Valeur de l'entreprise et valeur de
ses actions
15 février 2000
Quelle est la relation entre la valeur de l'entreprise et la
valeur de ses actions ? comment se partage la valeur ajoutée entre les actionnaires et
les salariés ? quelles sont, sur ces deux points sensibles, les conséquences d'un choc
(soit que l'entreprise dispose de machines plus efficaces, soit qu'elle ait mis au point
un procédé de production plus performant ?).
Ces questions nous tracassent tous, surtout en ce moment où
les cours de bourse semblent s'écarter fortement des
"fondamentaux", que ce soit vers le haut ou vers le bas, et où la volatilité
se fait menaçante. Elles ne sont pas faciles car leur exploration suppose un modèle
économique, donc un tri judicieux entre les aspects de la réalité que le modèle
représentera et ceux qu'il laissera de côté : à la difficulté du formalisme
mathématique s'ajoute celle du choix d'une simplification pertinente.
La synthèse ci-dessous a été rédigée dans le cadre d'un
groupe de travail avec Michèle Debonneuil, du Commissariat général du Plan.
Attention : ce texte dense est destiné à des personnes qui
ont l'habitude de lire des ouvrages d'économie. Elles y trouveront un schéma de
l'articulation des dynamiques micro- et macroéconomiques qui les intéressera peut-être.
Il pourra leur être utile de regarder d'abord la fiche sur la capitalisation
boursière des entreprises.
Le lecteur non économiste est invité à se rendre à la conclusion : sa netteté nous a
surpris, mais nous l'avons bien vérifiée.
___________________
Le but de cette fiche est, après avoir introduit la notion de
" norme de profit " de montrer comment une entreprise peut dégager un
profit supérieur à la norme, et quelles en sont les conséquences.
Nous distinguerons les égalités qui résultent
didentités ou de définitions, et qui seront notées avec le signe =, de celles qui
ne sont vérifiées quà léquilibre, et que nous noterons avec le signe (=).
Nous utiliserons par ailleurs des formulations simplifiées de façon à faire ressortir
lessentiel du raisonnement sans alourdir les notations mathématiques.
État initial
Considérons une entreprise utilisant les facteurs de production
L et K.
L est le nombre dheures de travail que consomme
lentreprise dans une année, K le volume de son capital, mesuré par exemple en
" nombre de machines " en supposant que lentreprise utilise
plusieurs machines de même type.
Supposons K intégralement financé par les actionnaires
(lentreprise nest donc pas endettée) et de durée de vie infinie (il ny
a donc pas à prévoir dinvestissement de renouvellement).
Supposons enfin que lentreprise appartient à un secteur
à léquilibre concurrentiel : la libre entrée des concurrents sest
poursuivie jusquà ce que le capital soit rémunéré au niveau que les actionnaires
jugent normal compte tenu du risque propre à lentreprise, niveau en dessous duquel
il ny a donc pas création dentreprise.
La fonction de production est :
(1) Y = f(K, L).
Notons p le prix de Y, w le salaire horaire, r la rémunération
" normale " de lutilisation dune machine pendant un an, pK
le prix dachat dune machine.
NB : la consommation intermédiaire de lentreprise ne
figurant pas dans (1), pY est en fait une valeur ajoutée ; nous la nommons
" production " pour simplifier.
La minimisation du coût de production pour produire la
quantité Y si les prix w et r des facteurs sont donnés implique des quantités K et L
des facteurs telles que :
(2) w (=) λ.∂Y/
∂L,
(3) r (=) λ.∂Y/
∂K,
Notons c(Y) la fonction de coût de lentreprise.
λ est égal au coût marginal c(Y) (daprès un théorème classique le multiplicateur de Lagrange est égal à la
dérivée de la fonction objectif par rapport à la contrainte).
Si lentreprise maximise en outre son profit :
- en concurrence parfaite, le prix p est donné et Y doit être tel que :
(4) Y (=) c-1(p)
- en concurrence monopoliste, la fonction de demande p(Y) est donnée et Y doit
être tel que :
(5) c(Y) (=) Yp(Y) + p(Y) ; c(Y) est
inférieur à p(Y), car p(Y) est négatif. Donc :
(6) p (=) µc(Y), où µ > 1 est le " taux de
marge " par rapport au coût marginal.
Enfin, si le marché est à léquilibre concurrentiel avec
libre entrée :
(7) pY (=) wL + rK, que lon soit en concurrence parfaite
ou monopoliste.
