Lesley Blanch (1904-2007) avait été fascinée,
petite fille, par un ami de ses parents qu’elle appelle « le Voyageur ». Ce
Russe à demi tatare aux activités mystérieuses, sans doute agent
secret, lui inspira un amour passionné pour la Russie et pour tout ce qui est
russe.
Quel contraste en effet entre le rêve d’une Sibérie
enneigée, de longs voyages dans le transsibérien, de chevauchées effrénées dans
la steppe, et la vie d’une jeune fille anglaise cultivée ! Cet amour pour la
littérature, la musique, l’architecture, les paysages, la langue et le caractère
même des Russes – qu’elle perçoit comme des personnages romanesques, généreux,
toujours prêts aux entreprises et aux rêves les plus extrêmes –, cet amour
orientera toute sa vie.
Mais la Russie qu’elle aimait était celle du
XIXe siècle. Quand elle pourra visiter l’URSS elle sera à la
fois enchantée et déçue – enchantée par ce qu’il y restait de sa Russie, déçue par le système soviétique.
* *
Les pays que nous aimons nous font rêver – qui n’a jamais rêvé d’Italie, d’Espagne, de Chine, de Russie ?
L’image
que nous nous en faisons est-elle réaliste ? Peu importe : sa présence dans
notre esprit, elle, est réelle, et d’une façon ou d’une autre elle a été émise
par ces pays-là. La Russie qu’a rêvée Lesley Blanch n’est pas plus fausse que la
Russie réelle : elle se situe sur un autre plan. Peut-on, d’ailleurs,
comprendre vraiment un pays sans l’avoir rêvé ? Peut-on comprendre la France
sans la rêver ?
Le plus beau passage du livre - toute l’énergie du texte
s'y condense - est celui où Lesley Blanch va avec le
Voyageur dans un restaurant russe de Paris pour entendre de la musique
tzigane. On partage l'ennui d'une longue attente – que déchire
soudain un cri sauvage, irruption d’une musique qui l’arrache à elle-même pour
la transporter dans un monde de passions, de souffrances et de plaisirs extrêmes
– de cette musique instinctive et si savante, vivante et si ancienne qui tend, à qui sait entendre, la
clé du destin. |