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L’intelligence créative

3 mars 2008

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Pour lire un peu plus :

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Le moteur de l'entreprise innovante
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Leçons que procure la chasse aux champignons
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The Art of Memory

La créativité est un mystère. Comme nous tendons spontanément à reproduire nos conditions d’existence nous sommes fondamentalement conservateurs, même ceux qui se disent « de gauche ». Comment se fait-il donc que nous puissions pourtant évoluer ?

Dans toute entreprise, dans toute institution, les forces conservatrices luttent pour assurer la pérennité de l’organisation et, nous le savons bien, les dirigeants ne comprennent jamais rien aux nouveautés. Le raisonnement économique ne suffit donc pas à expliquer qu’il se produise tant d’innovations : pour que l’entreprise se lance dans un projet nouveau il ne suffit pas que l’innovation lui paraisse rentable, il faut aussi que cette rentabilité potentielle ait été comprise ou du moins entrevue. Comment des dirigeants "qui ne comprennent jamais rien aux nouveautés" peuvent-ils pourtant, finalement, comprendre l'intérêt d'une innovation ?

Ces deux mystères sont analogues à celui auquel nous confronte l’évolution des espèces. Si les parents transmettent leurs gènes à leurs enfants, comment se fait-il qu’une espèce puisse évoluer, que les formes que prend la vie puissent se diversifier ? La réponse, on le sait, réside dans les mutations : les gènes ne sont pas tous transmis à l’identique.

Les mutations sont aléatoires, la plupart d’entre elles sont nocives et leurs porteurs disparaissent. Quelques-unes cependant sont tellement positives que leurs porteurs seront avantagés dans la concurrence pour la reproduction : d’où l’évolution.

Ne se produit-il pas dans notre esprit, dans nos institutions, un phénomène analogue à celui-ci et qui expliquerait et la créativité de la pensée chez l'individu, et l'innovation dans l'entreprise ?

*     *

Nous croyons que la pensée réside tout entière dans les concepts et relations logiques entre concepts, qu’elle est donc tout entière explicite. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », disait Boileau. Mais c’est faux ou plutôt incomplet. Avant que la pensée ne s’explicite en concepts, qu’elle ne se mette en forme, elle tâtonne dans l’obscurité.

L’association d’idées, qu’il convient de bannir de la pensée explicite, est le moteur de cette phase préconceptuelle de la pensée. Elle est comme le fumier que nous ne mangeons pas bien sûr, mais qui nourrit les plantes qui nous alimenteront, qui est même indispensable à leur croissance.

Dans les moments de détente, de rêverie qui précèdent ou suivent le sommeil, ou lorsque nous nous laissons aller dans notre bain, des idées, des images, des impulsions se succèdent dans notre esprit. La glande cérébrale les produit spontanément tout comme les glandes endocrines sécrètent des hormones.

L’association d’idées ne suit pas un ordre logique. Suscitée par l’assonance des mots, par la ressemblance des images, elle suit des chemins aléatoires en regard de l’ordre des choses : elle est comme un soc qui laboure et retourne le sol, comme une main qui bat un jeu de cartes.

Parmi les idées, les images qui défilent ainsi dans notre esprit, la plupart n’ont aucun intérêt : elles seraient aussi nocives que ne le sont la plupart des mutations génétiques. Quelques-unes, rares, sont potentiellement fécondes : l’association d’idées a mis en rapport des choses qu’il serait utile de rapprocher, suggéré la démarche ingénieuse à laquelle on n’aurait jamais pensé.

Mais pour repérer, dans le flot d'idées que produit spontanément la glande cérébrale, celles qui sont potentiellement fécondes, il faut encore savoir faire un tri ; c'est le rôle de ce que j'appelle l’intelligence créative, qui suppose une sensibilité d’un type très particulier et aussi l'intervention de la mémoire.

*     *

Certaines personnes perçoivent du relief parmi les idées : elles verront émerger l’association d’idée ingénieuse comme un pic, comme un sommet dont l'apparition suscite en elles une forte émotion. Certains ont décrit l’éblouissement, la sensation de vertige que donne l’émergence de l’idée dont l’intuition anticipe d’un bond la fécondité. Cette émotion grave l’idée dans la mémoire : on ne la lâchera plus, elle orientera l’effort et l’action.

Mais tout le monde n'est pas sensible au relief des idées : certaines personnes, mettant sur le même plan toutes les suggestions que leur cerveau sécrète dans les moments de détente, leur sont également indifférentes. Dans leur esprit, l’Everest lui-même ne semblerait pas émerger du niveau de la mer ; leurs associations d’idées, ne suscitant aucune émotion, restent alors sans conséquence.

D’autres enfin perçoivent du relief mais il est mal placé, comme sur une carte qui serait établie par un géographe mal informé. Elles vont alors s’enticher d’idées stériles, sélectionnées par caprice : elles auront beau s’efforcer, il n’en sortira rien.

*     *

L’émotion devant l’idée féconde est semblable à l’émotion esthétique : la personne sensible à la beauté, à l’harmonie d’une œuvre d’art ou d’un objet artisanal, voit cette œuvre, cet objet, se détacher et briller sur le fond indifférencié de la perception. Ceux qui sont privés de cette sensibilité ne peuvent pas même entrevoir de quoi il s'agit.

On peut simuler l’association d’idées sur l’ordinateur : sauter au hasard d’un document, d’une image à l’autre, brasser des fichiers, il peut faire cela. Mais pourrait-il y mettre du relief, anticiper les conséquences d’un rapprochement, sélectionner enfin les idées les plus fécondes ? Il y faut, semble-t-il, la sensibilité et une capacité anticipatrice dont seuls nous autres êtres humains sommes dotés - ou du moins certains d'entre nous.