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Petit sottisier des nouvelles technologies

J'ai noté ci-dessous, dans l'esprit du "dictionnaire des idées reçues" de Flaubert, les banalités (souvent erronées) que l'on entend sur les nouvelles technologies. Le langage de l'entreprise mérite d'être écouté attentivement, car il est révélateur des situations de crise.

Ce document n'a pas de limites, et vous êtes cordialement invités à y contribuer.

Je cite les sources : ainsi les contributions de Jean Rohmer sont indiquées par la mention "(JR)".

Pour trouver des définitions des termes cités, consulter le lexique du système d'information.

Administration des données : "L'administration des données n'est pas prioritaire. Elle relève d'une démarche intellectuelle, donc superflue. Ce qu'il me faut, c'est des économies immédiates dans l'opérationnel" (un DG, 1995)

Annuaire : "Pas question de faire un annuaire de l’entreprise : si les numéros de téléphone des gens sont connus, ils recevront des appels et ne travailleront plus" (un directeur régional d'une administration)

Annuaire (bis) : "Les syndicats s’opposent à ce que l’on mette sur l’annuaire, en face du nom d’une personne, l’indication de sa fonction. Qu’y faire ?" (un autre directeur régional)

Centres d'appel : "Il faut les externaliser" ; "Je vais sous-traiter notre centre d'appel à des Roumains, ils parlent très bien le français en Roumanie" (un DG, 2002). (cf. "centre d'appel") 

Client serveur : "Proposition A): Le client-serveur sera bientôt une technologie du passé. Or 99% de nos clients n'en sont pas encore là. Proposition B) : Dans seulement 20 à 30% des grands groupes on accepte de parler de technologie au niveau du top management" (un représentant d'une grande entreprise de consulting) (JR)

Cœur de métier : "Nous nous recentrons sur notre cœur de métier ; eh bien exprimer des besoins, ce n'est pas notre cœur de métier" (JR)

Commerce électronique : "Le commerce électronique ne nous sert à rien, car il ne fait pas croître le trafic sur le réseau" (directeur chez un opérateur télécoms, 1995)

Compléments de service : "Je vais essayer de vous transférer" (phrase courante ; la prononcez-vous parfois ?)

Compléments de service (bis) : "Moi, mon téléphone, tout ce que je lui demande c’est de ne pas tomber en panne. D’ailleurs personne ne sait utiliser les compléments de service".

Consultants : "Tous incompétents et vendus aux constructeurs. D’ailleurs, ils rédigent leurs études en recopiant la documentation technique donnée par les constructeurs" (un installateur télécoms ; voir " installateurs ").

Culture : "Je suis sûr qu'on n'est pas une entreprise culturelle puisqu'on est une entreprise de conseil et de service" (un représentant d'une grande SSII) (JR)

Discrimination : "Depuis qu’on leur a enlevé le 00, les gens défilent dans le bureau de leur chef de service pour pouvoir appeler l’étranger".

Documentation électronique : "Ces services d’images, c’est très joli mais ça ne fait pas sérieux".

ERP : "Il faut limiter les adaptations de l'ERP : adOpter et non pas adApter". (Phrase prononcée puis écrite en Comité de Direction par le DSI d'un grand groupe, 2001) ; "Nous allons prendre un ERP pour mettre de l'ordre dans notre SI"

Études : "Les études sont une commodité" (un directeur, 1995). NB : "Commodité" est un anglicisme : "commodity : a mass-produced unspecialized product" (Merriam Webster's Dictionnary). Les études seraient achetées à de grands magasins (McKinsey, Arthur Andersen, Coopers & Lybrand etc.) sans souci de compétence : mépris envers l'expertise et franglais snob.

Fournisseur : "L'entreprise X est excellente, pas de problème, elle présente toutes les garanties nécessaires pour bien exécuter le travail que nous lui demandons. Mais ils ont du mal à mettre des compétences à notre disposition" (Un directeur informatique, 2001).

