Éric Besson a quitté l’équipe de Ségolène
Royal, puis le PS, parce qu’il ne supportait plus les méthodes de la candidate.
Il s’en explique dans Qui connaît Madame Royal ?, Grasset 2007. Certains
de ses anciens camarades s’en offusquent et parlent de « trahison » -
mais avant de s'offusquer, il seraient bien avisés de le lire et de méditer son
propos.
Ayant travaillé comme expert pour des
dirigeants politiques et des stratèges d’entreprise, puis ayant rempli des
fonctions de stratège, je connais bien la relation entre l’expert et le décideur
(voir
Expertise et
décision).
L’horizon du décideur doit être large de
sorte qu’il puisse faire la synthèse des expertises puis décider après avoir
pesé les enjeux. L’horizon de l’expert est par contre focalisé sur une
spécialité : il produit des analyses approfondies, mais étroites. La coopération
entre le décideur et l’expert ne peut être féconde que si chacun se tient à son
rôle : il ne revient pas à l’expert de décider, il convient pas que le décideur
prétende à l’expertise. En outre chacun doit savoir écouter et respecter
l’autre.
Parmi les décideurs pour qui j’ai travaillé,
la plupart ont respecté mon expertise même s’ils n’ont pas toujours suivi mes
recommandations : c’est ainsi que j’ai collaboré avec Philippe Herzog, François
du Castel, Christian Blanc et Michel Bernard.
Mais d’autres auraient voulu que je
fournisse, pour appuyer leurs décisions souvent versatiles, des plaidoyers
fallacieux. Un directeur de cabinet à qui je disais ne pas pouvoir étayer une
décision que je jugeais erronée, mais que le ministre souhaitait prendre, m’a
dit « tu dois d’abord la croire judicieuse, ensuite tu pourras la
défendre ». Il existe des experts à qui cela ne poserait aucun problème
(voir La grande
désillusion).
Certains conçoivent la politique comme un
jeu médiatique :
ne jamais se faire prendre en défaut, présenter toujours une belle image,
retourner prestement sa veste au bon moment. « Lui, c’est un politique ! », me
disait-on avec admiration (cela voulait dire « toi, tu n’es pas un politique »).
Mais si de tels habiles accaparent le pouvoir, qui prendra soin du pays ?
* *
Que l’expert méprisé par le politique lui
rende son mépris, cela choque ceux qui pensent que le politique, sacré par
l’élection ou par la nomination, appartient à une espèce supérieure et mérite
une obéissance inconditionnelle. Mais comme on ne peut s’appuyer que sur ce qui
résiste, la servilité est le plus mauvais service que l’on puisse lui rendre.
Éric Besson, ayant vu les choses de près,
estime qu’il serait dangereux que Mme Royal accédât à la fonction
présidentielle. Certes il peut se tromper mais si telle est sa conviction son
devoir civique était de l’exprimer, car l’enjeu est d’importance. Son opinion
est d’ailleurs partagée : un ami énarque m’a écrit « ce que dit Besson
correspond exactement au souvenir que j’ai conservé de Ségolène Royal, que
j’avais bien connue à l'ENA. Elle n'a pas changé ».
Je conçois que l’on soit fidèle à la gauche
mais il ne convient pas d’être fidèle jusqu’à l’aveuglement. Ceux qui disent
aujourd’hui que Besson « trahit » et « crache dans la soupe » auraient
d’ailleurs bien su, si la catastrophe qu’il annonce se produisait, lui reprocher
après coup de n’avoir prévenu personne - et, je le répète, avant de vitupérer
ils seraient bien avisés de le lire.
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