I believed it would end shortly and I would be able to
extricate myself and my clients.” (Bernard Madoff ).
On s'interroge sur la psychologie de Bernard Madoff. Certains
disent que c'est un
psychopathe et ils le comparent à un tueur en série.
La citation ci-dessus donne du personnage une autre idée, que
je crois
plus véridique : c'est un faible qui, s'étant piégé lui-même, ne pouvait rien
faire d'autre que d'attendre le jour où tout s'écroulerait. Pour surmonter une
difficulté passagère il a amorcé une pyramide de Ponzi,
puis il a été incapable de s'en sortir : "finding
an exit proved difficult, and ultimately impossible."
C'est là un schéma familier. Rappelons nous l'époque
(1993-1997) où Jean-Marie Descarpentries, entouré de l'équipe où brillait
Thierry Breton, se faisait fort de redresser Bull. Il améliora le résultat
comptable en comprimant la R&D : ainsi l'entreprise retrouva une apparence de la
santé mais en hypothéquant le futur, comme l'a montré son évolution ultérieure.
C'est qu'il existe plusieurs sortes de pyramide de Ponzi, où l'on paie avec le
montant de nouveaux emprunts les intérêts sur les emprunts passés.
* *
José Luis Duran a lancé
Carrefour dans une stratégie de baisse des prix (dont le corollaire, que l'on
n'énonce jamais, est la baisse de la qualité). Cette stratégie n'a pas réussi.
"Il faut un changement de paradigme ! ", proclame Lars Olofsson, nouveau
DG qui vient de succéder à Duran.
Et que décide-t-il alors ? De baisser plus encore les prix, de mettre
davantage en rayon de produits estampillés Carrefour qui sont moins chers (et aussi
moins bons, faites-en l'essai) que les produits de marque. Ainsi Carrefour,
engagé dans une impasse, ne voit pas d'autre issue que la fuite en avant.
Au passage Olofsson remarque que l'entreprise est incapable
d'exploiter les données qu'elle collecte sur les achats de douze millions de
clients détenteurs d'une carte de fidélité : le désarroi
stratégique s'accompagne toujours d'une déficience du système d'information...
.
* *
Jack Welch s'est forgé à General Electric la réputation de "Manager of the Century" en menant une
stratégie qui a rapporté gros dans un premier temps, mais qui a orienté
l'entreprise vers des récifs qui risquent maintenant de la couler.
Alors que GE avait placé les consommateurs et les salariés
fidèles au coeur de ses préoccupations, Welch l'a convertie à la satisfaction
prioritaire de l'actionnaire et au primat du résultat trimestriel, et il a rogné
les dépenses "superflues" de R&D
.
Il a par ailleurs lancé GE Capital (GEC), structure financière
dont la part dans le chiffre d'affaires est passée en vingt ans de 10 à 35 %.
Aujourd'hui, GEC "plombe" GE par des pertes que l'entreprise évalue à 4
milliards de dollars, tandis que des experts indépendants les situent entre 21
et 54 milliards.
Ils doivent être bien contents, aujourd'hui, les actionnaires
pour lesquels Welch ambitionnait de "créer de la valeur" ! Le cours de l'action
est passé de 50 $ en juillet 200 à 10 $ aujourd'hui. Il est vrai que GE
n'est pas la seule entreprise qui subisse ce sort-là : prendre pour boussole le
cours de l'action les a toutes conduites dans le fossé, leurs
chers actionnaires avec elles.
* *
A.I.G. est le plus grand assureur du monde. Il emploie 130 000
personnes.
Une petite équipe de 400 personnes, la Financial Product
Division située dans le Connecticut et à Londres et dirigée par Joseph
Cassano, s'est
spécialisée dans les "credit default swaps" (CDS), produit financier que
l'on peut interpréter comme une assurance souscrite par un créancier : moyennant
le paiement d'une prime mensuelle, l'assureur paiera le montant de la dette en
cas de défaut de l'emprunteur. Mais, contrairement à une véritable assurance, il
n'est pas obligatoire de constituer des réserves pour se prémunir contre le
risque.
