Que quelqu'un énonce une idiotie ne prouve pas qu'il soit idiot :
les plus purs génies ont des moments de faiblesse. On peut toutefois
s'interroger lorsque les idioties s'accumulent, et l'énormité de chaque idiotie
est également à considérer.
Nicolas Sarkozy n'a certes pas atteint le niveau de George W.
Bush (voir The complete bushisms)
mais il nous offre tout de même un collier de perles qui manifeste l'ignorance de la syntaxe et de la culture françaises ainsi qu' un dangereux
vacillement de la pensée.
* *
Lors d'un meeting à Lyon le 23 février 2006 Sarkozy a estimé que
celui qui avait mis La Princesse de Clèves au programme du
concours d'attaché d'administration était "un sadique ou un imbécile" . Ce
livre a inauguré le roman moderne auquel il a procuré, dès son début, un modèle
insurpassable. Nombreux sont donc ceux qui ont été surpris par la réaction de
Sarkozy mais il en a "remis une couche", comme on dit, le 10 juin suivant
.
Il
a dit alors avoir lu La Princesse de Clèves. On peut en douter : comment les qualités, l'importance de ce chef d'oeuvre auraient-elles pu lui échapper ?
Lors d'un meeting à Saint-Étienne, le 9 novembre 2006, il a
dit "l'homme n'est pas une marchandise comme les autres". Il voulait sans doute parler en humaniste mais hélas ! ce comme les autres gâche tout. La syntaxe est
stricte : si l'homme n'est pas une marchandise
comme les autres, c'est qu'il est une marchandise tout court, soit le
contraire de ce que Sarkozy voulait suggérer.
* *
Depuis lors le candidat est devenu président et ce président
vient d'énoncer une phrase qui va loin : lors de la présentation du plan sur les
soins palliatifs à Bourges le 16 juin 2008 il a dit "on ne doit pas laisser les
gens mourir comme des bêtes, d'ailleurs les bêtes sont des êtres humains".
Les bêtes sont des êtres humains
: cette perle-là est la plus belle du collier. Il ne s'agit plus
d'inculture ni de maladresse : atteignant d'un seul coup le sommet de la
loufoquerie, elle annule les acquis de la génétique et la classification des
espèces.
On peut craindre que selon sa coutume Sarkozy, qui ne recule
jamais, n'en "remette une couche" comme il l'avait fait avec la
Princesse de Clèves et ne renverse ainsi définitivement, répétant cette
perle avec l'autorité que sa fonction lui confère, les fondations de la
science, de la philosophie et de la religion - à moins que nous n'estimions que
dans ces domaines-là le président de la République n'a aucune autorité.
Que Sarkozy se hâte donc de nommer
Claude Allègre ministre ! Ils sont égaux pour la
qualité de la langue, la clarté d'esprit, la rigueur de la pensée.
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Nicolas Sarkozy à Lyon, 23 février 2006 : "L’autre
jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du
concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez,
avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de
Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la
guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves". À Paris, 10 juin
2006 : "Dans la fonction publique, il faut en finir avec la pression des
concours et des examens. Je regardais l’autre jour quelque chose de passionnant
: le programme pour passer de rédacteur à attaché principal. Figurez-vous qu’il
y a un sadique qui avait mis une question dans le programme demandant si le
candidat avait lu La Princesse de Clèves… Je ne sais pas si vous êtes
souvent allés au guichet d’une administration pour demander à la guichetière si
elle avait lu la Princesse de Clèves. En tout cas, je l’ai lu il y a tellement
longtemps qu’il y a de fortes chances que j’aie raté l’examen !" |