Un de mes amis a lu, ou du
moins feuilleté, De
l'Informatique. Je lui ai demandé ce qu’il en pensait et il m’a répondu
« c’est autobiographique ».
Je n’ai pas compris tout de
suite ce qu’il voulait dire. L’amour qui est, comme dit Stendhal, « la plus
grande des affaires, ou plutôt la seule »,
occupe une large place dans toute autobiographie. Or
De l'Informatique ne dit
rien sur mes amours. Alors comment a-t-il pu le qualifier
d’« autobiographique » ?
J’ai fini par entrevoir ce
qu’il voulait dire. Une des règles qui nous ont été enseignées en seconde, c’est
d’éviter dans nos dissertations la première personne du singulier : il fallait
être objectif.
Il n’est sans doute pas mauvais de
discipliner l’imagination juvénile mais cette règle a des inconvénients. Quel
que soit l'objet considéré, et même quand il s’agit de mathématiques, on l’aborde
toujours en partant d’un point de vue particulier et pour que le lecteur puisse
interpréter un texte, il faut qu’il puisse connaître le point de vue de
l’auteur.
Si un auteur entend être
pleinement objectif il doit donc décrire non seulement l’objet dont il parle
mais aussi le point de vue duquel il le considère. Certes, c’est prêter le flanc
à la critique puisque tout point de vue est partiel : cette vulnérabilité à la
critique, n’est-ce pas la « falsifiabilité » dans laquelle Karl Popper voit
le critère de la scientificité ?
Indiquer un point de vue permet au lecteur d’adopter sur l’objet considéré, par différence, son propre
point de vue. C’est, en fait, la seule forme d’objectivité qui soit possible
[2]. Les textes qui n’indiquent pas le point de
vue de l’auteur sont donc partiels et, s’ils suggèrent que l’auteur
n’a aucun point de vue, menteurs. Quand il a dit « le moi est haïssable
»
Pascal pensait à l’amour propre, et non à l’honnête modestie de l’auteur qui
donne toutes les cartes au lecteur.
Il vous est sans doute souvent
arrivé, après avoir lu un livre intéressant mais que vous ne parveniez pas à
comprendre entièrement, de fouiller une encyclopédie pour mieux connaître
l’auteur et trouver comment une démarche qui vous semble étrange a pu lui
être naturelle : vous n’auriez pas eu à prendre cette peine si l’auteur avait
explicité son point de vue.
Cette explicitation doit être
pudique. Il ne s’agit pas d’étaler des digressions, ni moins encore d’exhiber
une intimité dont le lecteur n’a que faire.
* *
De l'Informatique n’est pas
autobiographique et cet ami m’a mal compris ou mal lu.
J’ai indiqué mon point de
vue, qui est celui des maîtrises d’ouvrage, des utilisateurs du système
d’information – utilisateurs qui, aujourd’hui, doivent s’y connaître assez pour
être des clients compétents de l’informatique. J’ai, pour donner des
exemples, puisé dans mon expérience et dans les confidences reçues d’autres
professionnels.
Le lecteur dont le point de vue
et l’expérience sont différents des miens pourra ainsi me critiquer et, je
l’espère, aller plus loin que moi. Quand on écrit un livre, ce n’est pas pour
être admiré ni même pour être compris : c’est pour être dépassé,
comme un coureur qui passe le relais.
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