|
Commentaire sur :
Jean-Louis
Vinciguerra, "Grandeurs et misères de France Télécom, Le
Monde, 1er
octobre 2002
30 septembre 2002
|
|
Cet
article ingénieux fait porter l'essentiel de la responsabilité de la crise de
France Telecom aux équipementiers. Ils auraient fait miroiter devant les
opérateurs les perspectives séduisantes de l'UMTS, système de téléphonie
mobile à haut débit promis pour 2001, et qui
devait disaient-ils constituer une opération aussi profitable que le GSM. Une "bulle UMTS" s'est ainsi
enflée sur la bulle
Internet. Elle a poussé les États à vendre les licences aux enchères, les opérateurs
a acheter les licences très cher et aussi à acheter au
prix fort d'autres opérateurs pour élargir la surface d'exploitation du service.
Mais
les équipementiers sont en retard : l'UMTS est aujourd'hui annoncé pour
2004. Endettés par l'acquisition des licences et par l'achat d'autres opérateurs, dans
l'incapacité de déployer l'UMTS, les opérateurs sont devenus
fragiles ; la baisse du cours des actions par reflux de la bulle Internet a
encore accru leur fragilité - tout particulièrement celle de France
Telecom qui n'avait pas pu payer ses achats en actions (au passage, Vinciguerra mentionne l'engagement
de racheter les actions de France Telecom à Vodafone au cours de 100 euros,
opération peu avantageuse quand l'action est cotée à moins de 10 euros).
A
aucun moment Vinciguerra ne parle de l'aspect marketing de l'UMTS. Or s'il est
normal que des équipementiers fassent miroiter un produit et ses possibilités,
le marketing du service relève de la responsabilité des opérateurs :
et l'on n'a jamais vu de démonstration convaincante du potentiel commercial de
l'UMTS, qui ne pourra se réaliser pleinement que lorsque le téléphone
portable et l'ordinateur auront fusionné, vers 2010 sans
doute.
Il reste à expliquer pourquoi
France Telecom s'est laissé convaincre alors que d'autres restaient
sceptiques. Dès le 10 mai 2000, Martin Bouygues publiait dans "Le
Monde" un article intitulé "Mortelles enchères dans le téléphone"
pour montrer le piège du doigt. La date limite de dépôt des dossiers de candidature
était le 1er février 2001 : le 24 janvier Suez-Lyonnaise décida de ne pas
acheter de licence, Bouygues Télécom fit de même le 30 janvier. Laurent
Fabius sera en octobre 2001 contraint de remettre à plat la procédure
d'attribution des licences : au lieu de demander 4,6 milliards d'euros, le
Trésor se contentera de 619 millions plus un pourcentage du chiffre
d'affaires futur. France Telecom en bénéficiera en France, mais il aura acheté
les licences au prix fort en Allemagne (8,4 milliards d'euros) et
Grande-Bretagne (6,2 milliards d'euros).
Cette
immobilisation reste pour le moment improductive : c'est de l'argent
qui dort. En outre la mise en exploitation des équipements UMTS, lorsqu'ils seront
enfin disponibles, sera coûteuse en investissement alors que le marketing des services
n'est toujours pas probant. Il se peut que la décision la plus sage soit
de ne pas lancer l'UMTS (Bouygues Télécom se prépare à acheter une
licence en France, mais il déploiera sans doute le service très lentement) : cela obligera à passer en pertes le coût
d'acquisition des licences, actuellement inscrit à l'actif de l'entreprise, et
ce sera un coup dur pour des équipementiers déjà en mauvaise posture.
Vinciguerra n'évoque pas ce risque, trop énorme sans doute pour qu'il en parle
mais que l'on ne peut exclure.
Vinciguerra dit que France
Telecom produit du cash-flow. C'est vrai. France Telecom prévoit de produire 7,2
milliards d'euros de cash-flow en 2002, le double de ses frais financiers ;
il devrait pouvoir produire de l'ordre de 14 milliards en 2003, et plus encore dans les années suivantes
: les investissements passés porteront leurs fruits et des
économies longtemps refusées par Michel Bon sont possibles sur les coûts d'exploitation. Mais la question n'est
pas là. France Telecom s'est mis dans le piège financier où il se trouve aujourd'hui
bloqué, c'est cela qu'il faut expliquer, c'est cela qu'il fallait
éviter.
- Vinciguerra
ne parle pas non plus :
- -
des possibilités de croissance intensive des services sur le réseau,
possibilités qui ont été abandonnées au profit de la croissance extensive
(cf. France Telecom, sortir du gouffre) ;
- -
de la rupture avec Deutsche Telekom en mai 1999 et de ses conséquences
stratégiques.
Il
paraît normal à Vinciguerra de demander le soutien de l'État "à
qui France Telecom a versé 35 milliards d'euros en impôts, dividendes et produits de
cession en Bourse sur la période 1994-2001" (estimation intéressante !).
On ne peut pas lui donner tort : il est vrai que l'État n'a jamais mis un sou
dans France Telecom qui a dû autofinancer sa croissance ou emprunter pour
investir. Mais on se demande comment fera l'État
dans le contexte de restrictions budgétaires actuel - à moins qu'il ne passe
par la Caisse des Dépôts, procédé purement comptable qui rappellera
fâcheusement les manipulations d'Enron.
Vinciguerra
reconnaît
deux échecs, NTL et Mobilcom. Il souligne au passage que ces opérations ont été
"proposées par les branches opérationnelles et approuvées à l'unanimité
par le comité exécutif" : c'est certainement vrai, mais ses collègues ne vont pas apprécier
de partager le port du chapeau - d'ailleurs l'un des problèmes était
que personne n'osait au comité exécutif voter contre les décisions du
président.
A
la fin de l'article se trouve le couplet classique
par lequel, en France, on célèbre chaque catastrophe : Vinciguerra est "fier de son action et de celle de
Michel Bon". L'histoire jugera, dit-il. Nous sommes d'accord avec lui sur ce
point.
|
|
|