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Commentaire sur :

Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, Le plein s’il vous plaît !, Seuil 2006


Pour lire un peu plus :

- L’avenir climatique
- Vers la croissance qualitative
- Pour une histoire de la comptabilité nationale
- A propos du "Parti de la décroissance"

Après avoir montré que les ressources de la planète en combustibles fossiles (pétrole, charbon) sont non seulement limitées, ce qui est une évidence, mais près de s’épuiser ; après avoir rappelé l’incidence de leur consommation sur l’atmosphère, avec l’effet de serre et le réchauffement climatique, les auteurs proposent de taxer les combustibles fossiles pour émettre le « signal prix » qui orientera les entreprises et les consommateurs vers d’autres formes d’énergie et d’autres modes de vie.

Ils dénoncent la myopie des politiques et du marché et, avant de formuler leur recommandation (la taxe), ils procèdent à une analyse critique des autres solutions envisagées (notamment la création d’un marché du « droit à polluer »).

Ils craignent que l’idée d’une taxe ne soit « iconoclaste », que les économistes ne la jugent impertinente. Certes, aucune taxe n’est populaire, d’où l’hésitation des politiques. Cependant du point de vue économique celle-ci est non pas impertinente, mais rigoureusement orthodoxe.

L’hérésie, en effet, consiste à exploiter une ressource non renouvelable en ne considérant que son coût d’extraction, de traitement et de distribution et sans anticiper les conséquences d’un épuisement prévisible. Le prix, s'il est convenablement défini, doit permettre de financer les recherches et, à terme, les investissements nécessaires pour faire face à cet épuisement.

Ces investissements ne permettront cependant pas, soulignent les auteurs, de continuer à vivre comme les pays riches l’ont fait au XXe siècle. Les villes étendues, l’usage intensif de l’automobile, n’ont été permis que par la disponibilité d’un carburant à bas prix et d’usage facile. La pénurie aura une incidence sur l’urbanisme, sur l’architecture, sur l’organisation des entreprises, sur les réseaux de distribution commerciale et, de façon plus générale, sur les modes de vie.  

*     *

A la perspective de la pénurie s’ajoute le réchauffement climatique que provoque la libération, dans l’atmosphère, de molécules que l’histoire géologique avait emprisonnées dans des gisements – notamment du gaz carbonique. C’est un phénomène d’une tout autre nature, mais il ne fait que rendre plus nécessaire le ralentissement de la consommation des combustibles fossiles et plus impérative l’instauration de la taxe.

Or on ne doit pas compter sur le marché pour régler un tel problème. Certes, il sait faire des anticipations, ce sont elles qui fondent l’investissement ; mais son horizon est au plus de quelques années alors qu’ici il faut considérer quelques décennies, délai nécessaire pour que les réserves fossiles se raréfient et que le réchauffement climatique, implacable mais progressif, devienne sensible. Il faut donc une stratégie, ce qui suppose une conscience collective relayée par des décisions politiques.

L’instauration de la taxe doit être progressive car l’économie ne tolère pas les chocs brutaux ; elle doit être accompagnée de mesures sectorielles pour limiter la casse et faciliter la transition dans certaines professions (chauffeurs routiers, marins pêcheurs) ; elle doit être européenne, voire mondiale, pour éviter que ne s’instaure aux frontières un trafic semblable à celui que connaît aujourd’hui le tabac.

Nos politiques, toujours soucieux d’être élus et réélus, nous épargneront-ils encore longtemps l’effort nécessaire ? Nos générations auront-elles, par boulimie consumériste, rendu la Terre inhabitable comme le fit autrefois, à petite échelle, la population de l’île de Pâques ?

*     *

J’ai trouvé un peu faible le chapitre consacré à la critique du PIB. Elle m’a paru non pas fausse, mais incomplète. Il ne me semble pas raisonnable en effet de renoncer à la « croissance » ni au « progrès », qui sont pour l’espèce humaine des aspirations naturelles. Tout dépend du contenu qu’on leur donne. S’il s’agit de progresser en sagesse, de croître en intelligence, s’il s’agit de consommer non pas davantage en volume, mais mieux en qualité, à la bonne heure ! Personne, je suppose, ne trouvera rien à y redire.

Les volontés ne se mobiliseront jamais pour organiser une récession morose. Il faut faire apparaître une perspective à la fois positive et réaliste. A la croissance en volume, que le PIB reflète, nous devons substituer la croissance en qualité et, osons le dire, en intelligence, puis mettre au point les indicateurs nécessaires.

*     *

Ce livre est écrit dans un style familier : « Y’a plus de saisons », « Cher devant ! », « Des politiciens aussi nuls que nous » etc. La bibliographie est succincte, les notes de bas de page sont rares, les travaux scientifiques (qui existent pourtant) sont peu mentionnés. Les auteurs visent le grand public. Cela ne les empêche pas d’être rigoureux, même s’ils n’exhibent pas les signes extérieurs de la rigueur. Mais comme ce livre est compréhensible par tout le monde, il risque de ne pas être pris au sérieux par les économistes qui, pour la plupart, ne respectent que les textes écrits par leur coterie et truffés d’équations. Et les princes n’osent guère prendre au sérieux une proposition qui fait se hausser les épaules des économistes.

Mais les princes eux-mêmes, lorsqu’ils lisent, font partie du grand public ! Députés, sénateurs, conseillers, ministres, premier ministre, président, vous devez lire ce livre et en soupeser le contenu. Après quoi vous pourrez passer commande aux économistes, aux technocrates. Ils fourniront en abondance les équations et projets de « textes » qui permettront de mettre en musique la taxe qui s’impose sur les combustibles fossiles.

Mais, de grâce, pensez aussi à la croissance en qualité…