Voici le témoignage qu’un jeune ingénieur
m’a envoyé après avoir entamé la lecture de
De l’Informatique (voir son
message du 5 mai 2006). Il m'a semblé témoigner d'une
robuste et tonique lucidité. Je le cite tel quel.
* *
Le
réseau du corps des mines
Les postes de direction de mon
entreprise sont tous (vraiment tous : les non mineurs sont exceptionnels)
réservés à des ingénieurs du corps des mines. Leur « mandat » à un poste excède
rarement trois ans et leur mobilité est définie en fonction de :
-
leur disponibilité à l'instant t ;
- les affinités et relations de chacun ;
- le parrainage par un plus ancien ;
- éventuellement seulement, les compétences.
Ces tractations sont des plus discrètes. Le golf et le rugby sont
de bons moyens pour faire des rencontres. Ceci étant, certains d'entre eux (pas
tous, vraiment) sont d'excellents professionnels.
Les conflits de territoire
Chaque dirigeant se voit attribuer à sa nomination un territoire
aux frontières bien établies. Ensuite, l'art de la guerre peut se déployer.
Pour certains (et ils sont
nombreux), il n’est possible de travailler avec d'autres dirigeants que si un
supérieur hiérarchique commun a défini très précisément ce qui relève du
territoire de l'un et de l'autre.
Pour d'autres (là encore nombreux), il s'agit d'empiéter au
maximum sur le territoire d'autrui, et sur des sujets valorisants aux yeux de la
direction, pour satisfaire une ambition personnelle et pouvoir briguer deux
ans plus tard un poste plus intéressant.
Expertise ou coordination
Un responsable de service s'est doté d'un adjoint dont la mission
est de coordonner plusieurs métiers très différents (communication externe,
publications, informatique, système d'information, logistique). Hélas, cet adjoint confond coordination et expertise. A vouloir
devenir expert sur tout et tout décider, il ne coordonne rien et prend de
mauvaises décisions. Les dossiers restent bloqués et les mois passent. S’il faut
un arbitrage, le dossier est condamné jusqu'à l'arrivée du prochain adjoint. Ce même homme estime que lui seul peut parler (même pendant la
pause café) avec des responsables de services.
Le système d'information
Il est à désespérer que certains dirigeants sachent faire un jour
la différence entre :
- les finalités du
système d'information et l'utilisation de Word ;
- la maîtrise d'oeuvre et la maîtrise d'ouvrage ;
- une base de données partagée par tous et un document Excel.
Il existe dans l'entreprise une
entité en charge de l’organisation. Suite à des guerres de personnes (et par
conséquent de territoire) cette entité n’a pas été chargée du système
d'information, qui a été attribué au secrétariat général. Aucune de ces deux entités
n’arbitre les décisions liées au métier puisque :
- l’une n’est pas
investie de ce travail ;
- l’autre ne s’estime légitime que sur les sujets techniques (alors qu'il n'y a
pas de MOE dans l'entreprise) et que l’arbitrage métier doit revenir à d’autres
(à mots couverts, on reporterait bien cela chez le voisin, mais il est
hiérarchiquement plus proche du directeur général).
Le
retour du congé maternité
Plusieurs ami(e)s m'avaient dit
« tu verras qu’au retour de ton congé maternité tu ne retrouveras ni ton poste,
ni tes responsabilités, ni ton positionnement hiérarchique ». Je n'y croyais pas car j'avais
tenu le coup auprès de mon supérieur hiérarchique depuis 2003 contrairement à
mes trois prédécesseurs (trois en deux ans, dont une vacance de poste de six
mois), et aussi parce que mon travail avait été conséquent : j'avais remis en
ordre de marche un SI que j’avais récupéré dans un état pitoyable tant sur les
aspects qualité (respect des spécifications, tenue des délais) que sur les
aspects relationnels (avec les prestataires, avec les autres entités de
l'entreprise, etc.). Actuellement, même si le SI est loin de la perfection, il a
le mérite de permettre aux personnes de travailler, de mutualiser et partager
les données et documents.
Avant mon départ en congé
maternité, et à cause de l’incompétence d'une personne en place, on m'a proposé
à mots couverts de reprendre le pilotage d'activités telles que la gestion du
parc bureautique, des réseaux etc. N'étant ni très compétente ni très intéressée, ma
réponse a été elle aussi à mots couverts. A mon retour du congé maternité,
j'ai découvert que les métiers du système d'information, de la gestion des
réseaux, de la gestion du parc informatique etc. avaient été regroupés au sein d'un
pôle informatique dont le responsable ne pouvait pas être compétent sur
l'ensemble des sujets. J'ai donc « gagné » un niveau hiérarchique supplémentaire
au-dessus de moi, sans valeur ajoutée. L'adjoint a ainsi en face de lui une
seule personne au lieu de deux.
Ce dispositif permet de palier
l'incompétence d'une des personnes en place - non en y remédiant mais en
embauchant quelqu’un d’autre :
- le délai de blocage des dossiers a doublé ;
- aucune des affaires laissées avant mon départ n'a avancé le moins du monde,
mais on ne m’en a pas rendu la responsabilité.
Comme il est déconseillé de
faire des vagues je me suis mise intellectuellement au niveau de ces deux
supérieurs hiérarchiques et n’ai traité que les affaires dont on me confiait
officiellement la responsabilité. Cette reprise de fonctions très progressive
m’a permis de reprendre petit à petit le pilotage des dossiers (il m'en reste un
à récupérer).
* *
Les choses avancent très
lentement. Pour le moment, je ne vois pas de solution pour accélérer le cours
des événements. Sur le papier il serait possible de mettre en place une
structure de maîtrise d’ouvrage mais en fait ce serait des plus délicats : si
certains directeurs y sont favorables, ce ne sera peut-être pas la volonté de la
DG… Mon entreprise va probablement
bientôt changer de statut. Aussi, des modifications organisationnelles
pourraient être envisagées. Il y a peut-être là une solution (ou bien tout le
contraire).
Alors, bien entendu, je me suis
mise de nouveau à l'écoute du marché…
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