On envie les puissants de ce
monde aussi bêtement qu’on les admire. L’opinion sera donc toujours du côté du
magistrat qui met en cause un puissant. Lorsque l’un d’entre eux est attaqué, on
se frotte les mains avec une joie mauvaise
et, comme à Guignol, on rira si le puissant mord la poussière.
Mais dans ces affrontements qui
est David et qui est Goliath ? Qui est le plus fort, du ministre ou du juge
d’instruction ?
* *
Trop souvent le soufflé
retombe. L’« affaire Dumas » s’est terminée par un non-lieu, mais entre temps
l’intéressé avait dû quitter le conseil constitutionnel. L’« affaire
Strauss-Kahn » s’appuyait sur un dossier vide : là aussi, l’intéressé avait dû
quitter ses fonctions. L'« affaire
Baudis ».
Je n’ai pas de tendresse pour
les dirigeants car les stratèges véritables me
semblent trop rares parmi eux. Se moquer d'eux n’est pas malsain : ils se
prennent souvent un peu trop au sérieux. Mais je m’interroge. Le juge le plus
respecté sera-t-il celui qui porte à sa ceinture
le plus de scalps de ministre ? Notre magistrature a-t-elle pris goût au
jeu de casse-pipe ?
* *
Au XVIIIe siècle les
magistrats, rassemblés au sein du Parlement, ont miné la monarchie et tenté de
s’ériger en contre-pouvoir. Puis la révolution, qu’ils avaient préparée sinon
souhaitée, les a balayés.
Le
juge Halphen a trouvé tout naturel de
convoquer « Chirac Jacques » dans son bureau, mais les mauvais traitements
infligés aux personnes en garde à vue ne semblent pas l’avoir beaucoup ému.
L'appareil judiciaire ne doit-il pas pourtant, en tout premier, respecter les
droits des personnes qu'il détient ?
* *
Des magistrats ont
perquisitionné le bureau et le domicile du ministre de l’économie et des
finances. Ou bien ils avaient pour cela de sérieuses raisons et alors l’affaire
est des plus graves, des plus inquiétantes pour tout citoyen. Il vaudrait mieux
pour eux que le dossier fût solide car, tel que je le connais, Thierry Breton
n'est pas homme à se laisser démoraliser ni intimider.
Ou bien ils ont
fait cela sans trop savoir, pour le plaisir, parce qu'ils en avaient le pouvoir
et qu'un pouvoir s'use si l'on ne s'en sert pas. Alors il faudra qu’ils
répondent un jour du coup qu'ils auront ainsi porté, à la légère, à la
crédibilité de nos institutions.
Dans les deux cas, compter les
points en ricanant serait de la part du citoyen une attitude indigne. Nous ne
pourrons pas tolérer qu'une telle affaire se termine en queue de poisson. S'il y
a eu faute il faudra qu'il y ait sanction, et même si la faute a été commise par
des magistrats.
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