Les Chinois violent les droits de
l'homme au Tibet, disent les médias. D'où
émotions, manifestations etc.
Personne n'éprouve de sympathie
pour un grand quand il fait du mal à un petit. Mais si
l'on recense les abus de pouvoir, les abus de
force qui se commettent dans le monde, l'affaire
du Tibet mérite-t-elle de tels débordements, qui
vont d'ailleurs beaucoup plus loin que ce que le
dalaï-lama recommande ?
* *
La défense des droits de l'homme
est étrangement sélective. J'estimerais
davantage les personnes qui manifestent pour le
Tibet si elles manifestaient également, et avec
plus de vigueur encore, pour défendre les droits
de l'homme chez nous, en France, et chez nos
alliés et amis les autres pays occidentaux.
Qui a manifesté pour défendre le
droit des détenus, dans nos prisons, au respect de
la personne humaine dont ils sont porteurs comme
vous et moi ? Et, corrélativement, de défendre les
droits des gardiens, à qui l'on demande de remplir
une mission impossible ?
Qui se soucie de la surpopulation
carcérale, des violences qui se commettent en
prison, des passages à tabac dont les traces sont
attribuées à la classique "chute dans l'escalier",
des viols ? Honte pour nous ! Tout le monde s'en
fiche. On fait comme s'il était normal que la
prison ajoute, à la privation de la liberté de
mouvement, l'humiliation et la perte du respect
humain.
Qui parmi nous a manifesté pour
protester contre un président des Etats-Unis qui
s'entête à autoriser, à ordonner la pratique de la
torture alors même que ses généraux la disent
inefficace, contre-productive, dangereuse, et
qu'elle introduit dans la société américaine un
poison insidieux, ce même poison qu'avait inoculé chez nous
la torture pratiquée par notre armée en Algérie ?
(voir « The
Torture Sessions », éditorial du New York
Times, 20 avril 2008).
Nous violons les droits de l'homme
dans nos prisons, nous faisons ami-ami avec un
tortionnaire. N'y a-t-il pas là de quoi
manifester, et ne serait-ce pas plus important que
de tenter de faire la leçon aux Chinois ?
* *
Nous sommes gouvernés à coup
d'émotions et de bons sentiments. « Hommage aux victimes »
: cette expression résume
le programme. Qu'un gendarme se tue
accidentellement quelque part, qu'une personne
soit prise en otage, et les ministres, le
président, arrivent ventre à terre avec des mines
de circonstance, suivis de près par les
psychologues de service.
Il n'est pas question bien sûr de
nier les souffrances de ces personnes ni celles de
leur famille, de leur refuser la compassion ; mais
est-ce ainsi qu'il convient de gouverner ? Ne
devraient-ils pas, les gouvernants, s'occuper des
affaires du pays plutôt que de cultiver à plaisir
nos émotions et notre sentimentalisme ? Ne devraient-il pas avoir plus de pudeur, le respect ne va-t-il pas avec la
discrétion ?
Leurs annonces fracassantes sont
d'ailleurs souvent suivies d'un recul discret. Notre président devait, tel
Zorro lui-même, tout réformer ! On allait voir ce
qu'on allait voir. Ça a fait Pchit....
Donc l'épopée échoue avant
qu'elle commence !
Annibal a pris un calmant.
Décidément, il faut relire Les
châtiments : Victor Hugo est devenu un auteur
d'actualité.
* *
Comme il est facile, confortable,
de s'indigner contre la Chine ! Elle est loin,
elle est immense et mystérieuse, nous n'y comprenons rien :
alors nous purgeons contre elle nos inquiétudes
vagues, et nous lui faisons payer aussi un essor
économique dans lequel nous voyons une menace et
dont nous sommes jaloux. "La Chine m'inquiète",
disait la duchesse de Guermantes : cette phrase
vous fait passer pour quelqu'un de profond.
Ce vacarme, nous le faisons encore
une fois contre les recommandations, contre les
demandes instantes du dalaï-lama dont on peut
pourtant penser qu'il connaît le Tibet mieux que
nous.
Il connaît la Chine, aussi, et
sait ce que nous devrions savoir : qu'il ne
convient pas, lorsqu'on estime ne pas être d'accord avec
elle, de tenter de l'humilier. C'est le sûr moyen
de provoquer un réflexe nationaliste, de resserrer
la population autour de ses dirigeants, et c'est
donc le
plus grand cadeau que l'on puisse faire à ces
derniers. Rappelons-nous que la destruction des
villes allemandes par des bombardiers a été le
plus grand cadeau que les alliés pouvaient faire à
Hitler. |