Conduite de projet
2 janvier 2003
Le but de la conduite de projet est d'assurer la
relation avec le fournisseur pendant toute la durée de la réalisation, en se
donnant pour but la réussite du projet - c'est-à-dire la mise en exploitation
d'un produit conforme aux spécifications, dans les conditions prévues de
délai et de coût.
Nous avons vu que la majorité des projets
informatiques échouaient en cours de route, ou connaissaient des dépassement
de coût et de délai considérables (voir "Méthodes
concernant un projet"). L'enjeu de la conduite de projet est donc
important.
Le plus souvent, l'application est réalisée par
une SSII, mise en exploitation par la direction de l'informatique, et utilisée
par un métier de l'entreprise. C'est ce dernier (maîtrise d'ouvrage) qui est
donc le client final de la SSII ; il lui revient donc, en principe, d'assumer la
responsabilité de la conduite du projet ainsi que la vérification du service
fait et la gestion du budget. Dans les faits, cependant, ces diverses tâches
sont souvent déléguées à la direction informatique, car l'on pense que
"tout ça, c'est de l'informatique" ; il en résulte parfois des
dommages, les impératifs techniques de la plate-forme informatique recevant
plus de poids dans les arbitrages que les besoins du métier.
Cette forme d'organisation tend toutefois à
disparaître pour être remplacée par une autre organisation, dans laquelle la
maîtrise d'ouvrage prend toutes ses responsabilités. Mais il faut pour cela
qu'elle soit dotée de personnes compétentes, et c'est le plus grand frein à
cette évolution.
Organisation de la conduite de projet
L'organisation qui convient à la conduite de
projet dépend de la taille du projet, de la place du processus concerné parmi
les métiers de l'entreprise (est-il propre à un métier, est-il transverse à
plusieurs métiers ?), de l'importance du projet en regard de la stratégie de
l'entreprise etc. L'organisation doit donc être définie au coup par coup, et
il n'existe pas de forme d'organisation générale s'imposant à tout
projet.
Nous allons ci-dessous décrire quelques-uns des
éléments que l'on rencontre le plus souvent dans l'organisation de la conduite
de projet, et signaler des pièges qui peuvent se présenter.
Directeur de projet
Le but du projet est de fournir un produit utile
à une maîtrise d'ouvrage. Il est donc naturel que la direction du projet soit
confiée à un représentant de la maîtrise d'ouvrage, dûment mandaté par le
maître d'ouvrage stratégique (qui sera, selon la nature du projet, le
directeur d'un des métiers de l'entreprise ou le DG lui-même). Il
"coiffe", dans la structure de projet, les experts qui représentent
la maîtrise d'ouvrage et ceux qui représentent la maîtrise d'œuvre (CP MOA
et CP MOE), et il arbitre leurs éventuels conflits. Il est assisté par un chef
de projet pilotage, chargé du reporting et du suivi de l'exécution des
décisions. Il lui revient de définir dès le début du projet avec ces trois
responsables le contour de leurs missions, l'échéancier des travaux que chacun
doit réaliser, la nature de leur coopération.
Il faut que son mandat constitue une vraie
délégation de responsabilité : un directeur de projet dont les décisions
seraient fréquemment désavouées par le mandataire deviendrait rapidement un
"zombie", un personnage falot dont le rôle n'est pas même
symbolique.
Il faut aussi que ce directeur puisse réellement
diriger le projet, et qu'il dispose pour cela des informations nécessaires sur
la qualité de la réalisation, sur la tenue des délais, sur l'avancement des
travaux, sur la situation du budget (voir ci-dessous le paragraphe consacré au
reporting). Il arrive souvent que la partie financière du projet soit
entièrement gérée par la direction informatique, qui soit par désordre, soit
par désir d'indépendance, ne fournit pas les informations nécessaires au
directeur de projet. Il serait préférable - mais c'est une disposition
rarement prise - que le directeur de projet fût investi de la responsabilité
du suivi du contrat et de la certification du service fait qui déclenche le
paiement des factures.
Souvent le directeur de projet, estimant son
affaire déjà bien assez difficile à réussir, cherche à se libérer des
contraintes de cohérence du système d'information et à s'isoler du reste de
l'entreprise. Rien n'est plus difficile que d'organiser une réunion de
coordination entre plusieurs directeurs de projet ! Or le manque de cohérence
du SI serait dommageable pour l'entreprise. Il revient à la coordination des
maîtrises d'ouvrage (la MOAD auprès du DG) de veiller à établir des
passerelles entre les divers projets, et à assurer le dialogue indispensable
entre les directeurs de projet malgré leurs réticences.
Tout suivi de projet est scandé par les
réunions de divers comités (voir ci-dessous). L'expérience, fort pénible,
montre que ces réunions sont souvent longues et confuses, sans ordre du jour,
durée limite ni compte rendu. Or la conduite du projet dépend pour une bonne
part de la qualité de ces réunions. Il faut respecter quelques règles :
- il est interdit en réunion de critiquer une personne absente, ou une entité
qui n'est pas représentée, car il faut avant tout respecter le droit de
réponse ;
- l'ordre du jour de la réunion doit être établi avant la réunion, éventuellement
complété en début de réunion, et rigoureusement suivi ; à chaque point doit
être accordée une durée limite qu'il faut respecter, ainsi que la durée
totale de la réunion ;
- les tâches décidées en réunion doivent être affectées à une personne ou
une entité précises (ne jamais dire "on va faire cela" à la cantonade,
sans désigner celui qui devra le faire) ;
- les décisions doivent être notées par le CP pilotage, leur exécution doit
faire l'objet d'un pointage lors des réunions suivantes.