L " annulation du profit " que
symbolise cette équation ne signifie pas que lentreprise ne fasse pas de profit
comptable, ni quelle ne distribue pas de dividende : le profit quelle
dégage permet de rémunérer les actionnaires au niveau déquilibre compte tenu du
risque quils ont pris. Il vaut donc mieux parler de " norme de
profit " que de profit nul.
Le " taux de rentabilité interne " (TRI) de
lentreprise est le taux dactualisation qui annule sa " valeur
actuelle nette " (VAN) ; dans le cas considéré ici, la VAN correspondant
au taux dactualisation T est :
(8) VAN = - pKK + (pY - wL) / T,
doù :
(9) TRI (=) (pY - wL) / pKK (=) r / pK
= i + π,
où i est le taux dintérêt sans risque et π la " prime de risque "
déquilibre.
Par prime de risque déquilibre on entend la prime
qui rémunère " normalement " le risque pris par
lactionnaire ; selon la théorie du risque :
(10) π (=)
β(τM i), avec :
(11) β =
cov(X, M)/σ2M = corr(X,M)σ X/σM
où τ M
est le taux de rentabilité interne du marché,
σX et σM
sont les écarts types respectifs des rendements de lentreprise X et du marché,
cov(X, M) est leur covariance, corr(X, M) leur coefficient de corrélation. .
Le prix dutilisation r du capital est ainsi :
(12) r (=) (i + π)pK
r nest donc pas comme on le dit parfois égal au taux
dintérêt du marché i. Si tout le capital avait été emprunté (ou si les
actionnaires sétaient endettés pour le financer), il faudrait ipKK pour
payer les intérêts de lemprunt ; la rémunération nette du capital
est donc égale à π pKK,
et dépend de la prime de risque. Léquation (12) est compatible avec une
rémunération " normale " des actionnaires (que ce soit sous forme de
dividende ou dune plus value correspondant à laccroissement du capital par
autofinancement) conforme à la prime de risque déquilibre. La capitalisation
boursière de lentreprise est alors égale à la valeur pKK de son
capital, cest-à-dire à son actif net.
Le " price earning ratio " (PER) de
lentreprise est :
(13) PER = capitalisation boursière / profit (=) pKK
/ rK (=) 1/(i + π ) = 1 / TRI
Si lon suppose enfin que le profit de lentreprise
croît au rythme annuel a à partir de la première année, la VAN est égale à :
(14) VAN = - pKK + (pY - wL) / (T - a), doù le
TRI :
(15) TRI = a + (pY - wL) / pKK
Observons que léquilibre que nous venons de décrire
sinstaure sur des marchés obéissant à des dynamiques différentes. Plus un
marché est large, plus la dynamique dajustement du prix en cas de déséquilibre
sera lente toutes choses égales dailleurs, car elle suppose la coordination
dun plus grand nombre dacteurs.
La dynamique la plus rapide sera celle du cours de
laction, la moins rapide sera celle du salaire, celle du prix du produit est
intermédiaire.
- la capitalisation boursière de lentreprise est égale à la valeur de son
profit futur actualisé au taux (i + π
).
Elle varie si les actionnaires modifient leur estimation du profit anticipé ou
si le taux d’actualisation change (que ce soit i ou
π qui changent). Cest sur ce marché que lajustement est le plus
rapide (mais comme les évaluations dépendent danticipations par nature
incertaines, cest aussi celui où lajustement est le plus incertain).
le prix p du produit Y sétablit sur un marché sectoriel qui concerne une
partie de léconomie.
le salaire horaire w sétablit sur le marché du travail qui est
macroéconomique (il est sectoriel si le secteur emploie des compétences spécialisées,
ce que nous ne supposons pas ici).
Cas dune fonction de production de Cobb-Douglas
Supposons que la fonction de production est une Cobb-Douglas :
(16) Y = aK αLβ
Si la fonction de production est à rendement constant,
α + β = 1.
