Évolution
du rôle du système d’information : du concept au processus
23 février 2002
Pour
décrire l’évolution du rôle du système d’information, nous allons
d’abord présenter de façon schématique comment une
entreprise travaille, puis montrer comment le SI a progressivement équipé les
divers types de fonctions.
Toute
l’activité de l’entreprise débute par des « événements externes à
la production » (ou « événements externes » tout court) : commandes des clients,
livraisons des fournisseurs, et aussi mise au catalogue de nouveaux produits ; le cycle de l’activité se boucle par des
livraisons aux clients. Les activités internes font progresser le processus de
production, de la
prise de commande jusqu'à la livraison, en
fournissant des « livrables », produits intermédiaires
documentaires ou physiques dont la mise à disposition est un « événement interne ».
Organisation
du travail de bureau
: à partir des années 1880
L'organisation
du travail de bureau a résulté d’un effort prolongé et méthodique.
Les progrès essentiels ont été réalisés lors des dernières décennies du XIXème siècle dans le « loop » de
Chicago, centre d’affaires
en croissance rapide où furent mises au point les méthodes de standardisation
et de classement documentaire, ainsi que l’architecture des grands
immeubles de bureau. C’est également aux États-Unis que débutera la mécanisation avec
les machines à écrire et les machines à calculer de bureau : la machine à écrire
permet d’obtenir des documents plus lisibles que les manuscrits et de les
dupliquer en quelques exemplaires grâce au papier carbone puis au stencil ; la
machine à calculer de bureau facilite les opérations de vérification et de
calcul.
Les
tâches remplies par les employés de bureau dans l'entreprise dans la première
moitié du XXème siècle
se classent en deux catégories : celles effectuées au contact des
clients et des fournisseurs, qui impliquent une part de dialogue ou de négociation
(« première ligne », ou encore « front office »), celles
internes à l’entreprise (« back office »). Seules ces dernières peuvent être
entièrement organisées, car la personne qui se trouve au contact des personnes extérieures
doit laisser à l’interlocuteur une part d’initiative et ne peut donc pas maîtriser
complètement le déroulement du dialogue.
Les
tâches remplies dans l’entreprise obéissent toutes à un même schéma :
-
d’une part la personne reçoit des
commandes et des matières premières ; elle réalise son travail puis
fournit des produits intermédiaires (« livrables ») qu'elle oriente vers
l'étape suivante du processus. Par exemple, pour les personnes qui traitaient
l’information dans les grandes banques ou les compagnies d’assurance, le travail était
réalisé sur un bureau dans une salle où travaillaient de nombreux employés ;
à gauche se trouvait la barquette arrivée, à droite la barquette départ, les
dossiers étant apportés et emportés par des personnes équipées de
caddies.
-
d’autre part l’activité des personnes qui transportent les dossiers
d’un bureau à l’autre, ainsi que celle du superviseur de la salle de
travail, constitue une logistique qui entoure le travail d’un réseau de communication et de contrôle. La pile de dossiers qui
reste dans la barquette arrivée indique la personne qui travaille plus lentement
que les autres. La mesure du flux quotidien permet d’établir des normes de
productivité. Les délais de traitement d’une affaire peuvent être évalués.
Le
travail que la personne effectue sur les dossiers consiste en calculs, vérifications,
transcriptions, et aussi en expertises, classements, évaluations et décisions
(ou avis en vue de contribuer à la décision). En même temps qu'il fait progresser le processus de traitement des affaires,
le travail alimente des fichiers manuels qui constituent la mémoire de masse
de l'entreprise. Les éventuelles interrogations donnent occasion à des échanges de notes ou fiches que
la personne place dans la
barquette « départ » en mentionnant le nom du destinataire, les réponses
lui parvenant dans la barquette « arrivée » avec les dossiers à
traiter.
Évolution
des équipements de bureau
Les
équipements du travail de bureau (fauteuils, bureaux,
téléphones, photocopieurs, télécopieurs, calculateurs, machines à
écrire, classeurs, trombones, post-its, sans même parler de l'ordinateur et de sa
séquelle d'imprimantes, scanners etc.) sont d'origine récente : le
brevet du trombone est déposé en 1901, celui du classeur mécanique en
1904. Les copieurs apparaissent en 1890, mais la photocopie ne se répand
vraiment qu'à partir de 1960 avec la xérographie. Le Post-it
est lancé par 3M (après de longues hésitations) en 1980.
La machine
à écrire, inventée en 1868 par
l’américain Christopher Latham Sholes, est commercialisée par
Remington en 1874. Elle a déjà le clavier QWERTY. Elle écrit en majuscules et on ne
peut pas voir le texte que l'on tape. 5 000 machines sont vendues en cinq ans. Le modèle Remington n° 2 de 1878 permet
d’écrire en minuscules et majuscules. En 1895, Underwood commercialise
une machine qui permet de voir ce que l’on tape. Dès lors la machine
à écrire se répand rapidement dans les entreprises. La première école
de dactylographie est créée en 1911.
