Il fait chaud. Dans les prisons surpeuplées (le
taux d'hébergement maximal est dépassé de 25 %), les conditions de vie
deviennent insupportables. Les gardiens le disent autant que les détenus.
Nous autres citoyens ne pouvons pas nous
désintéresser des prisonniers. Ils ont été enfermés en notre nom pour
protéger la société que nous formons. Mais avons-nous exigé ce sacrifice
humain, cette lente torture infligée à des personnes qui, comme
nous, sont avant tout des êtres humains ?
Certaines personnes pensent que les prisonniers,
ayant fauté, doivent souffrir. Elles estiment qu'il faut tenir ces êtres
dangereux à l'écart de la société, et que peu importe le sort qui leur est
fait. Criminelle hypocrisie, inconscience ! Personne n'est à l'abri
d'une injustice ; chacun peut se trouver demain en prison. Que nous le voulions
ou non, nous sommes solidaires des prisonniers : si ce n'est par humanité, que
ce soit parce que nous sommes tous des détenus en puissance.
* *
Il y aurait un moyen bien simple pour réduire la
surpopulation carcérale : refuser de prendre davantage de prisonniers, tout
comme un hôtel refuse les clients lorsqu'il est complet. Que faire alors du
flux des arrivées ? d'abord, bien sûr, veiller à le réduire. On met en
prison des personnes qui n'ont rien à y faire : consommateurs de drogue ;
malades mentaux qui seraient à leur place dans un hôpital. On pourrait ne pas utiliser la
détention préventive à la légère, ni comme un moyen de pression sur des
suspects (observez que j'écris "suspect" et non "mis en
examen" ou "présumé coupable" ; parler français est un acte de
résistance contre le langage politiquement correct). On pourrait aussi recourir plus largement
aux arrêts à domicile sous surveillance électronique, et libérer
automatiquement les détenus âgés (une personne de plus de 90 ans
peut-elle être dangereuse pour la société ? son état de santé est-il
vraiment meilleur que celui de Maurice Papon ?)
Revenons au flux des arrivées, supposons qu'il
n'y ait plus d'abus ni d'erreurs et que tout ceux que la justice met en prison
le méritent effectivement (hypothèse hardie, mais qu'il faut faire pour la
clarté du raisonnement). Il faut donc les accueillir ; et si les prisons sont
pleines, la seule solution est de libérer des places.
La population qui réside en prison est faite
(sauf en préventive) de détenus condamnés à des peines dont on connaît la
durée. Elle a une démographie : un flux d'entrée, une durée
d'incarcération, un flux de sortie. En régime régulier, le nombre de détenus
est égal au flux annuel des entrées multiplié par la durée moyenne
d'incarcération, mesurée en années. Il suffit donc de réduire cette durée
pour diminuer le taux d'occupation des prisons. On peut calculer le "taux de
réduction des peines" à appliquer pour que l'occupation des prisons ne dépasse
pas la norme. Ce taux doit être mathématique, automatique, impersonnel,
applicable à tous les détenus :
Taux de réduction des peines = 1 - [(nombre
annuel des entrées * durée moyenne de la peine)/nombre des places disponibles]
Comme on n'est jamais en régime régulier (le
flux des arrivées varie, ainsi que la durée moyenne des peines), le calcul est
plus compliqué que je ne l'ai dit : il faut appliquer à la population
carcérale le calcul par cohorte qui est classique en démographie, et le taux de réduction des peines variera dans le temps (si
par exemple le flux
d'arrivée s'accroît brusquement, il faut libérer davantage de
places).
Certains vont crier au scandale : "vous
libérez des détenus avant qu'ils n'aient fini leur peine !". On peut leur répondre :
- "La réduction de peine existe déjà ; pourquoi ne pas l'utiliser davantage ?"
- "Ce sont vos représentants qui votent le budget de la justice, lequel est
alimenté par vos impôts. Si vous voulez davantage de prisonniers, il faut faire voter la construction de nouvelles prisons et non soumettre
les prisonniers à des conditions de vie éprouvantes et contraires à la loi".
Ce raisonnement est mathématique, logique, non
juridique. Mais les magistrats ne sont pas condamnés à ignorer l'arithmétique
ni l'humanité ; le droit peut et doit répondre aux besoins de la société. Il
existe au ministère de la Justice des statisticiens capables de faire le calcul
dont je parle. Il faut supposer enfin que les politiques ne manquent ni de courage, ni
de force de persuasion et qu'ils sont capables d'expliquer cette mesure à
l'opinion.
Alors, qu'est-ce que nous attendons ?
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