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Commentaire sur :
Denis Lorieux, Saint-Simon, Perrin 2001

10 septembre 2003


Liens utiles

- Madame Palatine, princesse européenne
- Louis XIV, l'envers du soleil
Enfin quelqu'un qui aime Saint-Simon ! (le duc de Saint-Simon (1675-1755) et non le marquis (1760-1825) qui fonda le "saint-simonisme" dont Pierre Musso parle dans Télécommunications et philosophie des réseaux : la postérité paradoxale de Saint-Simon, PUF 1997).

Les Mémoires de Saint-Simon sont un continent que l'explorateur ne parcourt pas du premier coup. La première tentative m'a rebuté et intrigué : rebuté parce que je ne comprenais ni cet homme, ni ses préoccupations, ni son écriture ; intrigué parce que dans cette masse opaque s'ouvraient quelques fenêtres lumineuses, quelques pages qui parlaient avec une énergie que je n'avais rencontrée chez aucun autre.

Je suis revenu souvent à ce livre étrange. Les fenêtres se sont peu à peu élargies et enfin le texte s'est éclairé dans son entier. Alors j'ai dévoré avec un égal plaisir, dans un délicieux rendez-vous quotidien de lecture vespérale, son conflit avec le duc du Maine, son amitié avec les ducs de Chevreuse et de Beauvillier, son alliance amicale avec le duc d'Orléans et le duc de Bourgogne, ses relations avec Louis XIV, ses analyses stratégiques et juridiques, ses procès, son ambassade en Espagne (avec description détaillée de l'étiquette espagnole), ses anecdotes comiques comme la chute de cheval de M. Rose (vol. I, p. 806) ou telle autre histoire scatologique à souhait, ses portraits du duc de Luxembourg, de Villars, de Catinat, de Lauzun, du comte de Toulouse, la description de la séance du Parlement qui détruisit les espérances du duc du Maine, la conspiration de Cellamare, l'arrestation du duc de Villeroy, l'affaire Law, j'en passe et j'en oublie.

Je suis revenu souvent chez Saint-Simon. J'aime sa phrase dont l'élan disloque la syntaxe. J'admire le psychologue, le sociologue, le stratège, l'économiste, le juriste, l'homme d'Etat et son coup d'oeil.

Oui, j'ai dit l'homme d'État. On a reproché à Saint-Simon de ne pas avoir fait carrière. Pardi, il n'en a pas voulu ; mais il a donné des conseils judicieux et, s'il n'a pas toujours été écouté, il l'a été assez pour que son influence soit décisive. On lui a reproché aussi de ne pas être un démocrate : mais s'il savait tenir son rang il savait respecter autrui.

Dans la société d'ancien régime, qu'il fait revivre, la fonction suprême, royale, se transmettait à l'intérieur d'une même famille dans l'ordre de la primogéniture des mâles. Cette règle, qui a permis d'éviter des guerres et de construire la France, n'est ni plus ni moins arbitraire que le processus qui contraint l'homme politique à se transformer en marionnette médiatique pour glaner des voix. Il est vrai que, comme le montrent les lettres de la princesse Palatine, les personnes de la haute aristocratie étaient souvent névrosées : mais ce n'était pas le cas de Saint-Simon.

Ma première lecture a été contrariée par les commentaires condescendants de Gonzague Truc, premier éditeur de Saint-Simon dans la collection de La Pléiade. Il l'appelle "notre Duc", le chipote sur des détails de dates et de lieux, lui oppose un moralisme simplet. Il est pénible de voir un cuistre juger et maltraiter ainsi un écrivain, un homme d'Etat qui le dépasse cent fois (Chateaubriand a été traité de la même façon par d'autres éditeurs). La deuxième édition, préparée par Yves Coirault, est plus sérieuse. Elle m'a permis de jeter Gonzague Truc à la poubelle, avec rage, avec plaisir !

Lorieux parle de Saint-Simon avec la sympathie et l'amitié qu'il mérite. Son livre est un utile complément à la lecture des Mémoires. Il décrit un contexte que Saint-Simon pouvait croire connu de tous mais que notre époque ignore bien sûr. Il analyse son style, sa personnalité, son rôle et comble certains silences des Mémoires.

L'écriture de Lorieux est intéressante, comme si son modèle l'avait inspiré : certaines descriptions, à première vue un peu longues, méritent la lecture attentive qui permet d'en extraire le charme.