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Pratique du respect

15 mars 2003


Liens utiles

- Fonder l'humanisme en raison

Les Écritures nous ont transmis un précepte essentiel : « aimez-vous les uns les autres ». On aurait pu traduire l’original araméen par « respectez-vous les uns les autres », le respect consistant à reconnaître en l’autre cette même humanité qui réside en soi.

Les êtres humains ont en effet besoin de respect plus que d’amour ; ou, pour être précis, ils ont besoin d’amour dans le cercle de leurs relations affectives et de respect dans toutes leurs autres relations ; et dans le cercle des relations affectives, l’amour doit encore se subordonner au respect. 

Supposez en effet que tout le monde vous aime, que tout le monde ait besoin de votre parole, de votre présence, de votre contact : votre vie serait impossible ! Il n’en sera pas de même si tout le monde vous respecte ; et l’amour, qui vise à fusionner deux personnalités, n’est vivable que s’il se fonde avec délicatesse sur le respect mutuel.

Reconnaître l’humanité en l’autre, c’est lui accorder son attention en faisant l’effort de surmonter les différences individuelles et culturelles qui nous séparent de lui ; c’est en pratique l’écouter en s’efforçant sincèrement de comprendre ce qu’il veut dire[1].

Le précepte « respectez-vous les uns les autres » est épuré du sentimentalisme qui pollue « aimez-vous les uns les autres ». Une relation mutuellement respectueuse, attentive, délicate, implique le respect de soi-même : être écouté avec attention par quelqu’un que je respecte me confère responsabilité et dignité ; je ne peux pas penser, dire ni faire n’importe quoi parce que ma pensée, ma parole, mon action ont un effet sur le monde. Le respect est aux antipodes de l’obéissance passive, de l’approbation inconditionnelle, de la complaisance qui sont des formes paradoxales de mépris : elles ne considèrent pas l’autre comme un être humain, mais comme une machine ou une force à laquelle on se soumet. Il est possible de respecter le criminel sans complaisance envers son crime.

On peut, on doit respecter celui auquel on s’affronte, on doit respecter l’ennemi que l’on combat. C’est même une condition de la victoire : on ne peut construire de paix durable qu’avec un ennemi que l’on a compris et qui se sent compris. Les matamores qui croient vaincre en écrasant un ennemi qu’ils méprisent se préparent de difficiles lendemains. La magnanimité du vainqueur est une des conditions de la victoire effective et de la paix durable[2]

Le respect interdit de considérer l’autre, l’étranger, l’ennemi, le criminel, comme s’il n’appartenait pas à l’espèce humaine. Il implique de maîtriser l’emploi de la force. On doit s’interdire de tuer ou de martyriser le prisonnier de guerre ; la privation de liberté infligée au prisonnier de droit commun ne doit pas s’accompagner de brimades ni d’humiliations ; au lendemain de la victoire il faut offrir un partenariat équitable à l’ennemi vaincu.  

Dans l'entreprise d'aujourd'hui les compétences se subdivisent en spécialités. Or la coopération de diverses spécialités implique que les spécialistes sachent s'écouter et se comprendre, ce qui suppose le respect mutuel. Le corporatisme défensif, forme professionnelle du sectarisme, s'oppose au professionnalisme. 

Plusieurs voies convergentes mènent ainsi à la même exigence du respect de l'autre : la morale y incite comme l'efficacité. C’est la notion fondamentale sur laquelle s’édifie l’ensemble des valeurs.

Le respect s’étend, par delà l’humanité, aux êtres vivants auxquels nous relie un cousinage génétique et une communauté de destin – car, tout comme nous, ils naissent, se reproduisent et meurent. Elle s’étend aussi à la nature minérale d’où la vie est issue, dans laquelle nous vivons et dont nous faisons partie.

Les confucéens ont voulu considérer l'homme, la société, l'organisation ; ils ont estimé que s'intéresser à la nature physique était une perte de temps. Le confucianisme n’est donc pas scientifique, dit Needham[3], même s'il comporte des raisonnements déliés et s'il est efficace dans sa sphère. Le confucianisme, en se détournant de la nature physique, n’a pas étendu jusqu’à elle le respect qu’il accorde à l’humain, n’a pas tiré les conséquences du fait que l’humain est plongé dans cette nature dont d’ailleurs il fait partie.

Le respect de la nature, nous y reviendrons, se réalise en pratique dans la démarche scientifique – en prenant ce terme en son sens strict et en le débarrassant de ses connotations sociologiques.


[2] C’est ce que Talleyrand répétait à Napoléon mais celui-ci ne l’a pas écouté. Jean Orieux (1907-), Talleyrand, Flammarion 1992

[3] Joseph Needham (1900-1995), Science and Civilisation in China, Cambridge University Press 1991, vol. 2