Avec cette fonction, si lon est en concurrence parfaite,
(2), (3) et (4) (combinaison optimale des facteurs et maximisation du profit)
donnent :
(17) r/p = α Y/K
(18) w/p = β Y/L
doù :
(19) wL/pY = β , rK/pY = α, wL/rK =
β/α
Si lon est en concurrence monopoliste, (2), (3) et (6)
donnent :
(20) r/p = (α /µ)(Y/K), avec un taux
de marge µ > 1,
(21) w/p = (β /µ)(Y/L)
doù :
(22) wL/pY = β /µ, rK/pY = α/µ, wL/rK =
β/α
Ainsi dans le cas de la fonction de Cobb-Douglas la part de la
rémunération de chaque facteur de production dans la valeur ajoutée est constante
quelles que soient les valeurs des prix w, r et p, à condition toutefois que (2), (3) et
(4) ou (2) (3) et (6) restent vérifiées et que le rapport β /α reste constant.
Cette part pourra être modifiée si (4) ou (6) ne sont plus
respectées. Elle pourra également être modifiée si le rapport β /α évolue.
Si en outre (7) est respectée (rémunération du capital à son
niveau déquilibre), on a nécessairement :
α + β = 1 (rendement constant) si l’on est en concurrence parfaite,
α + β = µ (rendement croissant) si lon est en concurrence monopoliste.
Nous allons maintenant explorer ce qui se passe lorsque, en
raison dun choc, les prix sécartent temporairement du niveau
déquilibre.
Innovation incorporée au capital
Supposons que, par suite dun progrès technique, le prix
unitaire pK des machines diminue de
δpK (ou, cest équivalent, que la qualité des machines
augmente de sorte que le même travail puisse être fait avec moins de machines, le prix
nominal des machines restant constant) :
(23) pK = pK -
δpK
Nous supposons quà court terme le prix p du produit et le
salaire w ne sont pas modifiés, ces marchés obéissant à une dynamique lente.
A court terme lentreprise nest pas dans la
situation déquilibre résultant de la libre entrée car cet équilibre suppose un
délai de moyen ou long terme ; elle dégage donc un profit supérieur à celui qui
rémunérerait normalement le risque pris par les actionnaires ; nous nommerons
" quasi rente " ce surcroît de profit.
La quasi rente est supérieure à (i + π )δpKK , car lentreprise peut diminuer son coût de
production par substitution du capital au travail ; donc, sur les nouveaux
projets :
(24) pY > wL + (i + π )pKK + (i +
π)δpKK
La quasi rente est propriété des actionnaires. Ils sont libres
de se la distribuer sous forme de dividendes ou de la réinvestir dans lentreprise
pour susciter une plus value durable.
La prime de risque apparente π , supérieure à la prime de risque déquilibre, est pour
les nouveaux projets :
(25) π
> (i +
π)pK/pK
- i
Des déséquilibres se manifestent alors sur plusieurs marchés.
Ils suscitent des évolutions à moyen terme visant à restaurer les équilibres :
- si les actionnaires estiment durable laccroissement du profit de
lentreprise, le cours de laction va croître. Les actionnaires anciens font
une plus value " extra ", supérieure à celle quapporte
normalement lautofinancement. Les nouveaux actionnaires, acheteurs dactions
" doccasion ", paieront leurs actions plus cher et
bénéficieront seulement dans le futur de la prime de risque déquilibre
π.
- sil y a libre entrée (ce que nous supposons) des entreprises nouvelles
vont se créer, attirées par la rentabilité π
du capital " frais " dans ce secteur. Cela fera
diminuer le prix p.
la quasi rente est constatée par les salariés. Ils vont dans les négociations
réclamer un accroissement du salaire w. Ceci ne pourra toutefois avoir lieu que si la
quasi rente sétend à de nombreux secteurs en raison du caractère macroéconomique
du marché du travail.
A moyen et long terme, si lon suppose inchangés les
déterminants de la prime de risque, les évolutions de p et éventuellement de w la
ramèneront à son niveau déquilibre et lon retrouvera la norme de profit.
Le cours des actions correspondra alors à la prime de risque
déquilibre ; il reviendra au niveau antérieur augmenté de la plus value
procurée par lautofinancement.
Cette évolution inéluctable rend problématiques les
anticipations de profit des actionnaires : il se peut quils aient tendance à
croire durable un niveau de prix qui ne pourra pourtant pas être maintenu. Dans ce cas,
ils surestiment lentreprise, et le retour à la normale saccompagnera
dune baisse du cours de laction.
A court terme, et dans lattente des ajustements qui
ramèneront les marchés vers léquilibre, le partage de la valeur ajoutée se
déforme en faveur des actionnaires : la diminution du prix pK du capital
entraîne en effet une substitution du capital au travail. A moyen long terme, le partage
de la valeur ajoutée revient au niveau correspondant aux valeurs déquilibre.
