On critique souvent la qualité du service
public. "Ah ces fonctionnaires", disent, se lamentant, certains de ceux qui ne
rêvent pour leurs enfants rien d'autre qu'une carrière de fonctionnaire.
Mais voici deux anecdotes, authentiques.
Cela se passe dans une petite ville, ou si l'on veut un gros village, des
environs. Je ne donnerai pas son nom car il serait facile d'identifier les
personnes en question : ce qui compte, c'est l'esprit dont ces deux faits
témoignent.
Une de mes voisines achète de la daube chez
le boucher de cette commune. Elle flaire la viande et sent une odeur suspecte.
Elle la rapporte donc au boucher : "Je trouve, lui dit-elle, que cette viande
sent mauvais". "C'est vous qui sentez mauvais ! " lui répond le boucher.
Dans ce village, la pâtisserie est aussi un
dépôt de pain. Un de mes voisins passe dans la rue, voit la pâtisserie ouverte
et la dame rangeant les pains sur l'étagère. Il entre et demande à acheter un
pain. "Ce n'est pas encore l'heure d'ouverture, lui répond la dame, passez quand
ce sera ouvert".
* *
L'insolence du boucher, le formalisme
"administratif" de la pâtissière, ne nous feraient-ils pas sortir de nos gonds
s'il s'agissait d'un service public ? Mais comme ces personnes, ces entreprises,
appartiennent au secteur privé, on hausse les épaules, on remercie ironiquement,
on sort du magasin en se disant qu'on n'y remettra plus les pieds...
J'ai cité ces anecdotes parce qu'elles sont
fraîches et que je les ai clairement en mémoire, mais elles font suite à bien
d'autres faits analogues. Tel est en effet, à quelques louables et rares
exceptions près, le style des commerçants de ce village : grognons, agressifs,
ils semblent n'éprouver que du mépris envers les clients.
Que doit-on en penser ? qu'ils copient ce
qu'ils pensent être le style de l'administration - laquelle, dans ce village,
est beaucoup plus affable que les commerçants, qu'il s'agisse de la Poste ou du
Trésor public -, ou bien qu'ils ont je ne sais quelle revanche à prendre, je ne
sais quelle leçon de savoir-vivre à dispenser ?
* *
Cela fait réfléchir. Où mène la
privatisation des services publics ? Le discours officiel, politiquement et
culturellement correct, c'est "la privatisation, c'est bien, c'est bon".
L'expérience, à la minuscule échelle de la vie quotidienne, contredit ce
discours.
Et que l'on ne me dise pas que cette
expérience n'est pas significative, qu'il faudrait la confirmer par des
statistiques etc. ! C'est sur cet argument prétendument "scientifique", mais
beaucoup trop commode, que le technocrate s'appuie pour dévaloriser les faits,
le constat au ras du sol dont témoigne le citoyen.
Si seulement les technocrates prenaient la
statistique au sérieux dans les domaines où elle s'impose pour de bon ! Dans les
études préparatoires avant de proposer un nouveau texte de loi, par exemple, et
dans l'évaluation de l'effet des lois nouvelles...
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