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Qualité de service et service public

3 octobre 2005

Pour lire un peu plus :

-
Pour une économie de la qualité
- Nostalgie du service public
- Mission et organisation

Dans les commentaires sur l’affaire de la SNCM, deux discours s’opposent : d’un côté l’apologie de la concurrence, de la privatisation, censées pouvoir seules répondre aux contraintes économiques ; de l’autre la défense de l’emploi, du « service public », de l’intervention de l’État dans l’économie[1].

Le caractère doctrinaire de ces deux discours est révélé par une absence significative : jamais on ne mentionne les clients de la SNCM comme partie prenante à cette affaire, ayant des besoins auxquels cette entreprise répond. Si l’on évoque les clients, c’est seulement pour parler de ceux qui sont victimes des événements, bloqués, pris en otage.

*   *

Des manifestants ont jeté un camion à l’eau dans le port de Bastia afin d’empêcher l’appareillage d’un ferry de la Corsica Lines, compagnie concurrente de la SNCM. Les passagers de ce ferry ne font-ils pas pourtant partie du « public » que ces manifestants revendiquent de « servir » ? Ce serait à n’y rien comprendre si l’on ne percevait pas l’ambiguïté de l’expression « service public ».

Dans son acception conforme à l’idéal républicain, à la res publica, la « chose publique », il s’agit du service du public : l’agent de l’État est le domestique du citoyen qu’il se fait un honneur de respecter et de servir. C’est ainsi qu’Anicet Le Pors définissait la mission de la fonction publique lorsque j’appartenais à son cabinet.

A cette conception républicaine s’oppose une autre conception, héritée de l’ancien régime : celle du corporatisme vu non comme une association visant à la compétence professionnelle de ses membres (c’est l’aspect positif des corporations), mais comme une forteresse campée au cœur de la société pour y défendre des « avantages acquis » et en acquérir, si possible, plus encore.

*   *

Un critère républicain parfaitement clair trace la limite entre le droit de grève et de manifestation, d’une part, et d’autre part l’abus à tendance insurrectionnelle ou fascisante : c’est le respect du public. Lorsque des routiers bloquent les routes, ils abusent. Lorsque les marins de la SNCM gênent les clients de leur entreprise, ou d’une autre, ils abusent.

Mais l’ambiguïté de l’expression « service public » permet de revêtir de nobles prétextes les démarches les plus intéressées ou les plus folles, dont les auteurs exigent une solidarité que l’on devrait leur refuser.

Sans doute les excités qui se sont emparés d’un navire, initiative bouffonne, ne méritent pas d’être traités comme de véritables pirates ; mais ils méritent une sanction ne serait-ce que pour conserver sa dignité au droit de grève et de manifestation. Il est troublant que des syndicats sérieux, responsables, soutiennent des gens qui ne sont pourtant plus des camarades, mais des délinquants.

*   *

Il faut dire que le public lui-même est d’une lâcheté consternante. Certes, les personnes directement gênées protestent. Mais beaucoup d’autres, heureuses semble-t-il du mauvais exemple qui leur est donné et qui pourra servir de précédent quand elles voudront défendre leur propre corporation, sont complices. 72 % des Français, d’après un sondage, trouvaient « sympas » les routiers qui bloquaient les routes : sympathie étonnante, proche du syndrome de Stockholm.

Si nous sommes des partisans républicains du service public, nous devons penser d’abord à la qualité du service rendu au public, à la satisfaction de chacune des personnes qui le composent. Qui sont les clients de la SNCM, le savez-vous ? Des Corses, des « Continentaux », des Nord-africains ? Des touristes, des commerçants ? Comment les voyages vers la Corse se répartissent-ils entre l’avion et le bateau ? Comment, d’ailleurs, et par quelles compagnies la Corse est-elle desservie ? Quelles sont les lignes que dessert la SNCM ? Quelles seraient les conséquences si elle déposait son bilan ?

Ce n’est pas sous cet angle-là que les choses sont présentées. Écoutez les politiques, les syndicalistes : personne ne parle des clients, des utilisateurs, du service qui leur est rendu et sans lequel ni la SNCM, ni ses emplois n’ont de raison d’être.

Partir du service, de la finalité de l’entreprise, ce serait pourtant la meilleure façon de tirer au clair des questions économiques auxquelles ni la doctrine de la concurrence et de la privatisation, ni celle de la préservation des acquis ne répondent.

Lorsque la mécanique des pouvoirs et des institutions prévaut sur leur finalité, il n’en faut pas beaucoup pour que se confrontent l’insurrection et la répression. L’excitation monte, le sens des proportions et des responsabilités s’évapore. Tout cela serait ridicule, et ne mériterait qu’un haussement d’épaules, si ce n’était pas si dangereux.  


[1] Que des nationalistes corses se mobilisent pour maintenir la propriété de l’État français sur la SNCM, cela montre bien que l’indépendance qu’ils revendiquent s’étend jusqu’aux subventions, mais exclusivement.