Rafraîchir le langage
20 avril 2007
Lors d’un voyage en TGV j’étais assis en face de deux très belles jeunes filles, également agréables à voir.
Chacune a eu une conversation sur son téléphone mobile. L’une a parlé dans une langue française cool, l’autre dans une langue que je dirai fraîche. La différence ne portait que sur quelques mots et quelques expressions, mais elle a coloré leur propos et même leur personne.
Voici un dictionnaire (encore incomplet) entre ces deux langues :
Langue cool |
Langue fraîche |
Ouais |
Oui |
OK |
D’accord |
Relax |
Détendu |
Quel con ! |
Quel imbécile ! |
C’est super, cool, sympa etc. |
C’est plaisant, agréable etc. |
C’est vachement bon |
C’est délicieux, exquis etc. |
C’est hyper beau |
C’est très beau |
Ce bébé est trop mignon |
Ce bébé est très mignon |
J’rigole |
Je plaisante |
C’est loureu |
C’est lourd |
Entre la langue fraîche et la langue cool l’écart est minime. Il a pourtant creusé un gouffre dans mon opinion : celle qui parlait la langue fraîche m’a paru décidément pleine de charme, l’autre a perdu d’un coup tout attrait.
Quelqu’un qui n’a pas les mêmes goûts que moi aurait peut-être trouvé la première « coincée » et la deuxième « sympa » : à chacun son opinion ! J’ai la mienne.
* *
J’avoue que si je contrôle à peu près mon écriture il m’arrive de parler cool : je dis parfois « ouais » ou « OK ». Puis – mais c’est une autre dimension du langage – j’ai conservé de ma formation militaire un vocabulaire extrêmement grossier, qui affleure quand je perds aux cartes ou si mon ordinateur « se plante », expression cool pour « tomber en panne ».
Mais qu’apporte « ouais » à la langue orale alors que « oui » est si simplement naturel ? Que gagne donc notre expression à s’avachir ?
* *
Dans les années 1950 il était de règle dans le « bon milieu » de s’appliquer à parler bien. Nous autres adolescents affirmions donc notre indépendance en parlant une langue bizarre. Certains de nos mots vivent encore, comme « vachement » ; d’autres comme « formid » ou « astap » (« à se taper le cul par terre ») ont été éphémères. Le latinisme et l’hellénisme paradoxaux de « super » et « hyper », ainsi que le verlan, sont venus plus tard.
Dans le « bon milieu » d’aujourd’hui, celui
des cadres, des intellectuels, des dirigeants, le plus grand nombre parle cool
par laisser-aller, par imitation, pour « faire simple » et paraître « relax »,
par crainte enfin de ne pas s’être assez « démocratisé ». Derrière cette volonté
de détente et de simplicité se devinent cependant trop souvent la tension, la complication de
personnes qui, inquiètes du jugement d’autrui, travaillent leur image (voir
C’est donc le parler frais qui, aujourd’hui, traduit un esprit équilibré et détendu : « ouais » étant devenu compliqué, la simplicité est revenue du côté du « oui ».
* *
On prend des leçons à tout âge et il faut choisir les influences auxquelles on obéira. Prenant pour modèle la fraîcheur de cette jeune fille, je changerai mes habitudes en purgeant mon langage des pollutions et grossièretés qui l’altèrent.
Il me semble que je témoignerai mieux ainsi du respect que j’éprouve envers ceux qui m’entendent, et mon propos leur sera peut-être plus agréable.
[1]
La langue subit des déformations grotesques lorsqu’elle n'est plus un
outil de communication mais le symbole d’une frontière autour d'une
corporation ou d'une catégorie sociale : « problème » devient
« problématique »
Pour lire un peu plus :
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http://www.volle.com/opinion/langage5.htm
© Michel VOLLE, 2007
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