Ce petit livre est un bijou où
se
condense, avec simplicité et clarté, une expertise approfondie.
Passer par le vocabulaire,
c’est sans doute la meilleure façon d’aborder un penseur. Sa pensée pivote en
effet autour de quelques termes auxquels il confère un sens très précis, souvent
différent du sens usuel. Les comprendre permet d’éviter d’entrée les contresens
les plus tentants.
Mais pour présenter exactement
le vocabulaire d’un penseur il faut avoir assimilé et compris sa pensée. C’est
ce qu’a fait Pierre Musso qui pourrait, je crois, réciter par cœur l’œuvre de
Saint-Simon (1760-1825).
Saint-Simon appartient à la
génération qui enjambe l’ancien régime, la révolution, l’empire et la
restauration. Cette génération a été instruite par une expérience mouvementée,
cruelle mais exceptionnellement riche. Elle a découvert la république et aussi
la machine, sur laquelle s'est bâtie à l'époque une « nouvelle économie ».
Saint-Simon a construit la
théorie et de cette « nouvelle économie », et de la société nouvelle dont elle
était le socle. Il a redéfini en conséquence les rôles du gouvernement, de la
science, de la morale et de l’industrie.
Ce dernier mot, industrie,
joue dans sa pensée un rôle central. C’est aussi celui sur lequel le risque de
contresens est le plus élevé. Saint-Simon lui donne un sens proche de
l’étymologie, et que l’on peut traduire dans notre langage par
« travail productif agissant sur la nature » - à condition encore de comprendre
que le mot « production » désigne pour lui la « production d’utilité », de
« choses utiles », biens et services contribuant au bien-être de la
société comme des individus.
On ne doit pas lire Saint-Simon
en enfermant « industrie » dans le réseau des connotations aujourd’hui usuelles,
qui le placent au voisinage exclusif des mots « usine », « mécanique » et
« chimie » : le service produit par une banque est pour
Saint-Simon une industrie. Le meilleur équivalent de ce terme serait finalement « entreprise » si,
comme je le fais, on voit dans l'entreprise « le lieu où le travail des êtres
humains s’organise afin d'agir sur la nature pour en obtenir des résultats
utiles ».
La pensée de Saint-Simon,
véhiculée mais quelque peu déformée par les saint-simoniens, a fourni son ressort
intellectuel au développement économique français du XIXe siècle.
Elle a par ailleurs inspiré des penseurs comme Auguste Comte (1798-1857), Stuart
Mill (1806-1873), Karl Marx (1818-1883) etc.
Il est utile aujourd'hui de
l’étudier sérieusement : ne sommes nous pas confrontés à une autre « nouvelle
économie », avec ses possibilités et ses risques ? Ne devons-nous pas renouveler
nos institutions, et ne faut-il pas pour cela renouveler notre réflexion ?
|