Ce livre fournit une histoire
vivante de l'industrie du logiciel et il comporte d'utiles références
bibliographiques. Il est bien écrit (et bien traduit par Pierre Mounier-Kuhn),
avec une agréable pincée d'humour britannique.
Campbell-Kelly propose une
classification des logiciels en trois catégories qui se sont épanouies
successivement et qui cohabitent aujourd'hui : les logiciels sur mesures, les
produits logiciels et les logiciels grand public.
Les logiciels sur mesures
L'industrie a commencé dans les
années 50 par la production de logiciel sur mesures pour des entreprises. Cette
activité existe toujours, c'est à elle que se consacrent les grandes SSII.
Puis les fournisseurs de
logiciels ont voulu rationaliser la production de code en concevant des
« packages » réutilisables, outils de production internes.
Des « brokers » se sont créés
pour en faire commerce, mais comme ces produits internes n'avaient pas la qualité
nécessaire pour être mis sur le marché cette formule a échoué.
Les produits logiciels
Pour qu'un produit interne
puisse être commercialisé, il fallait qu'il fût « industrialisé », c'est-à-dire
sécurisé, documenté, mis à la portée d'utilisateurs d'un degré d'expertise moyen
auxquels il faudrait en outre dispenser une formation. Après un effort
(considérable) d'industrialisation, les « packages » ont pu être mis sur le
marché et vendu comme des produits : ainsi l'offre de logiciel est passée du sur
mesures à la confection (« produits de bonne qualité, mal ajustés », p. 86). Ces
produits, étant destinés
aux entreprises et analogues à des biens d'équipement, se vendent en
petit nombre et pour un prix unitaire élevé.
Campbell-Kelly les classe en
deux familles :
- des logiciels système qui facilitent l'utilisation de la ressource
informatique (systèmes d'exploitation, SGBD, moniteurs de télétraitement, aides
à la programmation, utilitaires etc.),
- des logiciels applicatifs destinés soit à une profession (« manufacturing »,
banques etc.), soit à une fonction dans l'entreprise (paie, approvisionnement,
comptabilité etc.).
Les clients sont les directions
informatiques des entreprises, pour qui ces produits sont comme des
machines-outils. La standardisation de facto des ordinateurs, permise par
le lancement de la gamme 360 par IBM en 1967, ainsi que la vente des logiciels
par IBM à partir de 1970, ont facilité ce commerce.
On estimait que la durée de vie
d’un package était de cinq ans. Lorsque cette prévision était dépassée la
rentabilité était élevée (p. 135). La production des produits logiciels n’est
pas « à coût fixe » en raison
de l’importance des coûts de commercialisation.
Au début des années 70 une
partie de la compétence d’un informaticien résidait dans la connaissance du
catalogue de produits logiciels offerts sur le marché. Une
partie de la compétence des SSII résidait dans la conception de solutions
qui « intégraient », ou articulaient, des logiciels sur-mesure avec des produits
logiciels du marché.
Les logiciels grand public
La micro-informatique crée dans
les années 80 le troisième segment de l'industrie du logiciel. Elle alimente
le grand public en progiciels (traitement de texte, tableur, logiciel graphique,
messagerie, navigateur, jeux etc.). La production de progiciels est « à coût
fixe » en raison de l'ampleur des débouchés et des techniques de
commercialisation de masse ; les prix sont beaucoup plus bas que pour les
produits logiciels (p. 118). Certains produits grand public seront utilisés par
les entreprises : ils équiperont la bureautique et les PC en réseau.
* *
Plutôt que de fatiguer le
lecteur par des listes d'entreprises et de produits, Campbell-Kelly a préféré
présenter des études de cas sur quelques produits et quelques entreprises
judicieusement choisis. Cela contribue à l'agrément du livre, très vivant et
toujours intéressant.
Beaucoup de personnes ont
abordé l'informatique à travers le PC et les logiciels grand public. Il en
résulte une mauvaise évaluation des proportions que comporte l'industrie du
logiciel : Campbell-Kelly estime ainsi que l'on parle trop de Microsoft (dont
bien sûr il ne nie pas l'importance) et pas assez des fournisseur de produits
logiciels, par exemple SAP. Il restaure donc la place de la « grande
informatique » dans cette industrie.
Notons cependant une lacune.
L'histoire que décrit Campbell-Kelly s'arrête en 1995, mais il ne parle pas de
la bureautique communicante qui était
déjà en place avec la messagerie, la documentation électronique, le workflow,
bref le groupware dont Lotus Notes fut la réalisation la plus brillante.
Cette informatique de communication, située
dans la gamme de prix des logiciels grand public, posait les mêmes questions
d'intégrité, de cohérence, de synchronisme que la « grande informatique » et
prenait place aux côtés de celle-ci dans la plate-forme des systèmes d'information. L'évolution ainsi
amorcée se confirmera avec l'Intranet. |