Outre son rôle purement technique et
professionnel, le directeur de projet doit se soucier de "l'ambiance"
du projet. Tout grand projet comporte des moments de crise, de doute, voire de
désespoir ; dans ces moments-là les responsables cherchent moins à faire leur
travail qu'à faire porter par d'autres la responsabilité d'un échec qui
semble inévitable. Il faut alors du talent pour apaiser les conflits, restaurer
ou maintenir l'espoir de succès : le directeur de projet doit maîtriser
l'expression de ses sentiments. En général il devra afficher de la sérénité
et se comporter avec bonhomie envers les personnes ; en de rares occasions, il
devra aussi manifester de l'inquiétude et se mettre en colère. La gestion de
la psychologie collective d'un projet est un art aussi délicat que la
diplomatie.
Comité directeur
Le comité directeur, mensuel ou trimestriel
selon les projets, réunit le directeur de projet, le directeur informatique, le
DG, les directeurs concernés par le projet, et les experts invités (y compris
ceux qui représentent le fournisseur, au moins pour une partie de la réunion).
Son but est de vérifier que le déroulement du projet est bien conforme aux
objectifs stratégiques de l'entreprise, notamment en ce qui concerne les
délais et les coûts.
L'expérience montre que ces réunions sont
souvent édulcorées, personne n'osant en présence du DG et devant des
directeurs plus ou moins anxieux émettre la moindre alarme ni poser une
question de simple bon sens.
Il revient au DG de faire en sorte que le comité
directeur ne soit pas une chambre d'enregistrement où personne n'ose dire la
vérité : si le DG donne le mauvais exemple en faisant taire celui qui émet un
signal d'alarme, les réunions du comité directeur seront vides de
contenu.
Comité de pilotage
Le comité de pilotage est hebdomadaire ou
mensuel selon l'importance du projet. Il réunit le directeur du projet, les
chefs de projet MOA, MOE et pilotage, ainsi que les experts invités.
Périodiquement, le fournisseur lui-même est invité. C'est la réunion
principale pour la conduite de projet, c'est là que se prennent les décisions
essentielles au vu des reportings et des alarmes émises par les parties en
présence. La qualité de ces réunions dépend du directeur de projet, et de
l'importance qu'il attache à la rigueur dans le suivi de la réalisation et des
décisions prises.
Comité d'avancement
Le comité d'avancement est hebdomadaire ; il
réunit les chefs de projet MOA, MOE et pilotage, ainsi que les représentants
du fournisseur. Il a pour but de repérer et de régler les divers problèmes
d'ordre matériel ou organisationnel que pose la réalisation : disponibilité
des locaux, serveurs et postes de travail ; turn-over des personnes ; tenue des
délais de production des divers livrables ; traitement des alarmes émises lors
des comités précédents.
Reporting du projet
Le projet doit faire l'objet d'un compte rendu
régulier ("reporting") qui permette d'évaluer clairement sa
situation. Les reportings présentent souvent des défauts :
- trop lourds, ils sont difficiles à lire et l'information utile est noyée
dans un fatras de nombres et de graphiques ;
- remplis à la va-vite, ils comportent des incohérences qui sautent aux yeux :
on passe plus de temps à se les faire expliquer qu'à traiter les
problèmes ;
- ils présentent les derniers événements sans les rattacher à l'historique
du projet, ce qui rend difficile leur interprétation : si par exemple le
fournisseur dit "la livraison du lot 3 sera reculée de trois
semaines", le sens de cette phrase n'est pas le même si cette échéance a
déjà été reculée plusieurs fois ou non ;
- ils obéissent de façon pédante au formalisme d'une "méthode
qualité", sans y faire le tri entre l'important et l'accessoire (c'est un
symptôme d'incompétence, ou pis de mauvais esprit).
Nous avons proposé une méthode pour établir un
reporting simple et utile (voir "Pour
un suivi de projet efficace").
Les personnes engagées dans le projet jugent
bien naturellement le travail de production plus important que le reporting,
qu'elles considèrent comme une corvée. C'est ce qui les pousse à le remplir
à la va-vite, sans se soucier de l'exactitude des informations fournies. On
voit ainsi apparaître dans le reporting des erreurs manifestes (comme un taux
de réalisation de 150 %), ou un échéancier prévisionnel qui ne tient aucun
compte des retards enregistrés dans le passé. Pour que le reporting soit
sérieusement rempli, il faut (1) qu'il porte la signature d'une personne
chargée de vérifier l'exactitude de toutes les informations qu'il contient, et
qui sera donc responsable des éventuelles erreurs ou lacunes ; (2) que les
exécutants sachent qu'à l'occasion certains des reportings peuvent remonter
jusqu'au sommet de l'entreprise, et susciter des décisions.
Il est salubre en effet de faire parvenir au DG
une sélection des reportings. Un DG conscient de l'importance du SI doit se
faire communiquer systématiquement les reportings mensuels des dix à quinze
principaux projets ; et on doit lui montrer les reportings des projets de
moindre importance, mais qui rencontrent des difficultés et sur lesquels on
risque de devoir lui demander des décisions.
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