Une « méthode », c’est
un
chemin qu’il convient de suivre :
μέθοδος
a pour étymologie μετά
(selon, suivant) et ὁδός
(voie, chemin). La méthode indique l’ordre séquentiel des opérations à réaliser
pour atteindre un but que l’on s’est fixé (NB : le club des maîtres d'ouvrage a
ainsi défini une méthode de modélisation, voir
Modéliser le
système d'information).
Les méthodes abondent dans le
monde des systèmes d’information où on les nomme souvent, de façon emphatique
mais impropre, « méthodologies ».
Elles sont nécessaires pour résister au désordre, qui s’installe dans le SI aussi
naturellement, aussi vigoureusement que de mauvaises herbes dans un potager
(voir
Entropie du système d'information). La succession des
étapes de la démarche est souvent concrétisée et attestée par la liste des
documents qu'il convient de produire.
*
*
Les méthodes ont des limites.
Aussi nécessaires qu’elles soient, elles ne sont jamais suffisantes.
Nous les avons vu souvent servir d’alibi à des maladroits, comme s’il
suffisait de dire « j’ai suivi la méthode » pour excuser un échec.
Toutes les
méthodes ont été élaborées par des comités. Elles tirent ainsi parti d’une
expérience diversifiée et approfondie, mais cela leur confère le caractère d’un
compromis entre des orientations diverses. Or la logique qui sous-tend un
compromis est toujours moins nette, moins lisible que celle sur laquelle se
fonde une orientation particulière.
Ajoutons que ceux qui aiment à
se référer aux méthodes en toute occasion ne sont peut-être pas les meilleurs
parmi les experts. Il entre souvent, dans l’évocation insistante des méthodes,
un peu de cuistrerie : l’érudition ainsi manifestée intimide ceux qui ne l’ont
pas acquise et inhibe la communication.
Enfin la lecture des méthodes
est, il faut le dire, très ennuyeuse. La plupart d'entre elles sont présentées sous
la forme d’une liste de points à accomplir ou à vérifier, sans que leurs
auteurs n’aient pris la peine d’expliquer la logique qui a présidé au choix
du contenu et de l’ordre de ces listes, ni celle d’aider à distinguer dans ces
énumérations l’essentiel de l’accessoire.
*
*
Le recours aux méthodes est
cependant utile, tout comme les conserves et condiments sont utiles en cuisine
(les méthodes sont d’ailleurs très exactement du bon sens en conserve, du
savoir-faire surgelé).
Pour se convaincre de leur
utilité il suffit de voir ce qui se passe lorsqu’un projet est conduit sans
méthode, lorsqu’on laisse évoluer un système d’information « comme le
chien crevé au fil de l’eau ». En avons-nous vu, de ces réunions sans ordre du
jour, durée limite ni compte rendu ; de ces décisions annoncées à la cantonade
sans qu’on ne désigne la personne qui devait les mettre en œuvre, ni que l’on
ne s’assure, par la suite, qu’elles ont été suivies d’effet ; de ces travaux
successifs qui sont autant d’épisodes d’un mouvement brownien, l’entreprise
trépignant sur place ! En avons-nous vu, de ces « bidonvilles de luxe »
construits sans méthode, architectures coûteuses et inefficaces où s’expriment à
la fois, de façon répugnante, l’arrogance de la richesse et la carence de la
pensée !
Mais il n’est pas facile de faire
partager à un dirigeant le constat des travers de son
entreprise : s’il savait les percevoir, il les aurait déjà
corrigés. Il sera tenté de taxer l’expert de perfectionnisme, de
maniaquerie, d’esprit de système ; il croira que ses recommandations ne
font qu’exprimer une lubie personnelle. Il est alors salubre de placer entre l’expert
et le dirigeant la méthode, pierre de touche pour évaluer l’écart entre l’entreprise et l’état
de l’art. A plusieurs des méthodes sont d’ailleurs associés un « modèle de
maturité » (maturity model) qui permet à l’expert de dire à
l’entreprise : « sur tel point, vous êtes au niveau zéro ; sur tel autre, au
niveau 2 », alors que l’excellence requiert le niveau 5.
Lorsqu’on dit que la méthode
reflète l’état de l’art, il faut s’entendre : l’« état de l’art » dont il
s’agit n’est pas celui de la moyenne des entreprises car les méthodes décrivent
ce que les entreprises devraient faire, non ce qu’elles font. Si le dirigeant
s’inquiète de voir son entreprise en retard il faudra le rassurer en
lui disant qu’elle est loin d’être seule dans ce cas.
Pour un bon usage des méthodes
Pour voir comment utiliser les
méthodes, rappelons que l’œuvre réussie est celle dont le créateur a su
concevoir à la fois un contenu et les règles selon
lesquelles celui-ci a été mis en forme. De même, toute ingénierie réussie porte en elle et les exigences auxquelles elle répond, et les méthodes qui auront
été suivies pour les satisfaire.
Il ne s’agit donc pas
d’« appliquer la méthode », comme on le dit souvent, ni d'ailleurs de réinventer la méthode
à chaque occasion, mais de bâtir, à partir des éléments de méthode
qu’apportent les méthodes disponibles, la méthode appropriée à
l’ingénierie que l’on considère.
