Monsieur
le Président,
Vous
envoyez en Irak des soldats auxquels vous avez promis une victoire rapide et
l’amour des populations libérées. Mais les choses se passent mal : alors il faut
retarder mois après mois leur retour au pays.
Certains
de ces soldats, mal formés, fatigués, exaspérés, convaincus par vous qu’ils
étaient
du côté du Bien, ont maltraité des prisonniers.
Les services de renseignement militaires les y avaient incités pour
« amollir » ces prisonniers, les rendre « coopératifs », ce qui révèle des
méthodes dont ce n'était pas là la première application.
On
aurait tort de les excuser en disant « c’est la guerre ». Pendant la guerre
d’Algérie le général de Bollardière a montré qu’un authentique guerrier pouvait
ne pas être un assassin comme
Aussaresses, ni un imbécile comme Massu ou Bigeard – oui, un imbécile
car la torture, outre son caractère pervers, est une arme contreproductive au
plan stratégique.
Des
Irakiens s’étaient plaints de mauvais traitements, un général avait fait un
rapport. Vous saviez ou vous auriez dû savoir. Mais cela aurait pu durer
longtemps, ni vu ni connu, si votre public n'avait pas reçu en pleine figure des
photos qui l'ont scandalisé.
Vous
avez alors présenté des excuses, promis des sanctions, mais vous gardez votre
ministre de la défense. Vous allez sacrifier quelques boucs émissaires et tout
sera dit.
Ce qui a
choqué les personnes respectueuses de la Loi, c’est qu’en maltraitant des
prisonniers de guerre vos soldats ont violé les conventions de Genève (personne ne s'était
d'ailleurs soucié de les leur faire connaître). Mais vous vous étiez
déjà mis hors la loi, vous leur aviez donné l'exemple, en inventant la catégorie
des « ennemis combattants » et en créant à Guantánamo un centre de détention
illégal.
Le
christianisme, que vous évoquez si souvent, proclame le respect envers l’être
humain et tout spécialement envers le prisonnier : « J'étais en prison et vous
êtes venus vers moi » (Matthieu, 25.35).
J'ai le
regret de dire que dans cette affaire vous apparaissez comme un hypocrite. Il est équitable cependant de vous
accorder une excuse : dans votre pays les prisonniers de droit commun (qui
constituent près de 1 % de la population) sont parfois traités comme des
animaux, ou pis encore - car personne ne songe à humilier un animal .
Je vous
prie d'agréer, Monsieur le Président, etc.
* *
Dans
toute armée se trouvent des lâches qui prennent plaisir à maltraiter les
personnes sans défense. Nous en avons eu notre lot, nous autres Français, lors des guerres
d’Indochine et d’Algérie. Nous savons que le Mal, latent en tout être humain,
n’attend que des circonstances propices pour se manifester, et qu'il
faut une bonne formation morale, de l’expérience et de la volonté pour
contenir l’usage de sa propre force.
Mais
nous aurions tort de nous ériger en donneurs de leçons car, si des militants et
hommes politiques français ont protesté lors de la guerre d'Algérie comme le fait aujourd’hui
Al Gore aux États-Unis, je ne sache pas que notre armée ait jamais publié
un rapport comme celui du général
Taguba.
Cette
publication n’efface pas les crimes qui ont été commis. Mais elle montre que l'armée
américaine sait constater les faits, fussent-ils déplaisants, puis les porter tels
quels à la connaissance du pays.
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