L'attaque israélienne contre la bande de Gaza suscite beaucoup
d'émotion. Je voudrais garder la tête froide et considérer l'affaire sous
l'angle strictement technique et militaire.
La guerre industrielle, celle où des chars et des avions de
chasse s'affrontent de part et d'autre, appartient au passé. Les
meilleurs penseurs militaires savent que la
guerre, désormais, est asymétrique : elle oppose le faible au fort. Le
plus souvent, c'est le faible qui gagne.
L'enjeu de la guerre asymétrique n'est pas, en effet, la
conquête d'un territoire ni l'annihilation de l'armée ennemie : c'est
l'adhésion d'une population à un projet politique.
La population dont il convient de gagner l'adhésion, c'est en
l'occurrence la population palestinienne. Le déploiement de chars, d'avions, de
canons, les bombardements, les destructions et les morts, sont-ils de nature à
gagner cette adhésion ? Non, à coup sûr. Ils sont plutôt de nature à éveiller de
nouvelles vocations d'extrémistes, de gens qui estiment n'avoir plus rien à
perdre et qui voudront venger leurs morts.
* *
Du point de vue militaire et froid le spectacle des chars
brinquebalants, des hélicoptères lançant leurs projectiles, a donc ici quelque
chose de dérisoire : on sait trop à quoi ces choses-là aboutissent.
Mais alors, pourquoi cette attaque ? Les militaires israéliens
ne sont certes pas des idiots. Ignoreraient-ils les enseignements de la pensée
stratégique moderne ?
Non, ils ne les ignorent pas. Mais l'armée israélienne a été
marquée, comme toute institution, par les épisodes les plus glorieux de son
histoire. Or ces épisodes sont les guerres classiques qu'elle a menées, et
gagnées, contre les armées coalisées des pays arabes qui entourent Israël.
C'est une armée industrielle, lourdement équipée et qui croit
à l'efficacité au moins dissuasive de son équipement lourd. Elle a été humiliée
lors de sa campagne contre le Hezbollah au Liban : alors elle veut restaurer son
prestige, et pour cela elle utilise naturellement les méthodes qu'elle maîtrise
le mieux.
Je passe sur les motivations électorales, présentes paraît-il
: l'idée même de payer la victoire aux élections par des centaines de morts,
dont de nombreux enfants, est trop abjecte pour que l'on puisse croire qu'elle a
effleuré les dirigeants du parti travailliste israélien.
* *
Bien des signes indiquent cependant quelque chose de très
pénible : une partie importante de l'opinion israélienne méprise les
Palestiniens. Elle veut croire, comme l'a fait la France envers les Algériens
dans les années 1950, qu'il suffit de les intimider, de les humilier
pour qu'ils se tiennent enfin tranquilles.
Hélas ! ça n'a jamais marché et ça ne marchera pas. La seule
solution militaire serait l'extermination. Elle serait matériellement et
militairement faisable, elle est politiquement et humainement impossible - mais
certains en rêvent sans doute...
Il y a tant de bêtise dans ce machisme, dans cette fausse
"énergie", que l'on éprouve de la honte rien qu'en y pensant.
Le machisme, il faut le dire, est bien partagé : il n'est pas
malin, de la part du Hamas, de lancer des roquettes sur les villes israéliennes... Macho contre macho, haine contre mépris, rêves
réciproques d'extermination : la situation évolue vers une montée aux extrêmes.
Quand seuls les extrémistes des deux camps ont la parole, la
catastrophe s'annonce et on est tenté de crier "Extrémistes de tous les pays,
égorgez-vous !". L'intégrisme et le
nationalisme obéissent en effet tous deux à une pulsion suicidaire.
L'extrémisme qui se prétend juif détruit le judaïsme tout comme l'extrémisme qui
se prétend musulman détruit l'Islam.
* *
Ehud Barak a beaucoup fait la guerre. Ceux qui ont cette
expérience-là sont souvent plus pacifiques que ne le sont de purs politiques.
Alors il se peut qu'il médite une démarche aussi
machiavélienne que celle qu'a eue De Gaulle envers l'Algérie : ayant satisfait l'envie
d'en découdre de la majorité des Israéliens, et ainsi calmé les extrémistes de
son camp, Barak serait en bonne position pour négocier avec les Palestiniens une
"paix des braves"... Mais ce n'est là qu'un rêve. |