Ce livre de petit format
et au prix modeste, mais imprimé serré, présente de façon
claire une somme de connaissances sur le secteur des télécommunications, qu'il
met à la disposition d'un large public - et sans doute, en tout premier, des
étudiants du premier cycle.
Étrange destin que celui des télécommunications ! Secteur de
pointe, jadis aussi innovant que celui de l'informatique mais devenu en quelques
années un "fournisseur de tuyaux" à la rentabilité problématique et qui tourne
le dos à sa recherche ; dédié naguère à un service unique, la téléphonie, opérant maintenant sur une gamme de protocoles et de débits
; tenté de
grimper vers les services à valeur ajoutée mais plombé par ses traditions...
Le pouvoir de
décision, d'orientation a glissé de mains en mains :
- Jusqu'à 1974, en France, le ministère
des finances domine le ministère des PTT et contraint les capacités de
financement de la DGT, d'où le sous-équipement du réseau ; la DGT se concentre
sur l'innovation et comme elle maîtrise la R&D, comme elle est le grand
acheteur, elle dicte sa loi aux équipementiers ;
- de 1974 à 1985 la DGT décide :
ayant le droit de s'endetter, elle équipe le territoire à bride abattue puis
lance des projets nouveaux (plan câble, Minitel, RNIS) ;
- après 1985 le pouvoir est pris
progressivement par le régulateur : il favorise la concurrence et se
place en position d'arbitre. Mais les effets de la concurrence sont ambigus
(elle désoriente la R&D et rompt les économies d'échelle et d'envergure, tout en
secouant les monopoles et en suscitant des baisses de prix) ;
- à partir de 1995 les banques
gagnent en influence : elles encouragent l'endettement qui finance la fuite en
avant dans l'investissement quantitatif ainsi que des achats et fusions
d'entreprises ; cela aboutira à la crise de 2000.
France Telecom, opérateur historique, se
débat pour reconstruire son identité et son positionnement. Les équipementiers
sont ceux qui ont le plus souffert après 2000, la crise ayant fait apparaître le
suréquipement des réseaux.
* *
L'économie a subi une rupture vers 1975 avec
l'automatisation et l'informatisation. Le besoin d'une adaptation est ressenti,
mais sans que l'on dispose d'une analyse de cette "nouvelle économie" que l'on
subit sans la comprendre. La raison étant en panne, l'idéologie a pris le dessus
et la concurrence est devenue une norme imposée de façon dogmatique. Les
événements ont surpris les promoteurs de la dérégulation, ce qui prouve qu'ils
avaient marché à l'aveuglette : formation d'oligopoles, priorité accordée aux
aspects financiers.
Pour dresser le bilan de cette évolution en
termes d'efficacité technique et sociale il faut répondre aux questions
suivantes : la R&D est-elle plus féconde ? le service rendu aux utilisateurs
est-il de meilleure qualité ? les possibilités techniques nouvelles sont-elles
intelligemment utilisées ? les compétences humaines du secteur sont-elles
convenablement mobilisées ? a-t-on progressé dans la compréhension des ressorts
de cette économie nouvelle ?
C'est en répondant à de telles questions que
l'on peut porter un jugement sur les événements passés et sur les actions des
divers acteurs, que l'on peut aussi éclairer la prospective.
* *
Musso met en évidence les résultats négatifs de la dérégulation :
marginalisation du service public (entendu au sens de service du public)
au bénéfice du secteur financier, retrait des politiques industrielles et
d'innovation, le consensus sur les bienfaits de la concurrence aboutissant à la
constitution d'un oligopole prédateur alors que les télécommunications
devraient être considérées comme un bien public mondial.
Ce n'est cependant
pas un livre militant mais un livre de réflexion : il apporte des faits et des
structures, indique des proportions, propose un raisonnement. Chacun, en le
lisant, pourra forger sa propre opinion. |