Réactions à "Etat de droit"
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31 juillet 2001
Il est difficile de passer l'éponge sur les dépenses en liquide du
Président de la République.
1. l'enquête sur le président ne porte pas sur le fait d'avoir
utilisé des sommes en liquide mais sur le soupçon que ces sommes pourraient
provenir de commissions occultes perçues dans le cadre de marchés publics.
2. La perception de telles sommes par M. Chirac, si elle était
avérée, pourrait être considérée comme un fait bénin. Certainement pas si on
compare cela avec les délits du quotidien, qui valent à leurs petits délinquants
d'auteur de se retrouver parfois en prison. Si on compare cela avec des crimes
d'Etat (assassinat de M. Baroin, par exemple), il est cependant évident qu'un
voile pudique devrait être jeté sur ces affaires ou il n'y a pas mort d'homme.
3. Bref, ce n'est qu'en considérant que la politique est un
domaine à part, où les juges ne devraient pas entrer, où le crime d'Etat est un
fait banal, que l'on peut être tenté de passer sur les soupçons d'enrichissement
personnel (osons le mot) qui pèsent sur le Président.
Certes, Michel Rocard a évoqué les "conditions sociologiques qui
sont faites à nos gouvernants" (je cite de mémoire). Il aurait pu dire en clair
que considèrent la dure vie des hommes politiques, il leur est bien permis de se
faire inviter qui à la Mamounia, de faire réparer leur bateau, de revendre la
cave d'un Conseil général après en avoir perdu la Présidence, et autres
joyeusetés.
Sans jouer les Savonarole, je ne trouve pas ce type de
raisonnement très sérieux. Qu'il y ait peut-être des salaires insuffisants, un
statut de l'élu incertain, des réformes à entamer, certainement. De là à excuser
tout et n'importe quoi...
Ma réponse :
Vous avez raison. Pensez-vous toutefois
que nous ayons en France, en ce moment, un vrai débat politique ? on ne parle
que d'affaires : celui-ci paye en liquide, celui-là a été trotskiste, etc.
La France n'a-t-elle rien de plus important à discuter ?
C'est d'abord cela que j'ai voulu dire, mais pas seulement cela.
Richelieu, Colbert, Talleyrand se sont enrichis de façon
illicite. N'en ont-ils pas moins rendu à la France de grands services, n'est-ce
pas cela qui compte d'abord ? il est vrai que les moeurs ont changé, on
n'agirait plus comme eux aujourd'hui. En sommes-nous mieux dirigés ? Je préfère,
comme vous, qu'un dirigeant soit intègre. Mais s'il fallait choisir, pour
diriger le pays, entre quelqu'un d'un peu filou mais efficace et un honnête
homme incapable, eh bien... j'hésiterais, ou plutôt je n'hésiterais pas
longtemps.
Il y a plusieurs formes d'honnêteté. L'une d'entre elles
consiste à faire en sorte d'être irréprochable, comme une entreprise certifiée
ISO 9000. Cela n'empêche pas la faillite. Une autre, c'est de faire bien et à
fond son travail de dirigeant. Si le dirigeant efficace cède
à la tentation de temps à autre, ce n'est pas bien, il a tort, mais pour
le juger il faut regarder un bilan et non le seul
passif. Les Allemands n'auraient pas dû faire des histoires à
Kohl : il a réunifié
son pays, cela compense - et de loin - ce qu'il a pu faire pour financer son
parti.
On peut dire que Chirac n'a pas rendu les
services qui mériteraient qu'on passe l'éponge sur ses fredaines : il n'a pas
réunifié la France, il ne traite pas nos problèmes de société, la politique
qu'il inspire est lamentable, etc. Cette discussion-là
porterait sur la vraie question, et non sur ces affaires déplorables sans doute,
mais secondaires, dans lesquelles notre débat politique s'enlise.
Message reçu :
3 septembre 2001
Tu écris: "Richelieu, Colbert, Talleyrand se sont enrichis de façon illicite.
N'en ont-ils pas moins rendu à la France de grands services, n'est-ce pas cela
qui compte d'abord ?
Je ne suis pas d'accord. Cela relève d'une pensée unique bien Française. Les
pays scandinaves ou anglo-saxons n'ont aucune tolérance pour la "filouterie"
(ton terme) et sont aussi bien (sinon mieux) gérés que la France.
Paradoxalement, c'est dans les pays anglo-saxons dont les entreprises, au nom de
l'efficacité, peuvent maximiser les profits au dépends des employés, que les
dirigeants (publics ou privés) sont les plus scrutés.
Tu écris: "Si le dirigeant efficace cède à la tentation de temps à autre, ce
n'est pas bien, il a tort, mais pour le juger il faut regarder un bilan et non
le seul passif".
A mon avis, ce relativisme post-moderne (qui peux marcher pour une entreprise
privée dont le but est les profits) ne peux pas se justifier pour une position
de confiance dans l'appareil d'état. Oui, un agent de l'état, avec les pouvoirs
sur les individus qui lui sont conférés se doit d'être absolument irréprochable.
Veux-tu d'un juge qui n'est honnête que 90% du temps? Veux-tu d'un instituteur
qui ne viole les petits garçons qu'une fois par mois (mais qui d'autre part est
excellent en classe)?
