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La revanche des fondamentaux

31 mars 2008

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Pour lire un peu plus :

-
Valeur et crise
- Comptabilité et valeur de l’entreprise
- Valeur de l’entreprise et valeur de ses actions
J'ai naguère rencontré des économistes (inutile de citer leurs noms, ils ne reconnaîtraient sans doute plus aujourd'hui ce qu'ils disaient alors) qui soutenaient que les fondamentaux - qualité des produits, compétence des salariés, coup d'oeil des dirigeants, relation avec les clients, maintien des techniques à l'état de l'art, cohérence des processus de production, systèmes d'information - n'avaient aucune importance.

Ce qui comptait, c'était non la réalité de l’entreprise, si difficile à évaluer, mais la crédibilité, la confiance, l'image : peu importait la qualité des produits pourvu qu'ils paraissent de bonne qualité etc.

Les entreprises étaient ainsi encouragées à bâtir des villages Potemkine, façades de carton qui semblent, de loin, de vraies maisons. Les personnages les plus importants n’étaient ni le directeur de la production ni le directeur commercial, mais le directeur financier et le directeur de la communication.

De la « valeur » était ainsi créée. Il faut dire que ça marchait ! Les profits s’accumulaient, les cours montaient. « Mais que se passera-t-il quand on s'avisera que le roi est nu ? » disaient pourtant quelques grincheux, dont j'étais.

« Tu ne comprends rien aux lois de la dynamique, répondaient ces économistes ; le commerce des promesses[1] s'appuie sur la croyance, et comme la foi est un phénomène collectif la croyance crée la croyance. Ainsi l'économie progresse, le vélo se tient en équilibre, et ce ne sont pas tes fondamentaux qui déterminent le cours de bourse ».

Nous autres grincheux étions donc de ces ingénieurs lourds qui, ayant « la forme enfoncée dans la matière[2] », aiment à soupeser et vérifier les choses. Ces économistes paradoxaux et brillants semblaient posséder un intellect plus profond que le nôtre. Cela leur conférait un pouvoir de séduction d'autant plus irrésistible que notre société, où chacun adhère aux médias plus de trois heures par jour, est prête à croire un Frank Luntz quand il prétend que la perception EST la réalité[3].

*     *

Les enfants, désireux de s’emparer du pot de confiture placé sur l’armoire, ont posé une chaise sur la table puis enté une échelle sur la chaise : c’est ainsi qu’ils ont élaboré leur fameuse « innovation financière ». Cependant les lois de la gravitation et du frottement faisaient partie des fondamentaux. Ils ont grimpé puis se sont cassé la figure, et maintenant ils pleurnichent parce que ça fait mal et qu’ils sont déçus : « Adieu veau, vache, cochon, couvée… ».

Les économistes, douchés, vont revenir dare-dare aux fondamentaux. Peut-être même, le balancier oscillant trop loin, iront-ils jusqu’à oublier, à négliger les incertitudes que comporte tout raisonnement sur ces fondamentaux… mais c’est là une tout autre histoire.

*     *

Pascal disait « la vraie morale se moque de la morale » : on peut dire en le paraphrasant que la vraie finance se moque de la finance. Le moteur de la finance ne réside pas en effet dans la finance elle-même mais dans le rapport (physique et mental) entre la société humaine et la nature, rapport qui se concrétise dans les entreprises, les institutions - et bien sûr dans la finance.

Les « financiers purs », fascinés par la mathématique des produits dérivés et autres « innovations », s'agitent dans un monde de symptômes. Ils sont pour l'économie comme ces mauvais médecins que n'intéressent ni le diagnostic, ni la prescription. 


[1] Pierre-Noël Giraud, Le commerce des promesses, Seuil 2001

[2] Molière, Les précieuses ridicules, 1659

[3] Nicholas Lemann, « The Word Lab », The New Yorker, 16 octobre 2000.