Le Géoportail a été
ouvert voici quelques jours, mais rares sont les privilégiés qui ont pu le
consulter : les serveurs n’ayant pas pu faire face à l’avalanche de
consultations, seule s’affichait une page d’excuses…
A défaut de consulter le Géoportail, j’ai visité les forums
où l’on commente cette affaire. La diversité des opinions qui s’expriment est
intéressante.
Les râleurs sont en majorité, comme de juste. Certains
ironisent sur « les fonctionnaires », qui ne seraient capables de rien ;
d’autres sur « la SSII privée » qui a programmé le site, et dont il ne
conviendrait pas de payer la facture. Plusieurs déversent leur ironie sur
Jacques Chirac, qui avait annoncé lui-même l’ouverture du Géoportail : « il
aurait mieux valu, disent-ils, conclure un partenariat avec Google plutôt que de
tenter l’affrontement ». Certains établissent un parallèle entre ce démarrage
raté, le manque de punch de l’équipe de France de football et les problèmes de
l’A380 : « en France, on rate tout ce qu’on entreprend ».
La France n’est visiblement pas à la mode
chez nous ! « 'Géoportail' ne me plaît pas, dit l’un des contributeurs. ‘Portail’ est ringard. Ils
auraient dû l'appeler ‘IGN Earth’, ça aurait eu une autre gueule. Je ne
sais pas pourquoi, ajoute-t-il naïvement, mais en anglais ça sonne mieux ».
L'anglomanie fait des ravages.
D’autres sont plus pondérés. Il est normal, disent-ils, que
l’affluence soit forte après que l’on ait autant parlé du Géoportail dans les
médias « mais on aurait dû dimensionner le serveur en conséquence ». Ils
invitent à la patience : « ça finira par se calmer », « tu n’as qu’à utiliser
les pages blanches (NB : de l'annuaire téléphonique en ligne), on y trouve des photos aériennes ».
Certains prennent vigoureusement la défense des « fonctionnaires » et parfois le
ton monte : « tu parles comme un gamin », « tu n’y connais rien », « tu ferais
mieux d’apprendre le français » (l’orthographe rapide du SMS fait des ravages
dans les forums et cela ne facilite pas la lecture des contributions).
Ceux qui, en s’entêtant, sont parvenus à entrer dans le
Géoportail se partagent en deux sous-populations. Les ruraux sont ravis de
pouvoir enfin voir leur maison, car pour couvrir les zones rurales Google
utilise encore des photographies à gros grain. Les urbains disent que les images
du Géoportail sont, malgré les annonces, moins précises que celles de Google qui
utilise de fines photographies pour couvrir les villes.
* *
Je fais partie de ceux qui attendent avec patience. Que le
serveur du Géoportail de l’IGN se soit planté au démarrage ne me surprend pas :
cela relève de la « physique de l’information », qui dépend du comportement des
utilisateurs. Quand vous faites une annonce sur les médias, vous déclenchez une
avalanche qui emporte tout...
On peut tirer de cette affaire une autre leçon. L’intérêt
du Géoportail avait peut-être été sous-évalué. Les administrations détiennent un
trésor de données dont elles ne connaissent pas bien la valeur et, lorsqu’elles
le mettent à disposition sur le réseau sous une forme commode, elles sont
surprises de l’engouement qui en résulte. La BNF a sous-estimé la valeur de son
stock de livres ; l’INSEE, celle de ses statistiques et de ses études ; les archives
nationales, celle de leurs documents ; l’AFPA et les universités, celle
des cours que dispensent leurs professeurs ; les éditeurs, celle des livres
qu’ils publient et les revues, la valeur des articles.
Si chacune des institutions qui détiennent un stock de
contenu le mettait sur le Web en l’entourant des outils qui facilitent la
consultation, nous vivrions dans un autre monde. Certes, la mise en réseau a un
coût, ainsi que la conception et l’administration des outils nécessaires à la
consultation commode des données. La « valeur » que j’évoque ci-dessus ne se
transformerait peut-être pas immédiatement en profit pour les propriétaires des
données mais en utilité pour les consommateurs, ce qui est la vraie, la seule
définition économique de la valeur – et cette utilité, finalement, se transforme en richesse sonnante et trébuchante : voyez Google !
*
*
Un lecteur de volle.com m'a
aimablement indiqué les liens suivants :
- Louis Naugès note la
différence culturelle entre Google Earth et le Géoportail
http://nauges.typepad.com/my_weblog/2006/06/geoportail_vs_g.html
;
- Daniel Glazman relève la faiblesse des choix techniques
http://www.glazman.org/weblog/dotclear/index.php?2006/06/26/1914-geoportailfr-une-histoire-francaise;
- François Nonnenmacher condense quelques réactions
http://padawan.info/fr/web/geoportail_portes_fermees.html ;
- Frédéric Cavazza parle d'une mode des erreurs 503
http://www.fredcavazza.net/index.php?2006/06/27/1198-la-mode-des-erreurs-503.
A cette heure (28 juin 2006,
17h20), le Géoportail est encore inaccessible. Pour un service ouvert depuis
cinq jours, cela commence à faire long. Il ne devrait pourtant pas être
techniquement insurmontable de multiplier le nombre des serveurs - et le coût
d'une telle multiplication, rapporté à l'enjeu, ne devrait pas être un obstacle
non plus.
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