Homologation : "Notre procédure d'homologation est sérieuse, donc longue. Lorsque nous homologuons un produit il n'est plus vendu sur le marché, qui a deux versions d'avance sur nous" (cf. "messagerie électronique (ter)")

Innovation : "Nous ne nous permettons jamais de prescrire à un client l'utilisation d'une technologie nouvelle pour lui. Nous ne sommes en aucun cas des prescripteurs. Notre doctrine absolue, c'est de ne jamais aller en matière d'innovation plus loin que ce que le client est prêt à accepter" (un représentant d'une grande SSII)

Informatique : "La satisfaction des utilisateurs ne fait pas partie de mes dix premières priorités" (un informaticien)

Installateurs : "Tous incompétents et vendus aux constructeurs. Ils ne cherchent qu’à vendre du matériel et câblent n’importe comment" (un consultant ; voir " consultants ").

Intelligence : (à propos d'Idéliance) "Comprenez bien qu'ici (2200 personnes) les gens n'ont pas besoin de système d'information personnel, puisqu'ils n'ont pas de données personnelles, car nous avons supprimé les disques dur : comme ça il n'y a forcément que des données collectives sur les serveurs" (un responsable d'une très grande entreprise) (JR)

Intelligence (bis) : "Dans 10 à 20 ans, l'ensemble des ordinateurs interconnectés aura des capacités intellectuelles qui dépasseront l'homme dans tous les domaines. Et dans 100 ans sera-t-on toujours si sûr de pouvoir débrancher le système ?" (un des grands "gourous" français de l'informatique)

Internet : "L'Internet, moi, je n'y crois pas" (un DG, 1998)

Internet (2) : "L’Internet, c’est super, tout le monde est avec tout le monde sur le réseau, c’est la démocratie, c'est le dialogue, c’est le commerce, c’est la vie, c'est la voie, c'est la vérité, c’est Dieu".

Internet (3) : "Pas d'Internet chez nous : les gens passeraient leur temps à consulter les serveurs pornographiques".

Internet (4) : "Je me suis fait imprimer sur papier les pages de notre serveur Web et je les ai regardées pendant le week-end. C'est formidable tout ce que nous avons mis sur notre serveur ! Je vous félicite. Quand je serai à la retraite, il faudra vraiment que j'achète une de ces machines" (un directeur d'administration centrale, 1999).

Internet (5) : "Il est scandaleux que les gens consultent autant l'Internet depuis leur bureau. Il faut licencier tous ceux qui se sont connectés à plus de trente site durant la même semaine" (DG d'un grand établissement public, juin 2000)

Internet (6) : Question de la rédaction : "La gestion de la relation client passera-t-elle obligatoirement par l'Internet ?" Réponse du directeur Internet d'un grand magasin : "Oui pour les Internautes" (rubrique "A votre avis", 01-Informatique du 26 mai 2000, p. 7)

Internet (7) : " Internet, c'est le danger que court la liberté quand on peut garder trace de tout, mais c'est aussi le danger qu'on fait courir aux autres et à soi-même quand on jouit d'une liberté sans limite. " (Alain Finkielkraut, " Fatale liberté ", in Internet, l'inquiétante extase, Éditions Mille et Une Nuits, 2001)

Internet (8) : "Ce qui ne sera pas sur Internet n'existera pas" (Pierre Lévy). Pierre Lévy est-il sur l'Internet ?

Maîtrise d'ouvrage : "La maîtrise d'ouvrage [du système d'information] doit être faite par l'informatique" (un DG, 1995).

Marche à pied : "Les gens ont trop tendance à rester confinés dans leurs bureaux. C’est pour cela que nous ne leur donnons pas de moyens télécoms évolués : ça les oblige à sortir, à marcher, à se voir" (le secrétaire général d'un centre de recherche, 1990)

Messagerie électronique : "Personne n’utilisera la messagerie électronique" (voir " messagerie électronique (bis) ").