Innovation de procédé
Supposons que lentreprise trouve un meilleur procédé de
production : elle est capable de produire avec le même capital et le même
travail une quantité Y > Y.
A court terme, le prix p et le salaire w ne changent pas. Il en
résulte un accroissement du profit permettant de dégager une quasi rente :
(26) pY = wL + rK, avec r > (i +
π)pK
On peut appliquer un raisonnement analogue au précédent, à
quelques nuances près :
- linnovation de procédé sapplique non aux projets nouveaux, mais à
toute lentreprise, puisquelle est supposée ne pas nécessiter de technique
nouvelle. La nouvelle prime de risque concerne donc non les nouveaux projets, mais la
totalité du capital qui se valorise dautant.
- linnovation de procédé est plus aisément mise en uvre dans
lensemble du secteur que linnovation incorporée au capital : la
dynamique dajustement du prix est plus rapide que celle induite par une innovation
incorporée au capital.
- linnovation de procédé entraîne à court terme un accroissement de la
part du capital dans la valeur ajoutée, puisque les actionnaires perçoivent, outre la
rémunération normale du capital, une quasi rente.
* *
Observons que dans les deux cas (innovation incorporée au
capital ou innovation de procédé) la hausse immédiate de la prime de risque, qui
entraîne rapidement une hausse du cours des actions, nest que temporaire : la
dynamique lente des prix et des salaires la ramène vers son niveau normal. Ainsi la quasi
rente est éphémère : linnovation, après avoir permis aux actionnaires de
réaliser des plus values, finit par bénéficier aux consommateurs (par le biais des
baisses de prix) et / ou aux salariés.
Si le flux dinnovations est renouvelé en permanence,
lécart peut toutefois se renouveler lui-même. Tant que le flux dinnovations
se poursuit, le partage de la valeur ajoutée est plus favorable au capital quà
léquilibre, et les actionnaires perçoivent la quasi rente qui sajoute à
leur rémunération normale. Cependant ce flux dinnovations permanentes finit lui
aussi par susciter, à terme, une baisse du prix des produits et une hausse du pouvoir
dachat des salaires.
On peut pour illustrer ce type de phénomène utiliser le
formalisme de la croissance endogène (Romer, Arrow). Considérons un secteur où la
fonction de production des entreprises est de Cobb-Douglas, lun des facteurs de
production étant lexpérience acquise At :
(27) Yt = aKt
On peut appliquer un raisonnement analogue au précédent, à
quelques nuances près :
- linnovation de procédé sapplique non aux projets nouveaux, mais à
toute lentreprise, puisquelle est supposée ne pas nécessiter de technique
nouvelle. La nouvelle prime de risque concerne donc non les nouveaux projets, mais la
totalité du capital qui se valorise dautant.
- linnovation de procédé est plus aisément mise en uvre dans
lensemble du secteur que linnovation incorporée au capital : la
dynamique dajustement du prix est plus rapide que celle induite par une innovation
incorporée au capital.
- linnovation de procédé entraîne à court terme un accroissement de la
part du capital dans la valeur ajoutée, puisque les actionnaires perçoivent, outre la
rémunération normale du capital, une quasi rente.
Observons enfin que dans les deux cas (innovation incorporée au
capital ou innovation de procédé) la hausse immédiate de la prime de risque, qui
entraîne rapidement une hausse du cours des actions, nest que temporaire : la
dynamique lente des prix et des salaires la ramène vers son niveau normal. Ainsi la quasi
rente est éphémère : linnovation, après avoir permis aux actionnaires de
réaliser des plus values, finit par bénéficier aux consommateurs (par le biais des
baisses de prix) et / ou aux salariés.
Si le flux dinnovations est renouvelé en permanence,
lécart peut toutefois se renouveler lui-même. Tant que le flux dinnovations
se poursuit, le partage de la valeur ajoutée est plus favorable au capital quà
léquilibre, et les actionnaires perçoivent la quasi rente qui sajoute à
leur rémunération normale. Cependant ce flux dinnovations permanentes finit lui
aussi par susciter, à terme, une baisse du prix des produits et une hausse du pouvoir
dachat des salaires.
