La superficie du logement de
fonction du ministre de l’économie est des finances m’indiffère. Qu’on lui
attribue l’hôtel des Invalides pour qu'il s'y loge, qu'on y ajoute en prime le château de
Versailles comme résidence secondaire, cela me serait égal – pourvu qu’il fasse bien son travail.
Qu’un homme politique soit un
bon vivant, qu’il aime le luxe et les plaisirs – à la bonne heure, pourvu
qu’il fasse bien son travail, qu’il agisse en homme d’État.
Il est vrai que l’on peut se
demander, lorsque quelqu’un profite des avantages que lui apporte sa fonction, ce qui
importe le plus pour lui : les responsabilités qu’implique la fonction, ou les
privilèges qui l’accompagnent ? Pour répondre à cette question, ce n’est pas
toutefois sur les privilèges qu’il faut focaliser son attention, mais sur la façon
dont la mission est remplie.
Ce qu’apporte aux citoyens un
ministre qui travaille bien est en effet sans commune mesure avec le coût des privilèges
qui lui sont accordés. Talleyrand, qui
aimait la belle vie et qui était notoirement corrompu, a apporté cinquante ans
de paix à l’Europe. Richelieu,
fondateur de notre État, avait amassé une fortune.
Autre temps, autres mœurs. Nous
exigeons de nos hommes politiques qu’ils donnent l’image sinon de
l’austérité, du moins de la modestie. Cela les incite à se
transformer en Tartuffes – et si l’un d’eux se fait pincer en plein péché de
gourmandise, les autres poussent les cris d’horreur de la vertu outragée.
* *
M. Hervé Gaymard était-il ou
non un bon ministre ? C’est la question qui importe. Il est resté peu de
temps, mais on dispose de quelques indices.
Ainsi il a dit : « Il faut
savoir que le plus gros poste de dérapage dans la consommation des ménages a
trait aux communications. Or rien n'oblige les Français à bouffer du téléphone
mobile de façon exagérée ».
Mais de quoi se mêle-t-il ? C’est au consommateur qu’il revient de choisir la
structure de sa consommation. Si les Français aiment à téléphoner, c’est leur
affaire. M. Gaymard nous rappelle ce ministre des PTT des années 60 dont j’ai oublié
le nom et qui avait dit « les Français ne sont pas mûrs pour le téléphone ».
C’est pour des phrases de ce
type, ou plutôt pour la conception politique et économique qu’elles révèlent, qu’il
faudrait virer un ministre, et non parce qu’il utilise trop de mètres carrés.
On peut il est vrai trouver,
dans les maladresses commises par M. Gaymard pour se dépêtrer de l'affaire qu'a suscitée
son appartement de fonction, un autre indice de défaillance de la pensée et de
la sensibilité
politiques. Mais il n’est pas seul dans ce cas. Examinons d'un peu près ce que serait un ministre qui ferait bien son
travail.
* *
Il est un mot que les
politiques
devraient bannir de leur vocabulaire, c’est « réforme », ce mot
si cher à M.
Alain Madelin.
Qu’est-ce, en effet, que l'on
appelle
« réforme » ? Un texte - loi, décret, circulaire. Il s’ajoutera à
un
corpus peu cohérent que « nul n’est censé ignorer », mais qu’en pratique personne
ne peut comprendre ni connaître. Ces textes sont mal préparés : les
études préalables sont presque toujours bâclées. Ils sont en outre mal
appliqués : jamais l'on ne se soucie d’évaluer leurs conséquences.
Nos ministres usurpent la
fonction du législateur, dont l’initiative devrait appartenir au parlement, et
parallèlement ils désertent la première fonction du gouvernement, de l’exécutif, qui est d’exécuter,
de gérer, de faire en sorte que le service public soit convenablement rendu à la
nation. Il en résulte une crise de système endémique à
laquelle la gauche contribue tout autant que la droite (la
Schadenfreude que l'« Affaire Gaymard » suscite à gauche est mesquine).
On se fait beaucoup d'illusions
sur la possibilité de régler les problèmes par de nouvelles lois. Pour
transformer la France, Richelieu n’a pas fait œuvre de législateur : il a fait
appliquer les lois existantes.
On interprète le scepticisme
des Français devant les réformes comme un symptôme d’immobilisme. N’est-ce pas
plutôt un symptôme de bon sens ? Que peut apporter en effet une nouvelle loi
quand l’exécutif n'est pas un bon exécutant ?
M. François Fillon, au lieu de
proposer une réforme qui comme toutes les précédentes suscite une épidémie de
manifestations, aurait dû plutôt s'appliquer, dans le cadre des lois
et règlements existants, au bon fonctionnement des universités, lycées, collèges
et écoles.
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