Messagerie électronique (bis) : "Si l’on installe une messagerie électronique, il faudra mettre comme sur le téléphone des filtrages pour ne pas être submergé par les messages".

Messagerie électronique (ter) : "La norme de l'entreprise, c'est Windows 3.1. Donc si quelqu'un qui travaille sur Windows 95 vous envoie un message comportant une pièce jointe que vous ne pouvez pas ouvrir, la marche à suivre est : 1) copier le fichier sur une disquette ; 2) apporter cette disquette dans le bureau de Mme Untel, qui est équipée de Windows 95 par faveur spéciale, elle transcodera le fichier si elle en a le temps ; 3) revenir dans votre bureau avec la disquette et copier le fichier transcodé sur votre disque dur ; 4) ouvrir le fichier et le lire". (service "support" de l'informatique d'une grande entreprise, 1999)

Micro-ordinateur : "Jamais un directeur ne se mettra à taper sur un clavier. C’est ma secrétaire qui se sert du micro-ordinateur. Il lui est d’ailleurs très utile".

Micro-ordinateur (bis) : "J’estime que le micro-ordinateur doit marcher tout seul. Si je ne comprends pas la machine, c’est la machine qui a tort".

Micro-ordinateur (ter) : "C’est vrai qu’il faut faire communiquer les micro-ordinateurs. Mais moi, ce qu’il me faut, c’est des LS et X25" (un informaticien).

Micro-ordinateur (quater) : "Pourquoi chercher la cohérence ? Que chacun fasse comme il veut, qu’il y ait un peu de pagaïe, c’est super !" (un autre informaticien).

Muette (Voici pourquoi votre fille est) : "L'informatique est de trop bas niveau pour pouvoir être enseignée aux managers et aux décideurs" (JR)

Notice d’utilisation : "Votre correspondant est occupé. Vous pouvez obtenir le rappel automatique : consultez la notice " (message enregistré sur le PABX d’un centre de recherches spécialisé dans les télécoms).

Notice d’utilisation (bis) : "Les gens ne liront pas la notice, et il sera impossible de les faire venir à une réunion dont l’objet serait d’apprendre à se servir du téléphone. On n’aura que les secrétaires : les chefs ne veulent pas passer pour des ignorants".

One to One : "Le one to one, c'est que quand vous entrez dans la cafétéria, on vous sert automatiquement le café qu'il vous faut en fonction de l'heure, sans vous adresser la parole" (JR)

One to One (bis) : "C'est formidable ! vous entrez dans un magasin, votre carte à puce sans contact a donné vos coordonnées. Le système retrouve que vous avez un problème de cheveux, et dès que vous vous approchez d'une caisse, l'écran vous propose la promotion du jour pour résoudre votre problème capillaire" (directeur marketing d'une SSII spécialisée dans le conseil en stratégie et en système d'information, 1999) (JR)

Ordinateur : "L'ordinateur est la matérialisation de la logique mathématique : ils ont connu des développements historiques conjoints. Aux fondements de ces développements se trouve le principe d'identité. L'ordinateur calcule 0/1 mais ne sait faire que cela. Tout, en effet, est ramené à des 0/1 afin que le courant électrique passe (1) ou ne passe pas (0). L'ordinateur oblige à faire des modèles entièrement logiques. Il fonctionne comme un principe de réalité technico-logique, garant de la cohérence des modèles : un producteur de modèles hyperrationnels. " Francis Pavé dans " Transformation des représentations et résistance aux changements " (conférence à l’école d’été 1998 de l’IUFM de Franche-Comté) (petite question : lorsque vous utilisez un ordinateur pour faire du traitement de texte, quel est le modèle hyperrationnel à l'œuvre ?) 

Pilotage : "Nous devons mettre en place un pilotage stratégique". (NB : le pilotage est une activité qui demande vigilance et réactivité immédiate. Il s'agit plutôt de tactique, d'opérationnel, que de stratégie. On devrait dire "pilotage opérationnel" et "management stratégique").