C'est périlleux mais ça rapporte beaucoup... tant que les
faillites ne sont pas trop nombreuses. En outre les CDS sont devenus, dans les
dernières et folles années, des produits spéculatifs : on pouvait, sans détenir
aucune créance, parier sur la mort d'une entreprise. On estime que 80 % des 62
000 milliards de dollars de CDS étaient spéculatifs
.
Et les 485 milliards de dollars de CDS souscrits par cette
petite division ont fait tomber A.I.G. dans un puits sans fond. Pour la sauver,
le gouvernement américain a dû lui donner 180 milliards de dollars à ce jour -
et ce n'est pas fini .
* *
Les entreprises américaines ne sont pas les seules qui se
soient plantées en faisant de la finance. Rappelons-nous le Crédit Lyonnais,
dont la politique était de prêter à tout le monde, sans se soucier du risque
(voir Cinq ans au Crédit Lyonnais)
; et France Telecom, où Jean-Louis Vinciguerra était considéré comme un "Mozart
de la Finance" (voir "Grandeurs et misères
de France Telecom"), où Michel Bon passait pour un entrepreneur de génie
(voir France Telecom : sortir du gouffre) - jusqu'à la
catastrophe exclusivement, dont elle ne s'est toujours pas remise.
* *
Madoff n'est pas le seul qui ait bâti une pyramide de Ponzi. Ce mécanisme conduit fatalement à l'échec, mais il en est de même des
stratégies qui, pour présenter un résultat séduisant à court terme, détruisent
le futur de l'entreprise - par exemple en supprimant la R&D.
Ceux qui ont exigé des entreprises un rendement de 15 % les
ont poussées à liquider des actifs, à supprimer la R&D (on retrouve toujours
cette mesure désastreuse, très significative) : c'était encore une pyramide de
Ponzi.
Lorsque Nicolas Sarkozy dénigre la recherche et se moque
grossièrement des chercheurs, il bâtit lui aussi sa pyramide de Ponzi en
flattant la part la moins intelligente de la population et en obérant le futur
de notre économie.
* *
Comme ils étaient arrogants, comme ils étaient sûrs d'eux, nos
Madoffs, lorsqu'ils affirmaient que le seul but de l'entreprise est de "créer
de la valeur pour l'actionnaire" !
Ils le sont un peu moins maintenant, mais ils n'ont pas perdu
le moral : on les écoute, on les respecte encore. Quand Cassano a quitté A.I.G.
en mars 2008, il a reçu 315 millions de dollars. Depuis 2006, Welch enseigne le leadership au MIT . Bon a
présidé le
jury du prix Turgot 2008 qui récompense le meilleur livre
d'économie de l'année. Descarpentries préside la Fondation Nationale pour
l'Enseignement de la Gestion (FNEGE).
Madoff, lui, ne pourra cependant dispenser ses cours de gestion
qu'aux autres prisonniers...
____________
Diana B. Henriques et Jack Healy dans "Madoff Goes to Jail After Guilty Pleas", The
New York Times, 12 mars 2009
Rachel Sanderson, "Days of Reckoning",
breakingviews.com, 12 mars 2009.
Sylvain Cypel, "Le scepticisme sur la santé financière de
General Electric grandit", Le Monde, 14 mars 2009.
"Following the A.I.G. Money", Éditorial du New York Times, 14 mars
2009.
Robert Dowling, "Analysis: The AIG Fiasco", Caijing, 17 mars 2009.
C'est Jack Welch qui a lancé, lors d'un discours à l'hôtel Pierre de New
York en 1981, la mode de la "shareholder value". La crise actuelle
l'a incité à changer radicalement d'avis : "Shareholder
value is the dumbest idea in the world. Shareholder value is a result, not a
strategy... your main constituencies are your employees, your customers and
your products.”
(Francesco Guerrera,
"Welch rues short-term profit ‘obsession’",
Financial Times,
12 mars 2009). |