| Pour étudier l’histoire du 
tableur ou du traitement de texte il faut dépouiller beaucoup de documents. Deux 
faits sautent alors aux yeux : l’un concerne la documentation elle-même, l'autre 
concerne les inventeurs.  La documentation La plupart des documents 
accordent une grande place à l’identité des innovateurs et à l’évolution du 
marché : qui a inventé le produit, et quand ; quand, et avec qui, il a créé son 
entreprise ; quand et comment s’est manifestée la concurrence ; comment ont 
évolué les parts de marché ; comment se sont réglés les conflits.  Les indications données sur la 
nature du produit partent presque toutes du point de vue de l’utilisateur : il 
s’agit d’expliquer le succès commercial. Si l’idée qui a guidé la conception du 
produit est indiquée, on ne trouve pas grand-chose sur les choix fonctionnels ou 
d’architecture ni sur les compromis auxquels le réalisateur a été contraint. Le 
passage de l’idée au produit s’est déroulé dans une boîte noire que la 
documentation n’entrouvre pas.  Il est vrai qu’il est difficile 
de décrire ce passage qui est complexe et laisse le plus souvent peu de traces 
documentaires. Cela ne donne que plus de valeur aux ouvrages qui, comme 
celui de Tracy Kidder, 
décrivent en détail le cheminement d’une réalisation technique.  Les inventeurs Dans la plupart des cas, l’inventeur un homme jeune, 
frais sorti de l’université ou même encore étudiant. Il est au courant des 
techniques récentes et, comme il n’a aucune expérience, son esprit est libre de 
préjugés. Il imagine le nouveau produit en partant de ses propres besoins. Sans doute beaucoup des 
produits ainsi conçus n’aboutissent à rien de durable, mais ceux-là sont oubliés 
: l’histoire ne garde en mémoire que les produits réussis. Notre étudiant, si son produit 
rencontre le succès, devient un entrepreneur : il découvre les soucis du recrutement, de 
la commercialisation, des partenariats, de la gestion, du financement. Pour 
défendre son territoire, il 
s’englue dans des procédures judiciaires  . Il perd 
ainsi sa fraîcheur, sa capacité à innover et d’ailleurs son savoir technique, 
naguère pointu, vieillit et devient obsolète. Il laisse passer des occasions 
parce qu’il ne les perçoit pas, et il se fait doubler par d'autres personnes tout juste sorties de 
l’université. Bientôt la survie de son entreprise est menacée...  Le système est fortement 
innovant parce que le flux des jeunes innovateurs ne tarit pas. Par contre, si 
l’on considère les individus, le système est stérilisant : tout se passe comme 
si le fait de mettre une idée sur le marché inhibait la possibilité d’en 
produire une autre. Quant aux entreprises, elles naissent, croissent et meurent 
ou se font acheter en quelques années ou (au plus) dizaines d'années.  Microsoft est 
l’exception qui confirme la règle, car si Bill Gates innove c’est en 
entrepreneur, en organisateur plus 
qu’en technicien : il reprend les produits inventés par d’autres et les 
articule en système avec un sens aigu des économies d’envergure et du 
fonctionnement du marché.  |