J'ai naguère rencontré des
économistes (inutile de citer leurs noms, ils ne reconnaîtraient sans doute plus
aujourd'hui ce qu'ils disaient alors) qui soutenaient que les fondamentaux
- qualité des produits, compétence des salariés, coup d'oeil des dirigeants,
relation avec les clients, maintien des techniques à l'état de l'art, cohérence
des processus de production, systèmes d'information - n'avaient aucune
importance.
Ce qui comptait, c'était non
la réalité de l’entreprise, si difficile à évaluer, mais la crédibilité, la
confiance, l'image : peu importait la qualité des produits pourvu qu'ils
paraissent de bonne qualité etc.
Les entreprises étaient ainsi
encouragées à bâtir des villages Potemkine, façades de carton qui semblent, de
loin, de vraies maisons. Les personnages les plus importants n’étaient ni le
directeur de la production ni le directeur commercial, mais le directeur
financier et le directeur de la communication.
De la « valeur » était ainsi
créée. Il faut dire que ça marchait ! Les profits s’accumulaient, les cours
montaient. « Mais que se passera-t-il quand on s'avisera que le roi est nu ? »
disaient pourtant quelques grincheux, dont j'étais.
« Tu ne comprends rien aux
lois de la dynamique, répondaient ces économistes ; le commerce des promesses
s'appuie sur la croyance, et comme la foi est un phénomène collectif la croyance
crée la croyance. Ainsi l'économie progresse, le vélo se tient en équilibre, et
ce ne sont pas tes fondamentaux qui déterminent le cours de bourse ».
Nous autres grincheux étions
donc de ces ingénieurs lourds qui, ayant « la forme enfoncée dans la matière »,
aiment à soupeser et vérifier les choses. Ces économistes paradoxaux et
brillants semblaient posséder un intellect plus profond que le nôtre. Cela leur
conférait un pouvoir de séduction d'autant plus irrésistible que notre société,
où chacun adhère aux médias plus de trois heures par jour, est prête à croire un
Frank Luntz quand il prétend que la perception EST la réalité.
* *
Les enfants, désireux de s’emparer du pot de confiture placé
sur l’armoire, ont posé une chaise sur la table puis enté une échelle sur la
chaise : c’est ainsi qu’ils ont élaboré leur fameuse « innovation financière ».
Cependant les lois de la gravitation et du frottement faisaient partie des fondamentaux. Ils ont grimpé puis se sont cassé la figure, et
maintenant ils pleurnichent parce que ça fait mal et qu’ils sont déçus : « Adieu
veau, vache, cochon, couvée… ».
Les économistes, douchés, vont revenir dare-dare aux
fondamentaux. Peut-être même, le balancier oscillant trop loin, iront-ils
jusqu’à oublier, à négliger les incertitudes que comporte tout raisonnement sur
ces fondamentaux… mais c’est là une tout autre histoire.
* *
Pascal disait « la vraie morale se moque de la morale » :
on peut dire en le paraphrasant que
la vraie finance se moque de la finance. Le moteur de la finance ne réside
pas en effet dans la finance elle-même mais dans le rapport (physique et mental)
entre la société humaine et la nature, rapport qui se concrétise dans les
entreprises, les institutions - et bien sûr dans la finance.
Les « financiers purs », fascinés par la mathématique des
produits dérivés et autres « innovations », s'agitent dans un monde de
symptômes. Ils sont pour l'économie comme ces mauvais médecins que n'intéressent
ni le diagnostic, ni la prescription.
|