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Mise en place d'une messagerie

27 octobre 2001

J'ai reçu le message suivant de Christophe Costes :

Je me souviens d'une anecdote que tu m’avais racontée sur la mise en place d'une messagerie destinée aux dirigeants d’une grande entreprise. Au bout de quelques semaines, les gens ne se parlaient plus car les échanges par mail avaient, par leur "agressivité", dégradé le climat.

Je suis témoin de cette déviance. Voici en vrac quelques effets pervers :
- faire un mail est simple : il exclut le débat et écrase le destinataire en lui "ordonnant" ce qu'il aurait fallu négocier avec lui. La négociation demande du courage, le mail est parfois un signe de lâcheté ;
- on ne se met plus d'accord de vive voix, on écrit pour marquer son désaccord ;
- les mails ont l'avantage d'assurer une certaine traçabilité, mais pas toujours à bon escient. Souvent il s'agira de prouver que l'autre est en retard, ou bien que sa demande n'était pas assez précise etc. ;
- le mail empêche la reformulation, ce faisant, les ambiguïtés liées à la sémantique demeurent ;
- l'usage des destinataires "en copie" permet d'étaler sur la place publique le contenu de conversations qui, si tout fonctionnait correctement, resteraient entre deux personnes. La mise en copie du responsable hiérarchique du destinataire équivaut à une "mise en demeure", elle est humiliante pour qui reçoit un tel message (sauf accord préalable bien sûr) ;
- au final, ce qui devait être un outil moderne et efficace de communication, atteint à peu près l'effet contraire : en sapant les relations interpersonnelles, il ruine les bonnes volontés.

La "Netiquette" à laquelle tu fais allusion dans le chapitre "Système d'Information" d’« e-conomie » donne une piste, malheureusement la prise de conscience n'est pas encore faite.

Voici l'anecdote à laquelle Christophe faisait allusion, et qui est en effet pleine d'enseignements.

En 1993, je travaillais pour une très grande entreprise où je m'efforçais d'introduire l'informatique communicante. A l'époque, nous utilisions Lotus Notes et nous avions une petite expérience des possibilités et risques associés au groupware. 

La messagerie n'existait pas dans cette entreprise, si ce n'est sous une version péniblement technique et en pratique réservée aux informaticiens. Un jour fut prise la décision d'installer une "messagerie de commandement", équipant les 400 personnes les plus importantes de l'entreprise. 

La notion même d'une "messagerie de commandement" me semblait bizarre, car en se restreignant aux niveaux hiérarchiques suprêmes elle excluait par construction l'un des apports précieux de la messagerie : une communication aisée entre le manager et ses collaborateurs. Mais enfin, soit, c'était un début.

Je cherche à rencontrer le Monsieur chargé de l'installation de la "messagerie de commandement", et voici mot à mot notre conversation :

MV : "Alors, c'est toi qui es chargé de la mise en place de cette messagerie ?"
Le Monsieur : "Eh oui, c'est moi !"
MV : "C'est une affaire très difficile !"
Le Monsieur : "Non, moi je ne trouve pas ça particulièrement difficile"
MV : "Comment fais-tu ?"
Le Monsieur : "Je me rends dans le bureau d'un utilisateur, je mets la disquette dans son lecteur de disquette, j'installe le logiciel, puis je passe à l'utilisateur suivant"
MV (stupéfait) : "Mais alors tu ne leur dis rien ? tu ne les préviens pas ? tu ne les formes pas ?"
Le Monsieur : " Pourquoi faire ? Ils n'ont pas besoin d'être formés, ils sont grands, ils sauront se débrouiller".

Je savais, par expérience, les risques que l'on prend lorsque l'on installe une messagerie sans signaler aux utilisateurs les pièges que comporte ce service. Je savais que la messagerie provoque, si l'on n'y prend pas garde, une inflation d'agressivité. Ce qui devait se passer arriva : trois semaines après l'installation de la "messagerie de commandement", certains des cadres dirigeants qui avaient été ainsi équipés ne se saluaient plus dans les couloirs et refusaient de se serrer la main.

Voici le scénario de ce qui s'était passé :

- A écrit un message destiné à B ; il le tape vite, sans faire bien attention à la forme ni à l'orthographe, il clique sur le bouton "envoyer", et hop ! c'est parti.
- B reçoit le message de A. Le ton désinvolte semble plein de sous-entendus ironiques et menaçants ; en outre, dans une phrase à contenu technique, A a utilisé un mot pour un autre : il se permet de parler de choses qu'il ne connaît pas. B a l'impression que A lui manque de respect, et se demande si ce n'est pas le signe avant-coureur d'une cabale visant à le déconsidérer. 
- Après quelques heures de rumination désagréable, B compose pour A une réponse aux termes soigneusement pesés et venimeux pour (1) faire comprendre que la cabale ira à l'échec et se retournera contre A, (2) montrer que A ne sait pas de quoi il parle.
- Au reçu du message de B, A est stupéfait. Il avait envoyé à B une information utile, pour rendre service, et voilà qu'il se fait engueuler ! A consacre un bon quart d'heure à rédiger un message mi sérieux, mi plaisant, pour dire que B a fait un contresens et lui donner un petit cours de savoir vivre.
- En lisant cette réponse, B se convainc de l'existence de la cabale ; il faut qu'elle soit bien avancée pour que l'on ose lui écrire sur ce ton. La suite des événements peut parcourir les diverses branches d'un arbre de possibilités. Si B répond, l'inflation peut se poursuivre sans limites. Il se peut que A et B se rencontrent, se parlent, et que le malentendu soit dissipé. Il se peut aussi qu'ils soient brouillés à jamais. 

Quand on installe une messagerie, il faut dire aux utilisateurs : "Faites attention, soyez très poli, très gentil, très aimable quand vous écrivez un message. Le destinataire est toujours craintif, et se demande quelles sont les intentions cachées de l'expéditeur ; si votre message donne prise à son inquiétude, il vous attribuera les intentions les plus noires, et il se fâchera."

Cisco, qui n'est pas une débutante dans le domaine des nouvelles technologies, a décidé de modifier la géographie de ses bureaux : elle a fait en sorte que les personnes qui échangent le plus de messages soient installées dans des bureaux proches les uns des autres de sorte que la communication orale soit facilitée. Cela permet de limiter le nombre de messages et, corrélativement, le nombre de conflits.