Le site
http://orwelldiaries.wordpress.com/ entame aujourd'hui la publication du
journal que George Orwell a tenu à partir du 9 août 1938 jusqu'en 1942.
Chaque jour, nous pourrons ainsi lire ce
qu'Orwell a écrit 70 ans avant. Il faut s'attendre à y trouver, comme dans tout
journal, un mélange de choses triviales et de choses passionnantes, de détails
sur la vie quotidienne, de réflexions sur l'époque, de pensées plus générales.
Ce qu'il a noté pendant les premiers jours est plutôt trivial : il observe la
météo, la végétation et les animaux qui vivent autour de lui... mais patience !
* *
Orwell était un être tourmenté et courageux,
divisé contre lui-même et d'une exigeante honnêteté. Il a suivi le cursus
scolaire de la bonne bourgeoisie anglaise - mais comme ses parents étaient
pauvres, il était considéré comme un élève de deuxième catégorie. Il a été
policier en Birmanie - mais il ne supportait ni l'attitude des Britanniques
envers les Birmans, ni celle des Birmans envers les Britanniques :
douloureusement conscient du mensonge qu'enveloppe l'impérialisme, l'hostilité
mesquine des Birmans envers quiconque était blanc l'exaspérait.
De retour en Grande-Bretagne, il ambitionne
d'être écrivain mais, selon une ascèse qui rappelle celle de T. E. Lawrence, il
vit dans une extrême pauvreté - un régime que sa santé supporte mal.
Journaliste, il veut voir de près la guerre d'Espagne et, une fois sur place, il
s'engage dans l'armée républicaine. Las : l'unité à laquelle il a adhéré un peu
par hasard est bientôt la cible des staliniens, une guerre civile faisant
rage chez les républicains. Pourchassé, il réussit à s'enfuir.
Cette expérience du totalitarisme le
préservera de toute illusion envers l'URSS. Les fidèles de Staline ne le lui
pardonneront pas. Ils n'aimeront pas
Animal Farm et moins encore
1984. Caricatures malveillantes ! s'écrieront-ils. Hélas, Orwell avait
cent fois raison...
* *
Pourquoi sa personne, sa pensée
semblent-elles aujourd'hui (comme celles de Victor Hugo et de Guy Debord) si
fraternelles, si proches de nous ? Danserions-nous au bord d'un volcan, serions-nous près d'une guerre aussi cruelle que celle de 1939-1945 (voir
Prédation et prédateurs) ?
Respirons-nous une atmosphère empoisonnée de mensonges, "de gauche" et "de
droite", comme ceux qu'Orwell détectait avec son flair infaillible ? Sommes-nous
abrutis par des médias où abondent ces faits divers qui "font diversion", comme
le disait Bourdieu ? Le monde conspire-t-il, pour détourner notre regard des
horreurs véritables, à nous inspirer des horreurs factices (voir
Pourquoi tant de Tibet ?) ?
Les textes des grands révoltés lucides de
jadis - Les Châtiments de Hugo, les Commentaires sur la société du
spectacle de Debord, les oeuvres d'Orwell - sont d'une actualité troublante,
inquiétante, alarmante.
Sonnez, sonnez toujours, clairons de la
pensée.
(Victor Hugo, Les Châtiments)
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