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Commentaire sur :
Voltaire, Le siècle de Louis XIV, LGF 2005

15 février 2007

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Pour lire un peu plus :

- Louis XIV - L'envers du soleil

-
Saint-Simon
- Madame Palatine

Ce livre est un grand classique mais après Voltaire la documentation sur le règne de Louis XIV s’est accrue : avec les Mémoires de Saint-Simon et les Lettres de la princesse palatine, nous disposons de témoignages de première main qu’il n’a pas pu connaître.

Il est vrai qu’il a interrogé des acteurs du XVIIe siècle, sans doute ceci compense-t-il en partie cela. Mais le plus intéressant dans ce livre, me semble-t-il, c’est moins ce qu’il dit sur le XVIIe siècle que la façon dont il est écrit et ce qu’il révèle sur Voltaire lui-même.

*     *

Loin de l’architecture serrée et de la richesse des références auxquelles les historiens nous ont habitués, Voltaire écrit dans un style sautillant qui abonde en coqs-à-l’âne et en digressions. Les réflexions sont courtes, à peines effleurées, jamais développées. Alors que « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable[1]», il s’appuie pour trancher du vrai et du faux sur des vraisemblances qui font appel au bon sens du lecteur, que l'auteur invite à douter comme il le fait lui-même.

Ce style, on le reconnaît : c’est celui de la conversation, du « bon goût » tel qu'il se pratiquait alors dans les salons de la bonne société et dont le but premier était d’intéresser les femmes, supposées aussi ignorantes que fines. Vif et rapide comme une escrime, volontiers ironique, ce style évite la difficulté comme la lourdeur et suggère plus qu’il ne développe.

La lecture réveille ainsi un monde de séduction et de légèreté. Il n’y était pas interdit sans doute d’être profond – certaines des courtes réflexions de Voltaire donnent à penser – mais assurément il ne convenait pas de se montrer profond. Il fallait aussi éviter le mot exact lorsque, désignant clairement son objet, il risquait de choquer des personnes délicates : pour parler de la fistule à l’anus de Louis XIV Voltaire dit ainsi « une fistule au dernier des intestins », périphrase ingénieuse mais qu’une personne éprise de précision pourra juger ridicule.

Son discernement en littérature est ferme mais étroit. Tout ce qui a été écrit avant le XVIIe siècle lui semble barbare. Son préféré est Racine dont il apprécie la sobriété et la musicalité ; il aime aussi la « naïveté » de La Fontaine et les comédies de Molière. Ces jugements nous sont familiers : sans doute ont-ils été repris par ceux qui, par la suite, ont voulu classer les œuvres du XVIIe siècle, et ont-ils amorcé la tradition pédagogique qui sera transmise par les lycées.

*     *

Le « bon goût », la « bonne société », voilà ce qui convient à Voltaire. Il se méfie des « brutes » au langage grossier – c’est-à-dire du peuple, des paysans, des simples soldats, qu’il convient selon lui de tenir fermement en respect. Il n’aime pas les protestants, trop discuteurs pour son goût et trop proches de la démocratie. S’il admire tant Louis XIV, c’est qu’il voit en lui le modèle du monarque absolu dont l’autorité, garantissant l’ordre social, permet de tenir dans des salons bien meublés, entre gens élégants au vocabulaire sobre, d’agréables et paisibles conversations.

Voltaire n’est donc pas un démocrate, ni même un partisan de la monarchie constitutionnelle. Cependant le monarque n’aura son approbation que si ses actions sont conformes au jugement qui s’exprime dans la conversation entre personnes bien élevées, ce qui interdit à l’exercice de son pouvoir les extrêmes de la barbarie et de l’arbitraire. Il faut rendre justice à Voltaire : lorsqu’il rencontrera de tels extrêmes il saura protester avec courage.

*     *

Après cette lecture je ne conçois pas que certains aient pu voir en Voltaire un précurseur de la Révolution. S’il l’avait vécue il aurait certainement détesté sa brutalité populacière et sans doute lui aurait-elle coupé le cou, comme elle coupa celui de tant de ces personnes élégantes avec lesquelles il aimait à converser.

On aimera Voltaire si l’on aime la conversation, où il est maître ; on s’éloignera de lui si l’on aime la réflexion solidement construite. Comme la respiration de notre esprit les fait alterner, tantôt nous serons complices d’une ironie qui détend les exigences du sérieux, tantôt elle nous irritera : alors nous lui préférerons Rousseau et Diderot, dont le compas englobe les siècles suivants tandis que Voltaire adhère étroitement à son propre siècle, le siècle de Voltaire.


[1] Boileau, L’art poétique, 1674.