Thierry Breton, nouveau président
de France Telecom, a présenté un plan de redressement baptisé « Ambition
FT 2005 ». Les patrons défendent à Bruxelles un plan de sauvetage du
secteur fondé sur le haut débit. Le gouvernement annonce une aide financière
à France Telecom, puis à plus long terme sa privatisation.
La crise du secteur avait été
prévue par des experts qui n’ont pas été écoutés. Les « marchés »
(i.e. la Bourse) avaient anticipé une croissance exponentielle illimitée dans
le temps, hypothèse intenable (voir « Conjoncture
des NTIC »). Lorsque cette croissance s’est infléchie, les
anticipations ont été révisées, d’où baisse des cours, constat de suréquipement,
freinage global du secteur : première malédiction.
Le secteur avait adhéré à
une deuxième hypothèse : seuls, disait-on, les plus gros pourraient
survivre. Il fallait grossir .
Cela pouvait se faire soit par la montée des réseaux vers la « valeur
ajoutée » notamment sur l’Internet (croissance intensive), soit par
l’élargissement du territoire couvert (croissance extensive). La deuxième
solution, intellectuellement reposante, a été généralement préférée. Elle
a poussé les gros opérateurs nationaux à s’endetter pour acheter d’autres
opérateurs. Lorsque les cours ont baissé, ces actifs se sont dévalorisés et
ces gros opérateurs ont été mis techniquement en faillite (voir
« France Telecom : sortir du gouffre ») :
deuxième malédiction.
Que se passera-t-il lorsque
France Telecom aura été privatisé ? l’État ne dominera plus le
conseil d’administration : tant mieux, car les fonctionnaires du Trésor
ne sont pas des entrepreneurs. Mais s’ils sont remplacés par les fonds de
pension, ce ne sera pas mieux ; si France Telecom devient une vache à
dividendes et à plus-values, qui se souciera de faire bénéficier les
utilisateurs, ménages et entreprises, d’un service d’un bon rapport qualité
/ prix ? la privatisation ne règle pas cette question de stratégie économique
dont l’enjeu est la compétitivité de l’économie et le bien-être de la
population.
Cette question n’est pas évoquée
par « Ambition FT 2005 ». La priorité absolue pour Thierry Breton,
cela se comprend, c’est de sortir France Telecom de la faillite. Il faut pour
la désendetter dégager le plus possible de cash-flow net. Il va donc réaliser
les économies que Michel Bon avait refusées avec persévérance ; freiner
à fond les investissements ; liquider les filiales non rentables. Il
sauvera ainsi France Telecom, mais non le service de télécommunications rendu
aux utilisateurs.
La proposition des patrons
correspond au bon sens. Oui, il faut accroître le débit du réseau de
distribution (« derniers kilomètres » entre les équipements
d’abonné et le premier commutateur) car c’est un goulet d’étranglement
pour les réseaux des entreprises comme pour les services aux ménages. Oui, il
faut réviser les règles de l’UMTS : il serait normal de faire
rembourser par les États les sommes extravagantes que les opérateurs ont eu le
tort de payer pour des licences inutilisables en raison du manque d’équipements
au point.
Les utilisateurs ont besoin
d’un réseau de qualité à un prix raisonnable ; ils ont besoin de bénéficier
d’une offre à l’état de l’art. Mais France Telecom n’est plus, à
cause de ses difficultés financières, en mesure d’être le pilote des télécommunications
françaises que fut naguère la DGT. C'est aussi à cause de la déréglementation
: si celle-ci a eu pour effet (positif) de secouer le sommeil du monopole et de
susciter des baisses de prix, elle a eu aussi pour effet (pervers) de rompre la
cohérence entre recherche, industrie et réseau qui caractérisait la France,
de susciter la redondance des équipements, de mettre en péril la compatibilité
des protocoles et des matériels : bilan ambigu et probablement négatif.
Qui va défendre les besoins
des utilisateurs ? pas l’ART, dont la priorité est le respect des règles
de concurrence ; pas France Telecom ; pas les équipementiers, qui ne
sont pas décideurs puisqu’ils ne peuvent se passer commande à eux-mêmes. Ce
ne sera pas non plus l’État si son seul projet est la privatisation.
Il ne resterait qu’un recours :
que les citoyens, ménages et entrepreneurs, expriment leurs besoins de sorte
que le politique soit contraint de s’en préoccuper. La voie directe de
l’expertise des chercheurs et de la qualité du service public ayant été
coupée, ne reste que la voie longue de la prise de conscience collective et du
montage institutionnel. A court et moyen terme, le pessimisme s’imposerait. A
long terme, il faudra bien que ce problème soit résolu ; si ce
n’est au niveau de la France, ce serait à celui de l’Europe (voir « Marketing
des NTIC : prospective »). Notre pays, autrefois exemplaire, se
serait mis à la remorque.
S’il faut être optimiste, rêvons.
Notre gouvernement est conscient de l’importance des besoins. Il lance un
appel d’offre européen pour équiper le territoire d’un réseau à haut débit.
Il relance la recherche pour diversifier les services sur l’Internet et sur
les réseaux numériques. Cette recherche comporte un important volet d’études
en marketing, système d’information et ingénierie d’affaires. Il réactive
ainsi le potentiel de notre pays et de l’Europe dans les NTIC.
Pour une telle reconstruction,
il faudrait un Sully.
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