Pilotage (bis) : "Nous devons mettre en place un pilotage par les délais". (NB : il faut comprendre "pilotage en vue de respecter les délais", ou encore . Pour un tel pilotage, on dispose de deux instruments : la charge de travail, qu'il faut réduire si les délais se tendent, et les forces de travail, que l'on peut augmenter. On pilote donc "pour" les délais, "par" la charge et les forces.)

Planning : "Oui nous avions un planning, bien sûr, mais il ne pouvait pas être tenu puisqu'il n'était pas chargé". (NB : comprendre "Nous ne lui avions pas associé l'évaluation de la charge de travail") (Un directeur informatique, 2001).

Plan qualité : "Excusez moi mais je ne sais plus très bien ce que fait mon projet parce que je suis en train de rédiger son plan qualité" (JR)

Philosophie (1) : "Tout est relatif ; voilà le seul principe absolu" (Auguste Comte, 1817) : un principe qui se contredit lui-même s'autodétruit absolument. Des expressions comme "principe concret",  "schéma exhaustif", "synthèse détaillée", "pilotage stratégique", sont de la même farine. Cf. "crise du langage"

Philosophie (2) : "Aujourd'hui, notre mémoire est dans le disque dur. De même, grâce aux logiciels, nous n'avons plus besoin de savoir calculer ou imaginer. L'humain a la faculté de déposer les fonctions de son corps dans les objets. Et il en profite pour faire autre chose" (Michel Serres, dans L'Expansion, 20 juillet 2000) : un philosophe nous parle au Café du Commerce. 

Recherche de personnes : "Pas question de porter un " bip " sur moi : je ne veux pas que l’on me prenne pour le pompier de service".

Répondeur : "A quoi ça sert, les répondeurs ? Moi, quand je tombe sur un répondeur, je raccroche aussitôt".

Responsabilité : "Les gens sont irresponsables. Si vous ne les faites pas passer par le standard, ils téléphoneront tout le temps à l’étranger pour avoir des nouvelles de leur famille qui est en vacances" (le directeur régional d'une administration)

Satisfaction (des clients) : "Ce sont des cas isolés qui font baisser la moyenne" (un chef de ligne de produit, commentant les résultats défavorables d'une enquête de satisfaction). 

Serveur de télécopie : "Il ne faut pas installer de serveur de télécopie parce que cela fera croître la dépense en télécommunications. Si les cadres veulent envoyer des fax, eh bien ils n'ont qu'à bouger leurs fesses jusqu'au télécopieur" (un DG, 1997)

Système d'information : "Vos histoires de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d'oeuvre commencent à me faire suer : ce ne sont que des conflits de pouvoir. Ce que je vois de clair, c'est que tout ça, c'est de l'informatique e basta" (un DG, 1998)

Télécommunications : "Je ne veux pas savoir ce qui se passe du côté de la téléphonie : moi, avec les LS et X25, j’ai exactement ce qu’il me faut et ça marche très bien" (un informaticien).

Télécopie : "Les gens envoient déjà des notes sans enregistrement, sans signature, sans date et sans liste de destinataires : imaginez la pagaïe si, en plus, on leur donne la télécopie !" (secrétaire général d'une administration, 1992)

Télécopie (bis) : "On ne va tout de même pas mettre des télécopieurs dans les ateliers. C’est réservé aux directeurs". (DG d'une entreprise industrielle, 1990)

Trop bonne idée : "Cette idée de service est excellente, mais comme il pourrait être commercialisé par deux branches différentes de l'entreprise chacune attend que l'autre finance le développement. Donc il ne verra jamais le jour". (1999)

Versions : "Un bon outil est un outil qui permer de développer un projet dans un temps inférieur au délai entre deux versions de l'outil" (un vendeur de progiciels) (JR)

Workflow : "Il ne faut pas formaliser les processus sous la forme de workflow, parce que cela revient à graver en dur les erreurs que le processus comporte" (un DG, 1997)