Denis Robert avait, dans
Révélation$ et La
boîte noire, décrit les dérives du système de compensation géré par la
société Clearstream, sise au Luxembourg. Il a été la cible de plusieurs procès
en diffamation qu'il a gagnés. Il est maintenant poursuivi par la justice
luxembourgeoise.
Contrairement à ces deux ouvrages, La
domination du monde n'est pas un rapport d'enquête mais un roman. Il est
de qualité moyenne au plan de l'écriture, mais il complète les comptes rendus
d'enquête que Denis Robert avait publiés auparavant. Les transpositions sont transparentes : Clearstream est devenu
Shark, Le Monde est devenu Le Matin etc.
Les comptes rendus de réunion sont ce qu'il y a
de mieux dans ce livre, notamment une conversation p. 306 avec un Russe qui
décrit le monde des riches, conversation sur laquelle je reviendrai dans un instant.
J'ai noté d'étonnantes erreurs : Denis Robert
confond la matière noire avec l'anti-matière, il parle du « roi » du
Liechtenstein alors qu'il s'agit d'une principauté. Elles ne sont pas graves au
fond mais elles risquent de faire douter de la précision de son raisonnement.
Il rappelle le procédé qui permet à Shark
d'effacer les traces de certaines transactions. Il dit que ce service rapporte
des commissions juteuses (j'ai conservé de ses autres ouvrages le souvenir d'un
taux de 10 à 30 %) qui font l'objet d'une comptabilité séparée et alimentent une
secte.
Il ajoute, comme en passant et mine de rien, une
information cruciale : les traces ainsi effacées seraient conservées par Shark
dans un fichier que certains services de renseignement peuvent consulter. Le
secret que Shark vend si cher à ses clients serait donc, en fait, un secret de
Polichinelle ! Il y a là de quoi couler son commerce… Mais cela explique aussi
certains soutiens dont Shark bénéficie.
Il dit que Shark vend en outre un service de
création monétaire occulte (c'est-à-dire un échange de prêts ou cautions sans
réelle contrepartie, qui tire parti du secret des transactions) et dont le
dévoilement serait de nature à susciter l'effondrement du système financier.
Mais il n'explique pas comment fonctionne ce deuxième service et on reste sur sa
faim.
* *
Restons-en donc au secret des transactions, et
recoupons-le avec ce que dit sur le monde des riches ce Russe que cite Denis
Robert. On peut
schématiser l'économie actuelle en disant qu'elle comporte deux types de
relation : l'échange équilibré, où chaque partie a le même pouvoir de
refuser ou accepter une transaction ; la prédation, où l'une des deux
parties est en mesure d'imposer la transaction à l'autre. La prédation est
la relation économique qui caractérise l'époque de la féodalité, où elle était
compensée par l'exercice de la charité (La
société féodale). L'échange équilibré s'est développé avec l'économie
industrielle à partir du XVIIIe
siècle. Bien sûr, la prédation n'a pas disparu
d'un coup – notamment en ce qui concerne la maîtrise des approvisionnements
en matières premières ainsi que sur le marché du travail – mais
fondamentalement elle constituait pour l'économie
industrielle une rémanence archaïque.
Or elle revient en force dans l'économie
automatisée, informatisée qui fonde le système technique contemporain et dans laquelle
le risque et la violence, également extrêmes, vont de pair (e-conomie
et Noir Silence). Les héros de
Shakespeare revivent !
Si l'on adhère à ce schéma, on dira que
l'économie contemporaine se divise en deux parties fonctionnant l'une sous le régime de
l'échange équilibré, l'autre sous celui de la prédation. La charnière entre ces ceux parties, c'est
le blanchiment qui permet de faire entrer le résultat de la prédation dans le
circuit « normal » et légal.
Le blanchiment permet aux prédateurs de se
procurer influence (contrôle des médias et, à travers eux, des gouvernements),
prestige et honorabilité ; il permet aux banquiers, politiques et magistrats que
les prédateurs ont achetés de jouir en toute quiétude du fruit de la corruption.
Les gens que le Russe cité par Denis Robert appelle « les riches » ne sont
autres que ces prédateurs qui se tiennent à l'affût des occasions et savent
« manipuler, agresser, humilier, écraser, corrompre. »
L'analyse de Shark met à jour la charnière
autour de laquelle pivotent ces deux parties de l'économie contemporaine. C'est
cela, et non le CPE, qui aurait dû déclencher des manifestations (voir
La Fronde) ! Mais, comme le dit Denis
Robert, les médias sont ce que les prédateurs contrôlent le mieux (cf.
son aventure avec
Le Matin) : cela leur permet d'orienter
les émotions selon leurs intérêts et d'organiser un silence réprobateur autour
des révélations qui pourraient entrouvrir la boîte noire. |