Après avoir montré que les
ressources de la planète en combustibles fossiles (pétrole, charbon) sont non
seulement limitées, ce qui est une évidence, mais près de s’épuiser ; après
avoir rappelé l’incidence de leur consommation sur l’atmosphère, avec l’effet de
serre et le réchauffement climatique, les auteurs proposent de taxer les
combustibles fossiles pour émettre le « signal prix » qui orientera les
entreprises et les consommateurs vers d’autres formes d’énergie et d’autres
modes de vie.
Ils dénoncent la myopie des
politiques et du marché et, avant de formuler leur recommandation (la taxe), ils
procèdent à une analyse critique des autres solutions envisagées (notamment la
création d’un marché du « droit à polluer »).
Ils craignent que l’idée d’une
taxe ne soit « iconoclaste », que les économistes ne la jugent impertinente.
Certes, aucune taxe n’est populaire, d’où l’hésitation des politiques. Cependant
du point de vue économique celle-ci est non pas impertinente, mais
rigoureusement orthodoxe.
L’hérésie, en effet, consiste à
exploiter une ressource non renouvelable en ne considérant que son coût
d’extraction, de traitement et de distribution et sans anticiper les
conséquences d’un épuisement prévisible. Le prix, s'il est convenablement
défini, doit permettre de
financer les recherches et, à terme, les investissements nécessaires pour faire
face à cet épuisement.
Ces investissements ne
permettront cependant pas, soulignent les auteurs, de continuer à vivre comme
les pays riches l’ont fait au XXe siècle. Les villes étendues,
l’usage intensif de l’automobile, n’ont été permis que par la disponibilité d’un
carburant à bas prix et d’usage facile. La pénurie aura une incidence sur
l’urbanisme, sur l’architecture, sur l’organisation des entreprises, sur les
réseaux de distribution commerciale et, de façon plus générale, sur les modes de
vie.
* *
A la perspective de la pénurie
s’ajoute le réchauffement climatique que provoque la libération, dans
l’atmosphère, de molécules que l’histoire géologique avait emprisonnées dans des
gisements – notamment du gaz carbonique. C’est un phénomène d’une tout autre
nature, mais il ne fait que rendre plus nécessaire le ralentissement de la
consommation des combustibles fossiles et plus impérative l’instauration de la
taxe.
Or on ne doit pas compter sur
le marché pour régler un tel problème. Certes, il sait faire des anticipations,
ce sont elles qui fondent l’investissement ; mais son horizon est au plus de
quelques années alors qu’ici il faut considérer quelques décennies, délai
nécessaire pour que les réserves fossiles se raréfient et que le réchauffement
climatique, implacable mais progressif, devienne sensible. Il faut donc une
stratégie, ce qui suppose une conscience collective relayée par des décisions
politiques.
L’instauration de la taxe doit
être progressive car l’économie ne tolère pas les chocs brutaux ; elle doit être
accompagnée de mesures sectorielles pour limiter la casse et faciliter la
transition dans certaines professions (chauffeurs routiers, marins pêcheurs) ;
elle doit être européenne, voire mondiale, pour éviter que ne s’instaure aux
frontières un trafic semblable à celui que connaît aujourd’hui le tabac.
Nos politiques, toujours
soucieux d’être élus et réélus, nous épargneront-ils encore longtemps l’effort
nécessaire ? Nos générations auront-elles, par boulimie consumériste, rendu la
Terre inhabitable comme le fit autrefois, à petite échelle, la population de
l’île de Pâques ?
* *
J’ai trouvé un peu faible le
chapitre consacré à la critique du PIB. Elle m’a paru non pas fausse, mais
incomplète. Il ne me semble pas raisonnable en effet de renoncer à la
« croissance » ni au « progrès », qui sont pour l’espèce humaine des aspirations
naturelles. Tout dépend du contenu qu’on leur donne. S’il s’agit de progresser
en sagesse, de croître en intelligence, s’il s’agit de consommer non pas
davantage en volume, mais mieux en qualité, à la bonne heure ! Personne, je
suppose, ne trouvera rien à y redire.
Les volontés ne se mobiliseront
jamais pour organiser une récession morose. Il faut faire apparaître une
perspective à la fois positive et réaliste. A la croissance en volume, que le
PIB reflète, nous devons substituer la croissance en qualité et, osons le dire,
en intelligence, puis mettre au point les indicateurs nécessaires.
* *
Ce livre est écrit dans un
style familier : « Y’a plus de saisons », « Cher devant ! », « Des politiciens
aussi nuls que nous » etc. La bibliographie est succincte, les notes de bas de
page sont rares, les travaux scientifiques (qui existent pourtant) sont peu
mentionnés. Les auteurs visent le grand public. Cela ne les empêche pas d’être
rigoureux, même s’ils n’exhibent pas les signes extérieurs de la rigueur. Mais
comme ce livre est compréhensible par tout le monde, il risque de ne pas être
pris au sérieux par les économistes qui, pour la plupart, ne respectent que les
textes écrits par leur coterie et truffés d’équations. Et les princes n’osent
guère prendre au sérieux une proposition qui fait se hausser les épaules des
économistes.
Mais les princes eux-mêmes,
lorsqu’ils lisent, font partie du grand public ! Députés, sénateurs,
conseillers, ministres, premier ministre, président, vous devez lire ce livre et
en soupeser le contenu. Après quoi vous pourrez passer commande aux économistes,
aux technocrates. Ils fourniront en abondance les équations et projets de
« textes » qui permettront de mettre en musique la taxe qui s’impose sur les
combustibles fossiles.
Mais, de grâce, pensez aussi à
la croissance en qualité… |