Tu écris: "Cette discussion-là porterait sur la vraie question, et non sur
ces affaires déplorables sans doute, mais secondaires, dans lesquelles
notredébat politique s'enlise."
C'est un peu comme dire que la pédophilie à l'école c'est secondaire parce que
la vraie question c'est la qualité du corps enseignant.. Bien sur, tu vas me
dire que c'est bien différent, bien plus grave. Et pourtant, jusqu'à récemment,
la pédophilie dans les églises ou dans les salles de classes était un sujet que
l'on préférait enterrer profondément.. Comme les affaires d'argent dans
politique !
Où est la justice si elle devient toute relative? Monsieur le juge, cet homme a
volé mais il est puissant, riche, connais beaucoup de gens et a dirigé l'état.
Il faut donc passer l'éponge, comme on a toujours fait. Monsieur le juge, cet
homme est un cadre moyen qui a volé dans la caisse du CE pour s'offrir un voyage
à la Réunion. Quelle vénalité! Cela vaut au moins 10 ans de prison ferme votre
Honneur...
Je trouve particulièrement révélateur que tu appuies ton argument sur des
anciens hommes d'état (Richelieu, Colbert..) qui sont à la base de l'esprit
dirigiste et élitiste qui fait la France. Et puis les Richelieu et Colbert, cela
fait belle lurette que la France n'en a plus. Ce n'est pas dans les hommes
politiques depuis 20 ou 30 ans (toujours les mêmes) que l'on trouvera de grands
hommes. Si la politique de Chirac est minable et pathétique c'est justement que
cet homme est un petit voleur de poule sans envergure. Il l'a toujours été
depuis son début en politique (il y a 30 ans? 35 ans?). Quelle grandeur peut-on
espérer d'un homme qui met ses petits besoins personnels avant celui de la
Nation? Et comme des gens comme Chirac ou Mitterrand ne payent jamais pour leur
éthique toute relative, il est tout naturel que le monde politique n'attire que
d'autres gens comme eux pour qui il est normal de vivre comme un roi au dépends
de l'Etat (c'est à dire nous) au lieu de le servir.
Car c'est bien la le problème profond: les petites gens et les classes moyennes
en viennent à penser que le système est truqué, que ce sont toujours les mêmes
qui gagnent et que leur seule chance c'est de gagner le Lotto. C'est ce
défaitisme qui fait la France et des problèmes actuels. Et ce n'est pas un autre
brillant (et un peu filou) dirigeant de l'ENA qui va changer cela.
Ma réponse :
Merci pour cette critique détaillée, argumentée et fort bien écrite. Je la
comprends et j'adhère à l'exigence de rigueur morale qu'elle exprime.
Il existe beaucoup de formes de corruption. Certaines sont grossières,
naïves, et l'expression "voleur de poule" est bien trouvée. D'autres sont moins
visibles.
Le cadre d'une entreprise qui, face à une proposition de réorganisation,
pense d'abord à son intérêt personnel ("qu'est-ce que j'y gagne, moi, à cette
affaire ?"), n'est pas un de ces corrompus visibles qui s'en mettent plein les
poches. Et pourtant lorsqu'il donnera son avis, il fera éventuellement grand
tort à l'entreprise. Les généraux français des années 30 qui préféraient les
chevaux aux chars n'étaient pas des voleurs, mais des imbéciles, à un degré où
cela ressemble à la trahison (car l'on n'a pas le droit d'être idiot quand on a
des responsabilités : il faut démissionner). Et ils ont fait un tort
immense à leur pays. Le directeur des achats qui se laisse séduire par la
"sympathie" d'un commercial habile, sans pour autant rien "toucher", et qui fait
acheter à son entreprise des produits de qualité médiocre, n'est pas un
corrompu, pourtant...
La première chose que l'on demande à un responsable, c'est de remplir sa
mission convenablement. Le pilote de l'avion doit savoir piloter. Le capitaine
doit savoir mener son bateau. Le médecin doit savoir soigner. Ils doivent avoir
assez de passion pour leur métier et le "sentir", percevoir l'erreur
professionnelle comme une faute contre l'évidence et contre le bon goût. Cela
demande une forme d'honnêteté viscérale qui n'est pas la même que l'honnêteté
des "mains propres", mais qui ne l'exclut pas évidemment.
Je n'ai pas dit qu'il était bien de voler, que c'était indifférent qu'un
dirigeant soit un voleur, et que l'on n'en avait rien à faire. J'ai dit que
l'important était ailleurs. Celui qui se soucie d'être irréprochable est-il
honnête ? J'en doute. Regarde les entreprises qui se font certifier ISO 9001 :
elles sont impeccables, cela ne les garantit pas contre la faillite.
On n'en a pas fini avec l'exigence morale du fait que l'on a les mains
propres. Sommes-nous assez courageux ? assez volontaires ? assez vigilants ?
nous laissons-nous aller à des idées toutes faites, ou tâchons-nous
d'approfondir notre expérience ? sommes-nous respectueux des autres, et de
nous-mêmes ? savons nous écouter et comprendre celui qui parle ? voilà le genre
de question à se poser pour savoir si l'on est honnête. Celui qui se les pose,
me semble-t-il, a d'autres priorités que de piquer dans la caisse. Et ce qui est
très juste dans ton raisonnement, c'est que l'on peut en déduire que celui qui
pique dans la caisse ne se pose pas ces questions-là, donc qu'il n'est pas
honnête....