On peut pour illustrer ce type de phénomène utiliser le
formalisme de la croissance endogène (Romer, Arrow). Considérons un secteur où la
fonction de production des entreprises est de Cobb-Douglas, lun des facteurs de
production étant lexpérience acquise At :
(27) Yt = aKt αLt1-αAtγ
Lexpérience est, comme le capital, une variable de
stock ; dans un même secteur, on peut supposer les variables de stocks corrélées
au capital. Il est alors naturel dapprocher la mesure de lexpérience acquise
par celle du capital.
Lexpression de Y devient :
(28) Yt = aKt α+γLt1-α
Le rendement est alors croissant (1 +
γ > 1), et on est nécessairement en situation de concurrence monopoliste
(certains auteurs pensent toutefois ce rendement croissant compatible avec la concurrence
parfaite, le rendement croissant jouant au niveau sectoriel mais non à celui de
lentreprise considérée individuellement).
Supposons que la croissance endogène devienne plus rapide dans
le secteur considéré. La part du capital dans la valeur ajoutée devient alors
durablement supérieure, car daprès (22) :
(29) rK / pY = (α +
γ) /(1 + γ), et α < 1.
Évolution
de
la capitalisation boursière
La rémunération " normale " dune
action, cest TRI (=) i + π , où
i est le taux dintérêt du marché et
π la prime de risque caractérisant lentreprise considérée. (10) et
(11) fournissent la valeur déquilibre de la prime de risque. Si lentreprise
est endettée, la prime de risque et le risque lui-même sont modifiés par leffet
de levier ; toutefois un actionnaire rationnel doit corriger cet effet pour évaluer
lentreprise : pour son propre arbitrage entre rendement et risque, il est
indifférent que ce soit lentreprise ou lui-même qui sendette.
La capitalisation boursière dune entreprise,
cest-à-dire la valeur que lui attribue le marché boursier, cest la valeur de
ses profits futurs actualisés par le TRI " normal ".
Lanticipation des profits comporte une incertitude que la prime de risque a pour
rôle de rémunérer. Elle peut en outre, si lactionnaire fait une erreur de
jugement (hypothèse que lon ne peut exclure sagissant danticipations),
comporter un biais qui altère lévaluation de lentreprise.
Lorsque se produit une innovation incorporée au capital, ou une
innovation de procédé, ou encore une accélération de la croissance endogène, le
délai dajustement des prix ouvre un intervalle de déséquilibre favorable au
profit, donc aux actionnaires. Le marché qui sajustera le plus vite, avant que les
autres marchés ne soient en équilibre, cest le plus volatil, celui des actions. La
valeur de laction croîtra dans des proportions diverses selon que le marché
perçoit la hausse du profit comme :
- temporaire (" bosse " avant retour au niveau antérieur),
- durable (" marche descalier " portant le profit à un
niveau où il restera),
- extrapolable (laccroissement récent se prolongera).
Durant cet intervalle de déséquilibre, lévaluation des
actions est difficile. Si le phénomène touche plusieurs secteurs et plusieurs
entreprises, le marché peut avoir des anticipations optimistes et exiger en outre de
toutes les entreprises (y compris de celles qui ne dégagent pas de quasi rente) des
profits élevés. Lévaluation des entreprises sécarte de la mesure de leur
actif net, les entreprises jugées obsolètes subissant une dépréciation, les
entreprises innovantes bénéficiant dune valorisation.
La hausse du profit est synonyme dune modification du
partage de la valeur ajoutée en faveur des actionnaires : étant propriétaires de
lentreprise, ils sont propriétaires du profit quelle dégage. Sil
ny avait pas de fluctuation du partage de la valeur ajoutée, donc du profit, la
capitalisation boursière croîtrait comme le capital des entreprises, donc comme le PIB
si lon suppose le flux de valeur ajoutée proportionnel au capital.
A terme toutefois, la concurrence et la libre entrée
entraînent un ajustement des prix (baisse de p dabord, puis hausse éventuelle de
w) ramenant la rémunération du capital à son niveau normal. La capitalisation
boursière des entreprises redevient égale à la valeur de leur actif net.
Linnovation a apporté aux actionnaires une " bosse " temporaire
de revenu, mais finit par bénéficier aux consommateurs et aux salariés à travers la
baisse du prix, et éventuellement la hausse du salaire.
Le cours des actions revient à son niveau initial, accru
toutefois des plus values accumulées par autofinancement. La quasi rente a disparu. Les
actionnaires qui ont acheté lorsque les cours étaient à leur sommet sont les grands
perdants de cette histoire.
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