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Denis Robert "jette l'éponge"

2 juillet 2008

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Pour lire un peu plus :

-
Révélation$
-
La boîte noire
- La domination du monde
- Clearstream, l'enquête
-
Prédation et prédateurs
-
Blog de Denis Robert

Le ton de Denis Robert classe celui-ci à part parmi les écrivains. Il procède par collages, coqs-à-l’âne, digressions reproduisant le désordre spontané de notre pensée. Le récit de ses enquêtes s’entrelace avec des épisodes de sa vie personnelle, de son apprentissage de la sexualité etc. Le lecteur doit se faire à son écriture. J’ai peiné avant d’entrevoir les clés de cette esthétique si particulière.

Les enquêtes de Robert sont cependant des plus utiles. Il nous a ouvert les portes des entreprises de clearing qui, au cœur du système financier, jouent un rôle certes utile mais offrent aussi des possibilités aux prédateurs – possibilités que ceux-ci utilisent, bien sûr, car ils maîtrisent l’art de faire flèche de tout bois (voir Révélation$ et La boîte noire).

Scandale ! Mensonge ! Diffamation ! s’écrient les vertueux banquiers, les honnêtes intermédiaires qui jamais au grand jamais, c'est sûr, n’ont cédé à la moindre tentation, n’ont commis le moindre délit pour s’enrichir. Le Luxembourg, dont le PIB par tête est le plus élevé du monde, offensé, se drape dans sa dignité d’État indépendant. Les magistrats luxembourgeois, qui bien évidemment ne sont soumis à aucune pression puisque le secteur financier ne représente que 38 % du PIB de leur pays, instruisent contre Robert une pluie de procès.

Des magistrats français leur ont emboîté le pas. Ils n’aiment peut-être pas le ton de Robert, ce ton qui, il est vrai, est fait pour irriter ceux qui aiment la forme lisse, classique, correcte que les banquiers et les intermédiaires maîtrisent parfaitement. Entre ces messieurs-dames qui certes ne diront jamais rien de leurs fantasmes érotiques, impeccables dans leurs costumes trois pièces et leurs tailleurs couture, et cet écrivain suant, mal vêtu, mal coiffé qui met tout sur la table, le bon goût a tôt fait de trancher.

*     *

Mais le bon goût ne peut pas avoir le dernier mot car la question cruciale reste posée : qu’en est-il des faits que Robert a révélés, des documents qu’il a publiés, des témoignages qu’il a suscités ? Pffuit… on les oublie, on les néglige, on les disqualifie. « Vous n’allez tout de même pas croire ce que raconte cet individu mal élevé qui, de surcroît, a été mis en examen ! »

C’est ainsi que Robert a été écrasé par une pluie d’huissiers, de convocations devant la police et les juges d’instruction. On a tenté de le piéger dans l’affaire Clearstream 2 – s’il avait été aussi naïf qu’il le paraît, il y aurait tenu le rôle de bouc émissaire que l’on avait préparé pour lui.

« Je ne publierai plus rien, dit-il aujourd’hui, je ne dirai plus rien ». Il en a plus qu’assez d’être persécuté et je le comprends. Il a cent fois raison de jeter l’éponge, comme il dit (voir son blog). Peut-être aurait il dû, en bonne tactique et pour sauvegarder sa santé, le faire plus tôt.

*     *

Mais il n’en reste pas moins, j'insiste, que les faits que Robert a révélés, les méthodes qu’il a décrites, les documents qu’il a publiés, tout cela reste. Il nous a éclairés sur les procédés qu’utilisent les prédateurs pour faire fructifier leur richesse. Le double mécanisme de blanchiment de l’argent sale, de noircissement de l’argent propre, est le système respiratoire de la prédation : sans lui, elle étoufferait.

L’informatique y joue un rôle essentiel. L’économie informatisée, qui s’est mise en place à partir de 1975, diffère profondément de l’économie industrielle qui l’a précédée. Elle est fondamentalement violente (voir Prédation et prédateurs), mais cette violence est opportunément masquée par des formes juridiques correctes, conçues par des avocats d’affaire très bien payés qui font se pâmer d'aise les magistrats.

On ne doit pas supposer que ceux qui ont condamné Robert soient malhonnêtes, mais il se peut que n’ayant pas une connaissance exacte des ruses de l’économie contemporaine ils n’aient pas évalué son apport avec justesse. Tous les magistrats sont parfaitement intègres, nous le savons ; mais il peut se trouver des naïfs parmi eux.

*     *

Que l’on n’aille pas me dire que les enquêtes, les témoignages, sont sans valeur parce que l’enquêteur aurait été « mis en examen ». Les procès, les condamnations, sont dans l’ordre des choses quand quelqu’un s’écarte du sérieux conventionnel en prenant le risque de révéler des faits que les gens sérieux conspirent à cacher.

Ce qui est sérieux, n’est-ce pas, c’est de faire carrière et fortune, de se glisser parmi les notables, de bien se coiffer et s’habiller, de parler avec componction, de rouler dans une grosse voiture conduite par un chauffeur, de payer largement des avocats compétents et procéduriers.

Celui qui ayant vu des choses que l’on cache, les décrit comme le fait Robert, est par contre un être sans pudeur, et...

...à ces mots on cria haro sur le baudet
Un Loup quelque peu clerc prouva  par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir
[1].

*     *

Robert peut maintenant se taire : il a écrit, et les faits qu’il rapporte se proposent, s’imposent d’eux-mêmes à la sagacité de ses lecteurs et de quiconque entreprend de réfléchir.

Les maîtres en judo disent qu’il ne faut pas résister à une attaque mais s’écarter de telle sorte que l’attaquant, dans son élan, se casse la figure tout seul. L’affaire Clearstream ne fait que commencer.


[1] La Fontaine, Les animaux malades de la peste.