Les méthodes standard sont
ainsi à l’ingénierie ce qu’est une palette de briques pour un maçon : un
ensemble d’éléments nécessaires à la construction d’un mur mais dont
l’utilisation requiert que l’on ait décidé auparavant la forme du mur, puis que
l’on sache tailler et ajuster des briques. Les auteurs des méthodes le
disent d'ailleurs eux-mêmes : la méthode n’est pas faite pour être appliqué telle quelle
car, tout comme un vêtement de confection, elle exige des retouches. Parmi les éléments que comporte une méthode standard, certains
seront importants en regard du projet considéré, d’autres secondaires. Il
convient de les distinguer et ceux qui sont négligeables devront être négligés.
Pour discerner ce que
l’on retiendra de la
méthode standard, il faut examiner d’abord le problème à traiter. Tout comme il
existe une pensée préconceptuelle lors de laquelle l’esprit choisit son
orientation, il existe avant la méthode une étape « naïve » qui sert à repérer
les articulations et enjeux principaux du projet. Faisant appel au bon sens,
elle n’est pas entièrement formalisable.
On bâtira à l’issue de cette
première
exploration une esquisse de démarche, fût-elle maladroite, et c'est seulement après que l’on se tournera vers les méthodes
pour voir si l’on n’a rien oublié d’important et y puiser les compléments
nécessaires.
Ces compléments, il faudra
parfois encore les compléter. Les méthodes, en effet, signalent des choses à
faire mais souvent elles ne disent pas comment les faire. On vous dit par
exemple qu’il faut bâtir un plan d’assurance qualité. Mais dans le cas d’espèce,
quelle sera la définition de la qualité ? Comment l’observer, la
mesurer ? Quelle diffusion donnera-t-on à sa mesure ?
Autre exemple : on vous dit
qu’il faut mettre en place une administration des données. Mais il existe
plusieurs façons de définir cette tâche et pour le projet que vous considérez
une seule sera la meilleure. Comment la choisir ?
Dernier exemple : les
méthodes proposent souvent une liste de documents à établir. Mais il ne suffit pas qu’un
document existe, il faut encore que ceux qui le consultent puissent
l’interpréter sans un trop gros effort de déchiffrement. En avons-nous vu, de
ces documentations formellement conformes à la méthode mais pratiquement
illisibles ! Comment définirez-vous, vérifierez-vous la lisibilité de la
documentation ?
Plan du voyage
La présente fiche est le récit
du voyage entrepris avec le club des maîtres d'ouvrage au pays des méthodes pour compléter
nos connaissances et
mettre notre expérience à l’épreuve.
Nous avons étudié et annoté trois
méthodes : CMMI, COBIT et ITIL. Celui qui cherche du plaisir dans la lecture
devra choisir d’autres textes ! Le voyage a été austère, espérons que son compte
rendu ne le sera pas trop.
Ces trois méthodes sont celles
qui sont le plus fréquemment évoquées lorsqu’on parle de la qualité des systèmes
d’information. Il en existe d’autres, mais avec ces trois-là on couvre, nous
semble-t-il, un bon échantillon de ce qui est nécessaire pour concevoir,
organiser, réaliser et exploiter un système d’information.
Le déploiement des acronymes
qui les désignent n’apporte qu’une information imprécise : il faut les ouvrir
pour savoir ce qu’elles contiennent.
CMMI
(Capability Maturity Model Integration) traite de la conduite de projet,
sujet rebattu dans les cours d’informatique mais qui, dans la pratique, est
rempli de pièges. CMMI n'est pas toutefois une méthode de conduite de
projet, mais une méthode pour qualifier l'entreprise en conduite de projet.
Alors que CMMI se concentre sur
l’investissement réalisé à l’occasion des projets, ITIL
(Information Technology Infrastructure Library) considère la mise en
oeuvre
du système d’information et la qualité du service rendu à l’utilisateur.
Enfin, COBIT
(Control Objectives for Information and related Technology) traite de la « gouvernance » du système d’information,
c'est-à-dire des formes
d’organisation et des procédés qui permettent à l’entreprise d’assurer la
pertinence du SI et son efficacité.
CMMI et COBIT sont produits par
des organisations américaines qui
publient sur le Web une documentation abondante et gratuite. ITIL est produit
par une organisation britannique qui vend la documentation à un prix
relativement élevé.
Nous avons
rédigé un compte rendu sur chacune de ces méthodes :
CMMI (Capability Maturity
Model Integration)
COBIT
(Control Objectives for Information
and related Technologies)
ITIL (en cours de
rédaction, publication prochaine)
* *
Nous avons
entrepris ce voyage avec modestie et son compte rendu est sans prétention. Il
contient sans doute des erreurs : nous saurons gré à ceux qui nous les
signaleront.
Nous avons
confronté les méthodes à ce que nous a enseigné l’expérience, mais comme toute
expérience la nôtre est limitée : la validité de nos commentaires l’est donc
aussi. Nous espérons toutefois qu’ils inciteront leurs lecteurs à interroger les
méthodes à la lumière de leur propre expérience.
|