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Dangers du nominalisme
1er décembre 2004

Liens utiles

- A la découverte du Mal
- Deux livres, une émission

Quelqu’un vous dit qu’il faut être énergique, viril, qu'il faut aimer la violence : si vous observez son action, vous découvrirez que cette invocation masque une faiblesse. Une personne vraiment forte n'a pas besoin de parler de la force.

Une sagesse élémentaire enseigne qu'il faut fonder son opinion non sur ce qui disent les gens, mais sur ce qu’ils font. Le créateur du centre de détention de Guantánamo[1], ce haut lieu du totalitarisme, se pose en héraut de la Loi et de la Liberté dans le monde, en défenseur des « valeurs ». Ceux qui le croient sur parole sont-ils des inconscients, des naïfs ou des hypocrites ? Rayez les mentions inutiles...

Ecoutez Lord Steyn, juge à la plus haute cour de justice britannique : « As a lawyer brought up to admire the ideals of American democracy and justice, I would have to say that I regard this (Guantanamo) as a monstrous failure of justice[2] ». Ruth Wedgwood lui a répondu qu'il valait mieux défendre les droits de l'homme contre le terrorisme plutôt que les droits des terroristes. Certes ! mais elle oublie que si l'on doit combattre l'ennemi sans faiblesse, la personne de l'ennemi devient sacrée - fût-il un terroriste - dès qu'il est désarmé et qu'on le tient prisonnier.

Le Mal règne à Guantánamo comme partout où l’on maltraite des personnes sans défense. Sa ruse suprême, mais cousue de fil blanc et quelque peu usée, c’est de se cacher derrière des prières, des proclamations de foi religieuse, l'invocation des « valeurs ». Les dessinateurs des vitraux et des fresques de nos églises médiévales le savaient bien, qui ont représenté des papes dans le feu de l’enfer.

Dire cela, ce n’est pas « diaboliser » l’Amérique, quoi qu’en dise Patrick Jarreau[3], car on ne doit pas imputer à un pays entier les fautes de son président. C’est voir le diable là où il se démasque : dans ses œuvres.

*  *

Un lecteur m'a fait observer que j'avais fait un contresens sur le mot « nominalisme » dans le titre de cette fiche. J'avais voulu désigner ainsi l'attitude de ceux qui, pensant que la réalité réside dans les mots, ont tendance à croire ce que dit une personne alors qu'il serait plus sûr d'observer ce qu'elle fait.

En fait, le sens des deux mots « nominalisme » et « réalisme », qui désignent des doctrines contraires l'une a l'autre, a permuté de telle sorte qu'ils se sont remplacés mutuellement, formant une configuration opposée à la configuration initiale. Selon la philosophie scolastique, et aussi chez Condillac, le « nominalisme » est le système selon lequel les espèces, genres, entités etc. ne seraient pas des êtres réels, mais seulement des êtres de raison - alors que le « réalisme » considère les idées abstraites comme des êtres réels.

Plus récemment, on a nommé « réalisme » la doctrine qui suppose que nous expérimentons le monde extérieur comme une réalité objective. Dès lors le sens de « nominalisme » se modifie aussi tout en continuant à s'opposer à « réalisme », pour nommer la doctrine qui suppose que la réalité réside dans les mots ou dans les idées que les mots désignent. Il peut s'appliquer à l'idéalisme de Berkeley, ou encore à la « sagesse » que prétend exprimer la phrase « seul l'imaginaire est réel », si chère aux hommes des médias et de la publicité.

J'accorde à ce lecteur que je n'aurais pas dû utiliser un mot qui, comme beaucoup d'autres, a pris un sens contraire à son sens d'origine - selon cette transformation qui, tout en conservant une ressemblance, oppose un sceau à son empreinte dans l'argile.


[1] « Abu Ghraib, Carribean Style », éditorial du New York Times, 1er décembre 2004.

[2] Johan Steyn, Guantanamo Bay: The Legal Black Hole, 25 novembre 2003

[3] Patrick Jarreau, « Crispation américanophobe », Le Monde, 25 novembre 2004. Dans le deuxième paragraphe de cet article Jarreau, correspondant du journal Le Monde à Washington, taxe implicitement d’américanophobie les 48 % des Américains qui n’ont pas voté pour Bush. Or si un président élu est légitime dans l’exercice du pouvoir suprême, accuser l’opposition de trahison constitue une dérive totalitaire de la démocratie.