RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.


Statistique et Civisme

5 octobre 2003


Liens utiles

- La statistique européenne va-t-elle disparaître ?
- Le métier de statisticien

« L'Union Européenne pouvait jusqu'à présent se montrer légitimement fière de son outil statistique, l'un des plus performants du monde. Si la méfiance s'installe, c'est tout l'édifice qui pourrait s'écrouler » (Lettre de l’Expansion, 29 septembre 2003, p. 7).

Les nations en construction ont accordé tous leurs soins à la statistique : publier un annuaire statistique, c’est commencer à exister (voir, parmi les commentaires des lecteurs, le message du 18 septembre 2003). Ceux qui veulent détruire l’Europe ont donc pris Eurostat pour cible.

Vous pensez que j’exagère, qu'une nation peut exister, que le citoyen peut exercer son sens civique sans la statistique ? Mais comment faites-vous donc, alors que les médias ne font que monter des cas particuliers en épingle, pour garder le sens des proportions et définir les priorités que vous entendez promouvoir ? Pensez-vous avoir rempli votre devoir civique lorsque, après les « informations » de 20 heures, vous êtes saisi par une émotion superficielle ?

Le statisticien sait évaluer les proportions et détecter les tendances. Certes les nombres sont sans doute parfois ambigus, mais ils permettent d'alimenter le raisonnement par l’observation du monde, par la confrontation à ses ordres de grandeur.

Prenons quelques exemples dans le domaine de la santé.

1) En France, le tabac tue 60 000 personnes par an [1] (plus de 10 % des décès). Sans doute il faut préserver les commerces de proximité. Mais si le citoyen mettait en balance les bureaux de tabac et 60 000 morts par an, quelle serait sa conclusion ? S'il avait pris conscience de l'ampleur du phénomène, n'aurait-il pas d'ailleurs déjà cessé de fumer ?

2) Les accidents de la route tuent 8 000 personnes par an (ils représentent plus de 40 % des décès chez les jeunes de 15 à 24 ans). Sans doute faut préserver la liberté, le plaisir de conduire et aussi l’industrie automobile. Mais si le citoyen considérait la part de l’excès de vitesse dans les causes de décès, admettrait-il que l'on puisse vendre, en France, des motos, voitures et camions capables de rouler très au dessus de la vitesse maximale autorisée ?

3) Les 15 000 décès qu'a causés la canicule d’août 2003 ont révélé l’isolement des personnes âgées. Cependant le démographe préfèrera évaluer le nombre d'années de vie perdues plutôt que le nombre des morts : une mort à 98 ans ne doit pas avoir le même poids qu’une mort à 18 ans. Le calcul relativisera la canicule. Ne fera-t-il pas revenir d’autres priorités au premier rang ?

4) L’alcool tue 45 000 personnes par an ; il est, après le tabac, la drogue la plus meurtrière en France. La lutte contre la drogue est-elle bien orientée ?

5) Les décès provoqués par l’encéphalite spongiforme bovine se comptent sur les doigts d’une main. Certes le prion est une découverte d'importance, mais n'avons nous pas tendance à négliger des maladies ancestrales, aux conséquences certaines, pour focaliser notre attention sur des menaces nouvelles aux conséquences aléatoires ?

*  *

Si certaines de ces données vous surprennent, c’est que vous êtes trop peu attentif à la statistique. Les journalistes qui gagnent leur vie en éveillant notre émotion ne sont pas seuls responsables de notre manque de sens des proportions. Quand quelqu’un évoque des statistiques pour appeler à la raison, on lui reproche d’être froid, insensible, comme si l’émotivité était une qualité morale, comme si l'approche quantitative des phénomènes était nécessairement trompeuse.

La définition des priorités civiques s'appuie sur l’émotion sans doute, mais celle-ci doit être éclairée par l'examen des ordres de grandeur. Si vous êtes de ceux qui souhaitent la construction de l’Europe, vous devez rappeler à la raison ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, ont entrepris de casser Eurostat.


[1] Claude Got, « La mort évitable : tabac, alcool et accidents de la route en France », Population et Sociétés n° 393, septembre 2003.