| Connaissez-vous la « la vergüenza ajena » ? 
Cet espagnol intraduisible (« la honte d’autrui » ne voudrait rien dire) désigne 
le malaise que l’on ressent en face de quelqu’un qui se tient mal.  J’ai subi, me pardonnera-t-on de le dire ? 
la « vergüenza ajena » en lisant ce livre où l'hypertrophie de la 
première personne du singulier se manifeste ingénument. Bien que je sois un lecteur endurant, 
il m'est 
 
tombé des mains à la page 120. Si l'on veut savoir ce qu'il en est 
du climat, mieux vaut lire L'avenir climatique 
et
    Le plein s'il vous plaît.  *     * « Ma vérité sur la planète », annonce 
Allègre 
sur la page de couverture – et pour que l’on sache bien que c’est SA 
vérité, le possessif « Ma » est imprimé en écriture manuscrite.  Le premier chapitre commence par un 
« Je » : « J’aime la Terre », dit-il ; suit le récit de sa vie. Il connaît la 
planète parce qu’il a beaucoup voyagé : dans le Sud marocain il a « dû manger du 
thon en conserve pendant cinq jours » (p. 14) ; il a « dormi dans le cratère 
d’un volcan en éruption » (sic, p. 14) ; il a rencontré des Tibétaines « très 
hardies dans leurs rapports avec les hommes » (p. 18). Bref : Allègre, c'est 
Superman. De telles expériences l’autorisent à être 
aussi péremptoire en ce qui concerne le climat qu’il ne le fut naguère en 
physique à propos de la chute des corps (voir « L'illettrisme de l'aristocratie médiatique ») 
et qu’il ne l’est aujourd’hui encore quand il affirme que « l’exponentielle 
positive n’existe pas dans les phénomènes naturels » (p. 31). Les 
explosions sont donc impossibles : voilà une bonne nouvelle pour ceux qui 
craignent la bombe atomique. Allègre est d’ailleurs aussi vertueux que 
compétent : « Plein de principes éthiques que je croyais inviolables pour des 
scientifiques, je vis des collègues – qui étaient aussi des concurrents – 
utiliser la presse pour s’autopromouvoir, court-circuitant les travaux des 
autres équipes, en particulier européennes, qu’ils laissaient dans l’ombre » (p. 
16). N’avons-nous pourtant jamais vu, entendu, lu Allègre se pavaner dans les 
médias ?  Que le changement climatique ne vous 
inquiète pas  : Allègre est optimiste pour l’avenir de l’humanité. « Tant 
bien que mal, entre science, conscience et business, on arrive à conjurer les 
menaces » (p. 38) : c’est sans doute ainsi qu’ont raisonné les habitants de 
l’île de Pâques lorsqu’ils abattaient des arbres à tour de bras. Pour étayer 
cette conclusion Allègre s’appuie sur des références douteuses : il n’a que 
louanges pour
Yves Lenoir (p. 93 et 112),
André Fourçans (p. 113)
Bjorn Lomborg 
 
(p. 60 et 113) et autres 
Richard Lindzen (p. 68 et 118). 
 Ces personnes – et Allègre lui-même – 
adoptent la posture du Héros qui, seul contre tous, proclame la Vérité face 
au monde. Mais il ne suffit pas de nier les conclusions auxquelles s’est ralliée 
la majorité des chercheurs pour avoir raison. N’est pas Galilée qui veut. 
 
*     * 
Je souffre d’autant plus en lisant Allègre 
que je suis d’accord avec lui sur le point le plus important : je réprouve, comme il le 
fait, les slogans de la « décroissance » (p. 52) et je milite pour une « croissance 
intelligente ». Mais rien n’est plus irritant  que de voir la 
position que l’on croit juste saccagée par un vaniteux maladroit.  |