Approche
linguistique du système d’information
14 avril 2002
Les
grecs distinguaient dans la réalité observable la
φύσις et la θέσις, la « nature »
et la « thèse » (ou si l’on veut la « physique »
et l'« organisation »). La φύσις, indépendante
de la volonté collective des hommes, relève de l’ordre régulier du monde ;
la θέσις recouvre ce qui dépend de la volonté
collective, que celle-ci soit ou non consciente et explicite . Dans
un SI on doit ainsi distinguer les « événements du monde réel »
qui déclenchent l’activité de l’entreprise (réception d’une commande ou
d’une réclamation, innovation technique, initiative d’un concurrent etc.) des « processus » internes selon
lesquels l’entreprise organise sa réponse
à ces événements. Cela conduit à distinguer
d'une part la
couche « physique » où résident la fonction de production et les
facteurs de production (machines, personnel, matières premières) ainsi que la
relation avec les clients et les fournisseurs, d'autre part la couche « organisation »
où se définissent les entités légitimes qui délimitent les pouvoirs de décision
(investir, diversifier les
produits, promouvoir ou sanctionner les personnes etc.)
- Le SI
apparaît alors comme un langage, c'est-à-dire un système
de signes qui est tout à la fois :
- - θέσις :
support de la circulation des idées au
sein de l’organisation (de même que l'image du signal sonore est le support de la
conversation entre des personnes),
- - φύσις :
« cadre conceptuel a priori » qui, en fondant le discernement
des agents, leur permet de percevoir les événements du monde
réel et d’agir sur lui.
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* *
Le SI,
c’est le langage de l’entreprise, et ce langage est entièrement
orienté vers l’action : alors que les mathématiques qui répondent à la question « qu’est-ce que ceci » travaillent sur des définitions, l’informatique traite la question « comment
faire cela » et outille des processus .
La succession des langages informatiques qui s'empilent du microcode aux
applications culmine dans la définition
conceptuelle et fonctionnelle du SI .
Le SI offre à ses utilisateurs une « machine virtuelle » où les
concepts proches de l’action sont explicités, disponibles et manipulables. Il
organise ainsi l'assistance qu'apporte l'automate programmable à l’opérateur
.
La
qualité du SI s'évalue selon sa pertinence en regard des actions que
l’entreprise entend réaliser. Or ces actions comportent les deux faces θέσις et
φύσις : elles portent sur l’organisation d'une
part, sur la relation avec le monde réel d'autre part. La qualité du
SI réside à l’articulation entre l’organisation et la « physique » de l’entreprise.
Si l’on considère l’entreprise comme un être essentiellement économique, défini par
sa fonction de production, ses produits et son marché, on donnera la priorité
à la physique et on dira que l’organisation doit s’y soumettre ;
si l'on considère l’entreprise comme une institution visant avant tout la
pérennité de l'organisation,
c’est au contraire celle-ci qui déterminera la physique.
La
physique suppose que l’entreprise s’adapte à un monde en évolution :
les technologies changent ainsi que la réglementation, les concurrents
prennent des initiatives, la demande des clients évolue. L’ingénieur
soucieux d’efficacité souhaite que le langage de l’entreprise
soit aussi souple que le volant d’une automobile et que l’organisation évolue
sans retard. Mais les structures sont en place, les missions sont définies et
leurs responsables désignés : l’entreprise demande à l’ingénieur
d’agir dans ce cadre et selon ce qu’il autorise. Chacune de ces deux exigences
est rationnelle. Une entreprise rigide, indifférente aux évolutions
du monde réel, deviendrait à la longue inefficace. Mais par ailleurs une
entreprise dont l’organisation serait modifiée sans cesse ne pourrait pas
stabiliser son langage et déconcerterait ses agents : beaucoup d’entre
eux partiraient, les compétences ne pourraient pas s’accumuler,
l’entreprise serait sans cesse à reconstruire et un chantier permanent ne peut
pas être vraiment efficace.
L’optimisation
ne peut résulter que d’un arbitrage entre les exigences contradictoires de la
φύσις et de la θέσις. La qualité d’un dirigeant
s'évalue selon son aptitude à assurer cet arbitrage. Le
bon dirigeant doit être à la fois attentif à l’organisation et vigilant envers
le marché .
Dans certaines entreprises, les dirigeants vivent dans un monde qui relève d’une sociologie spécifique et
les sépare de la physique de l’entreprise .
Le SI est alors non pas une articulation entre l’organisation et la physique,
mais l’enjeu d’une lutte entre la
φύσις et de la θέσις.
Le
discours d’une entreprise porte toujours exclusivement sur la φύσις
: objectifs d’efficacité, de compétitivité, de création
de valeur etc. ; mais il a souvent été plaqué a posteriori sur une
réalité toute différente que le SI révèle comme le ferait une radiographie. Si les décisions des dirigeants sont déterminées
par la seule θέσις,
les forces qui concourent à l’entropie du SI, à l’éclatement du langage,
jouent sans contrepoids. Le référentiel
s'éparpille en de multiples tables de
codage spécifiques chacune à un domaine et non cohérentes
entre elles ; tout codage se diversifie encore en dialectes locaux, chaque région
l’interprétant à sa façon ; certaines données sont mal codées, les
opérateurs jugeant leur qualité indifférente ; les lacunes dans la
réalisation des applications sont rattrapées sur le terrain par des
ressaisies et traitements manuels pénibles etc. - sans oublier des problèmes que
pose la qualité de la plate-forme informatique, avec les pannes sans
responsable identifié, les "buffers" qui débordent, la sécurité
que l'on a tant de mal à préserver.
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