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Servitude et grandeur de la maîtrise d’ouvrage du système d'information

20 février 2003


Liens utiles

- Servitude et grandeur du DSI
- Fonctions dans la maîtrise d’ouvrage
- Aspects intellectuels
- Situation dans l’organisation
- Questions humaines

Par un abus de langage que nous adopterons ici nous-mêmes, on appelle souvent « maître d’ouvrage » tout court la personne que l’on devrait appeler « maître d’ouvrage délégué ». Cette personne, placée près d’un dirigeant [1] (président, directeur général, directeur au sein d’une entreprise), l’assiste dans la formulation des priorités en matière de SI et dans la définition d’un SI répondant à la stratégie (pour plus de détails sur ce partage des rôles, voir Fonctions dans la maîtrise d’ouvrage).

L’addition d’obligations souvent contradictoires – intellectuelles, organisationnelles ou humaines – auxquelles ce maître d’ouvrage est soumis constitue une servitude. Celui qui l’assume lucidement accède à la modeste grandeur qu’a évoquée Alfred de Vigny (1797-1863) dans Servitude et grandeur militaires (1835).

*  *
Toute entreprise est organisée autour de quelques spécialités qu’elle maîtrise : on les appelle les « métiers ». Il est rare que le SI figure parmi ces spécialités. C’est le cas chez American Airlines ou chez FedEx, dont les dirigeants connaissent parfaitement leur SI.

Le plus souvent les compétences des métiers s’appuient sur un SI mal maîtrisé. Lorsque le spécialiste du SI arrive dans un métier il sera d’abord impressionné par la technicité de celui-ci : dans le cockpit d’un avion de ligne, dans un hôpital, dans une salle de marché, dans une usine, la virtuosité des personnes qui utilisent des équipements complexes saute aux yeux. Mais l’examen attentif fait bientôt apparaître des carences. Le SI de l’avion de ligne ou d'un bateau de guerre est « ringard », car la conception de ces machines demande quelques années, après quoi elles ont une durée de vie de quelques dizaines d'années . Le SI de l’hôpital, pourtant vital au sens le plus précis du terme, est d’un désordre inouï. La salle de marché, où les écrans abondent, n’est tout comme l'usine pas vraiment bien équipée.

Tout métier, vu de près, est par ailleurs la superposition géologique d’habitudes, vocabulaires, méthodes, logiques, outils définis à des époques diverses et qui délimitent des micro-métiers. Le SI reflète et pérennise le désordre sémantique et le fouillis de procédures que chérit leur sociologie.

Il en résulte des redondances, délais, surcoûts, erreurs dont les dirigeants s’accommodent avec une bonhomie qui étonne. Il faudrait, semble-t-il, que l’entreprise fût menacée dans son existence même pour qu'elle consentît à être tout simplement rigoureuse, logique, claire, méthodique. C’est cette lutte pour la survie qui explique que les SI du secteur « banques et assurances » aient cinq à dix ans d’avance sur les autres.

Beaucoup de personnes réduisent l'entreprise aux évidences triviales du « business is business ». Cependant les articulations qu'elle opère entre la pensée et l’action, comme entre le projet et la réalité, posent des problèmes qui mériteraient l’attention d’un Aristote. Beaucoup de dirigeants croient pouvoir faire traiter ces problèmes par les seuls informaticiens. Il en résulte une confusion entre les concepts sémantiques des métiers d'une part, les concepts techniques de la plate-forme informatique d'autre part.

Nous allons examiner l'une après l'autre trois dimensions pratiques de la maîtrise d'ouvrage :

Aspects intellectuels

Situation dans l’organisation

Questions humaines

*  *
A l’issue d’une conférence où ces trois dimensions avaient été présentées, un participant (lui-même maître d’ouvrage dans une grande entreprise) s’écria : « s’il en est ainsi, vivement la retraite ! »

Il était de ceux qui ont besoin de croire en la rationalité de l’entreprise. Il voulait ignorer qu'étant un organisme vivant elle a, tout comme une personne, besoin de soins médicaux – surtout en ce qui concerne son SI, système nerveux de l’entreprise et architecture de son langage, et donc aussi difficile à comprendre pour elle qu’il est difficile, pour un être humain, de comprendre son propre cerveau.

La servitude et la grandeur de la maîtrise d’ouvrage ont attiré vers cette activité des personnes d'un profil particulier [2]. Elles entendent aider l’entreprise à articuler la puissance de l’automate programmable et la compétence de l'être humain. Elles assument pour cela le discrédit attaché à ceux qui s'écartent du sentier des carrières habituelles. Elles assument aussi les risques que prend quiconque contribue à la décision sans maîtriser les budgets et sans occuper une position de force dans l’organigramme. Elles postulent – avec un optimisme souvent contredit mais toujours renouvelé – que la simple raison, la modeste rigueur s'imposeront à la longue par le poids de leur évidence.

L’expérience leur apprend à gérer la frustration, les contrariétés que comporte l'activité quotidienne, à ne pas s’étonner de la perversité des « hommes de pouvoir [3] », à se réjouir de réalisations partielles, plus raisonnables que rationnelles, et à tenir le cap dans la durée. C’est ainsi en effet que se construisent, dans un long accouchement, les SI de nos entreprises.


[1] Qui est, lui, le « maître d’ouvrage stratégique ».

[2] Alors que j’étais responsable de la maîtrise d’ouvrage dans une grande entreprise, j’ai eu un échange révélateur avec le directeur informatique et télécoms :
DIT : « Je ne comprends pas ta façon de faire. Quel est ton but ? »
MOA : « Faire en sorte que le SI équipe convenablement les métiers, que l’entreprise soit efficace » 
DIT : « Holà, mais tu veux donc changer le monde ! »
MOA : « En quelque sorte oui, modestement ; quel autre but poursuivre ? »
DIT : « Mon but à moi, c'est de faire du business ».

[3] Qui sont (pas toujours, mais souvent) surtout des hommes de peur : la peur de la mort, la peur de soi-même, incitent à rechercher le « divertissement » que procure le pouvoir.