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Aspects intellectuels de la maîtrise d'ouvrage

20 février 2003

(voir Servitude et grandeur de la maîtrise d'ouvrage)

Les systèmes d’information ambitionnent aujourd’hui non seulement d’automatiser les tâches administratives, mais d’équiper chaque processus de travail au plus près de la pratique opérationnelle (voir Évolution du SI : du concept au processus). L’automate programmable devenant l’assistant de chaque opérateur humain, le « travail assisté par ordinateur » se généralise. Pour définir un SI, il faut alors « modéliser le métier » (voir Modélisation et SI).

Le modèle devra être mis en œuvre sur une « plate-forme informatique » mais celle-ci ne résume pas le SI, pas plus que le réseau téléphonique ne résume les conversations qui, sans lui, ne pourraient pas avoir lieu. L’informatique permet d’incarner la sémantique du SI tout comme la physiologie humaine permet d’incarner le langage (idéal) dans la parole (sonore). Alors que la plate-forme informatique est soumise à des contraintes physiques, techniques et économiques de vitesse, volume et prix, les objectifs fonctionnels du SI doivent obéir à des contraintes sémantiques de pertinence, sobriété et cohérence. La modélisation doit articuler ces objectifs fonctionnels aux contraintes de la plate-forme informatique.

L'architecture d’un SI ressemble à celle d’un immeuble : comme lui, il a des fondations, des piliers et des murs porteurs, des lieux de passage et des espaces privés, des escaliers ou des ascenseurs, des réseaux. Ses « fondations » sont à la fois sémantiques (processus, référentiel) et physiques (mémoires, processeurs, langages, interfaces, protocoles et réseaux). 

L’amateur exercé qui voit un immeuble peut dans une certaine mesure inférer la solidité de ses fondations en examinant ses formes apparentes ; mais rien ne « saute aux yeux » dans un SI. Son exploration à travers l’étroite fenêtre de l’écran ne peut être que progressive (voir Check-list du SI). Les contraintes de cohérence et de solidité ne seront donc perçues que par les spécialistes. Les utilisateurs subissent les effets des incohérences mais ne peuvent deviner leur origine.

L’urbanisme du SI (voir Urbaniser un SI) vise à instaurer la clarté et l’ordre dans un SI hérité de l’histoire, puis à maîtriser intellectuellement son évolution. Les principes qui guident l'urbanisme et la modélisation sont pertinence, cohérence et sobriété. Par « pertinence », on entend que le SI répond aux besoins des utilisateurs (c’est la moindre des choses, mais ce n’est pas facile car il faut inférer les besoins à partir d’une demande qui les traduit mal) ; par « sobriété », que le SI fournit aux utilisateurs le strict nécessaire et lui seul (trop de SI fournissent des fonctionnalités inutilisées et coûteuses). Par « cohérence », que le SI est conçu comme un système dont les parties communiquent et dont aucune partie n’est négligée (trop de SI sont en fait non des systèmes, mais des « machins » fondés sur des référentiels incohérents).

La qualité de l’architecture du SI a peu de défenseurs. Les dirigeants, qui décident de l’attribution des budgets et du lancement des projets mais ne sont généralement pas eux-mêmes des utilisateurs, se défient de l’« esprit de système » de celui qui réclame la cohérence. Les informaticiens ont tendance à se laisser accaparer par les grands projets : or un SI construit projet par projet, sans souci de cohérence, finit par ressembler à un de ces immeubles mal bâtis où l’on trouve des pièces murées, des couloirs qui ne vont nulle part, des escaliers qui débouchent sur le vide, des réseaux qui s’engorgent et débordent. Il arrive aussi que les informaticiens, soucieux d’abord de qualité technique, accordent peu d’attention à la qualité sémantique : si celle-ci n’est pas défendue par un maître d’ouvrage elle sera négligée.

Le charme que peut avoir la superposition d’architectures diverses dans les quartiers anciens d’une ville vient non du désordre, mais des mille dispositions de détail ingénieuses qui ont instauré l’harmonie dans la diversité. Beaucoup de SI sont des « bidonvilles de luxe » construits de bric et de broc. La conjonction de la laideur et du gaspillage manifeste à la fois l’arrogance de la richesse et la carence de la pensée. Mais seul celui qui sait voir l’architecture d’un SI peut ressentir la répugnance qu’inspire un tel spectacle.