Quelqu’un vous dit qu’il faut être énergique, viril, qu'il
faut aimer la violence : si vous observez son action, vous découvrirez
que cette invocation masque une faiblesse. Une personne vraiment forte
n'a pas besoin de parler de la force.
Une
sagesse élémentaire enseigne qu'il faut fonder son opinion non sur ce
qui disent les gens, mais sur ce qu’ils font. Le créateur du
centre de détention de Guantánamo,
ce haut lieu du totalitarisme, se pose en héraut de la Loi et de la Liberté dans
le monde, en défenseur des « valeurs ». Ceux qui le croient sur parole sont-ils des inconscients, des naïfs ou
des hypocrites ?
Rayez les mentions inutiles...
Ecoutez Lord Steyn, juge à la plus haute cour de justice
britannique : « As a lawyer brought up to admire the ideals of American
democracy and justice, I would have to say that I regard this (Guantanamo) as a
monstrous failure of justice ».
Ruth Wedgwood
lui a répondu qu'il valait mieux défendre les droits de l'homme contre le
terrorisme plutôt que les droits des terroristes. Certes ! mais elle oublie que
si l'on doit combattre l'ennemi sans faiblesse, la personne de l'ennemi devient
sacrée - fût-il un terroriste - dès qu'il est désarmé et qu'on le tient
prisonnier.
Le
Mal
règne à Guantánamo comme partout où l’on maltraite des personnes sans défense.
Sa ruse suprême, mais cousue de fil blanc et quelque peu usée, c’est de se
cacher derrière des prières, des proclamations de foi religieuse, l'invocation
des « valeurs ». Les
dessinateurs des vitraux et des fresques de nos églises médiévales le savaient
bien, qui ont représenté des papes dans le feu de l’enfer.
Dire
cela, ce n’est pas « diaboliser » l’Amérique, quoi qu’en dise Patrick Jarreau,
car on ne doit pas imputer à un pays entier les fautes de son président. C’est
voir le diable là où il se démasque : dans ses œuvres.
* *
Un lecteur m'a
fait observer que j'avais fait un contresens sur le mot
« nominalisme » dans le titre de cette fiche.
J'avais voulu désigner ainsi l'attitude de ceux qui,
pensant que la réalité réside dans les mots, ont tendance à croire ce que dit
une personne alors qu'il serait plus sûr d'observer ce qu'elle fait.
En fait, le sens
des deux mots
« nominalisme » et « réalisme », qui désignent des doctrines contraires l'une a
l'autre, a permuté de telle sorte qu'ils se sont remplacés mutuellement, formant
une configuration opposée à la configuration initiale. Selon la philosophie
scolastique, et aussi chez Condillac, le « nominalisme » est le système selon
lequel les espèces, genres, entités etc. ne seraient pas des êtres réels, mais
seulement des êtres de raison - alors que le « réalisme » considère les idées
abstraites comme des êtres réels.
Plus récemment, on
a nommé « réalisme »
la doctrine qui suppose que nous expérimentons le monde extérieur comme une
réalité objective. Dès lors le sens de « nominalisme » se modifie aussi tout en
continuant à s'opposer à « réalisme », pour nommer la doctrine qui suppose que
la réalité réside dans les mots ou dans les idées que les mots désignent. Il
peut s'appliquer à l'idéalisme de Berkeley, ou encore à la « sagesse » que
prétend exprimer la phrase « seul l'imaginaire est réel », si chère aux hommes
des médias et de la publicité.
J'accorde à ce
lecteur que je n'aurais pas dû utiliser un mot qui, comme beaucoup d'autres, a
pris un sens contraire à son sens d'origine - selon cette transformation qui,
tout en conservant une ressemblance, oppose un sceau à son empreinte dans
l'argile.
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