(Cet article a été publié dans
la rubrique "débats" du site de l'Expansion,
http://www.lexpansion.com/art/126.0.72949.0.html )
Eurostat produit les
statistiques indispensables pour coordonner les politiques économiques
européennes, suivre l'application du Pacte de stabilité, faire fonctionner la
politique agricole commune, répondre aux besoins d'information des marchés
financiers.
Pour remplir cette mission
stratégique, Eurostat a dû faire flèche de tout bois. Dans l’impossibilité
d’accroître ses effectifs il a eu recours à la sous-traitance ; les compétences
en statistique étant rares, il a dû passer souvent des marchés aux mêmes
entreprises. Les recettes procurées par la vente de données statistiques ont été
affectées à la production de statistiques, ce qui a nécessité une comptabilité
parallèle.
Des règles ont ainsi été
contournées. C’était pour le bien du service et d’ailleurs la réussite technique
d’Eurostat fait l’admiration des professionnels.
L’attaque
Mais à ceux qui veulent détruire
l’Europe, Eurostat offrait une cible opportune. En s’offusquant devant des
« irrégularités » montées en épingle, on pouvait ourdir un « scandale » qui
éclabousserait la commission et qui, bloquant la statistique, bloquerait
l’Europe elle-même. Déjà certains sont passés du doute sur la gestion d’Eurostat
au doute sur la statistique européenne, puis au doute sur la politique qui
s’appuie sur cette statistique.
L’attaque a été amorcée en juin
2003 par des
articles du Financial Times que le reste de la presse a relayé. Les
politiques ont pris peur, et un politique apeuré est comme une bête féroce. Dans
son
discours du 25 septembre Romano Prodi a, pour protéger les commissaires,
chargé à fond Yves Franchet sans manifester le moindre souci envers la qualité
des statistiques. S’il ne conçoit pas l’importance de la statistique pour
l’Europe, comment le président de la commission aurait-il pu comprendre les
priorités d’un directeur général ?
La véritable « affaire »
Oui, il y a une « affaire
Eurostat », mais ce n’est pas celle dont parlent les médias. « L’affaire »
réside non dans le fait que des fonctionnaires aient enfreint des règles qui
leur interdisaient tout travail efficace, mais dans :
- la perversité d'une politique qui réduit les moyens de l'administration
européenne tout en amplifiant ses missions ;
- une réglementation paranoïaque qui contraint les responsables soit à
l'inefficacité, soit à l'irrégularité ;
- la fragilité d’une Europe vulnérable à la « révélation » d'une peccadille,
comme naguère avec l’« affaire Cresson » et maintenant avec Eurostat ;
- la malveillance de ceux qui, connaissant cette fragilité, guettent les
occasions de nuire ;
- la diligence avec laquelle la presse relaie rumeurs et accusations, sans
manifester le moindre sens des proportions, sans écouter les réponses des
accusés ;
- la méconnaissance si répandue des apports de la statistique, ainsi que des
difficultés et du coût de sa mise en oeuvre ;
- enfin la lâcheté des politiques qui, plutôt que d'affronter les questions
ci-dessus, sacrifient des
boucs émissaires pour sauvegarder leur tranquillité.
Bien situer la charge de la
preuve
Certes nous ne savons pas tout.
Il se peut – même si cela nous surprendrait beaucoup – que l’audit confidentiel
contienne des preuves solides et équilibrées, témoigne d’une compréhension des
exigences du service et réponde clairement aux objections des accusés. Il se
peut que la discrétion des comptes parallèles ait permis l’enrichissement
personnel de certains. Si c’était le cas nous réviserions notre opinion.
Mais
tant que les preuves solides n’ont pas été fournies nous devons secourir le bouc
émissaire, « ce pelé, ce galeux dont nous vient tout le mal »
. On ne peut ignorer en effet les indices en sa faveur : si par exemple, malgré
leur acharnement, les accusateurs n’ont pas pu mettre en évidence un
enrichissement personnel, cela prouve (par défaut) qu’il n’y en a pas eu.
Comme les médias ignorent le
droit, rappelons des principes de base : (1) il ne revient pas à un accusé de
prouver son innocence, mais à l’accusateur de prouver la matérialité du délit ;
(2) un audit confidentiel ne doit pas être pris en considération par ceux
qui ne l'ont pas lu.
Que chacun se remémore enfin sa
propre
expérience professionnelle, et que celui qui n'a jamais dû violer une règle pour le bien du service jette la première pierre à Yves Franchet.
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