La révolution française a-t-elle été un événement historique
important ? a-t-elle été utile ? François Furet,
Bernard-Henri Lévy et quelques autres ont répondu par la négative. La révolution
n'a pas été utile, disent-ils, car la société française aurait pu évoluer,
s'industrialiser, se moderniser sans passer par un épisode aussi destructeur.
Par ailleurs, ajoutent-ils, ses conséquences ont été moins importantes qu'on ne
le dit : après la révolution, l'évolution de la société a repris son cours
normal comme si rien ne s'était passé. Au total, elle n'a donc constitué qu'un
immense et déplorable gâchis.
Pourtant, dit Hobsbawm, les historiens et penseurs du XIXe
siècle, plus proches que nous de l'événement et donc mieux à même d'évaluer son
importance, ont vu dans la révolution une rupture fondamentale - les uns pour la
déplorer, d'autres pour s'en féliciter. Parmi ces derniers la plupart ont estimé
que les excès de la révolution, certes regrettables, n'étaient pas un prix trop
élevé pour les progrès qu'elle avait permis.
La révolution française a par la suite servi de référence, de
modèle, aux révolutions ultérieures et en particulier à la révolution russe. Les
bolcheviks ont analysé les événements qui se produisaient sous leurs yeux en se
référant, d'une façon d'ailleurs quelque peu mécanique, à ses épisodes et ses
personnages : Thermidor, le 18 Brumaire, Robespierre, Danton, Bonaparte etc.
* *
Qu'est-ce donc qui a poussé Furet, Lévy et quelques autres,
aux alentours de la commémoration de 1989, à dénigrer de la sorte la révolution
française ?
Ils voulaient en fait dénigrer la révolution elle-même,
prouver l'inutilité radicale de toutes les révolutions. Sans doute était ce
un retour de balancier après les excès de l'esthétisme révolutionnaire de 1968 ;
il s'agissait aussi de ne pas se sentir complice des horreurs du
goulag - horreurs qu'ils plaquaient, de
façon rétrospective mais sans respect envers les proportions, sur la révolution
française elle-même et, par extension, sur toute révolution possible.
À l'esthétisme révolutionnaire, certes naïf et sans doute
coupable, ils substituaient sous prétexte de compassion envers les victimes un
esthétisme réactionnaire à prétention moralisante.
Ainsi des préoccupations politiques et symboliques
contemporaines conditionnaient l'évaluation d'un phénomène historique et
militaient pour nier son importance comme son utilité. Or dénigrer la révolution
n'aide en rien à comprendre la coupure qu'elle a introduite dans notre histoire,
ni à surmonter le conflit de valeurs qu'elle a suscité.
Hobsbawm, analysant l'historiographie de la révolution, montre
le caractère éphémère de la tentative de François Furet. Le mouvement d'idées
que celui-ci a tenté de lancer est resté sans lendemain parmi les historiens
mais il a encore des échos dans les médias : lire Hobsbawm aide à décrypter les
propos du fameux BHL, de Glucksman et autres "philosophes" médiatiques. |