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Dans
les entreprises industrielles, le travail de bureau traitait les commandes, les
factures et la comptabilité ; il en partait des ordres qui déclenchaient
les opérations physiques de production, approvisionnement, stockage, transport
et livraison. Les décisions concernant les opérations physiques étaient prises
dans les bureaux, les décisions laissées aux agents de terrain étant
celles qui accompagnent l’exécution des opérations.
Processus
de gestion dans une entreprise industrielle
Les commandes sont
satisfaites en puisant dans les stocks ; la statistique des commandes
permet d'évaluer la demande anticipée et de déterminer le programme de
production ; les facteurs de production (capital K, travail L, biens
intermédiaires X) sont mobilisés chacun selon le cycle de vie qui lui
est propre ; la fonction de production Y = f(K, L, X) est mise en oeuvre pour
réalimenter les stocks.
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Lorsque
le travail se faisait au contact d’un client ou d’un fournisseur, que ce
soit un contact « présentiel », par téléphone ou par courrier, la
procédure devait être plus souple : il ne s’agissait plus de traiter
des documents obéissant aux formats types de l’entreprise, mais de répondre
à des demandes ou questions formulées dans la langue des personnes externes et
dans un ordre correspondant à leurs priorités (certes le courrier arrivée est
placé dans la barquette « arrivée », mais il n’est pas rédigé
de façon conforme aux normes de l’entreprise, et son traitement peut nécessiter
un dialogue par lettre avec le client).
La tâche
de l’employé était alors de transcrire les indications recueillies lors de
la relation externe en un document susceptible d’alimenter le processus
interne.
Cette
organisation comportait des articulations fragiles.
Les documents posés en pile risquaient d’être traités sur le mode « last
in, first out » qui induit des délais aléatoires ; la succession des
transferts entre personnes risquait de finir « dans les sables »
en cas d’erreur d’aiguillage ; si pour une raison particulière on avait
besoin de retrouver un dossier en cours de traitement, il n’était pas facile
de le suivre à la trace le long de son parcours. Enfin, le schéma que
nous décrivons se dégradait en variantes artisanales dans les
entreprises petites et moyennes, et il était vulnérable à la négligence ou
à l’étourderie.
Vers
le système d'information : à partir des années 1950
L’industrialisation
du travail de bureau, avec les armoires de dossiers suspendus, classeurs,
bibliothèques tournantes, la logistique du transport des dossiers, les longues
opérations de calcul, appelait l’informatique. Mais l’informatisation n’a pris son
essor que dans les années 50, la guerre ayant pendant dix ans bloqué
l'utilisation des technologies (comme ce fut le cas pour
l'agriculture : en Europe le tracteur ne se répand pas avant les années
50).
La
mécanographie, fondée sur le traitement électromécanique de cartes perforées
par des trieuses et tabulatrices, avait été conçue pour réaliser des travaux
statistiques ; la première réalisation est celle du statisticien américain
Herman Hollerith (1860-1929) pour le recensement de la population des États-Unis
en 1890. Les
entreprises créées par Hollerith sont à l'origine d’IBM . Les premiers
utilisateurs de la mécanographie furent les instituts statistiques, les armées
et certaines administrations .
Les origines de plusieurs grands groupes informatiques remontent à l’ère de
la mécanographie .
C’est
avec l’ordinateur, plus puissant que la machine mécanographique et surtout
plus souple grâce à la mise en oeuvre automatique de programmes enregistrés
selon l'architecture de von Neumann ,
que l’informatique pénètre les entreprises dans les années 50 et surtout
les années 60. Elle est utilisée d'abord pour automatiser la production physique :
dès 1968, on
pense à remplacer la commande numérique des machine-outils par la "commande numérique directe".
Dans le numéro spécial de "Science et Vie" sur l'automatisme en
1964, la gestion n'apparaît encore que comme un domaine relativement secondaire pour
l'automatisation.
Partage
du travail entre l'ordinateur et l'être humain
Les
entreprises achètent les ordinateurs pour économiser le temps que les
employés passent à des opérations répétitives de vérification,
calcul et transcription, et aussi pour obtenir plus rapidement des informations de gestion
d'une meilleure qualité.
Elles
utilisent la machine pour faire des traitements (puissance) ainsi que pour
classer et trier l'information (mémoire). Elles
réservent à l’être humain les fonctions où il est supérieur à l’ordinateur
: comprendre, expliquer,
décider, concevoir.
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Les
ordinateurs des années 60 sont des « mainframes » que
l’utilisateur alimente en cartes perforées et qui fournissent des
listings. Les écrans des années 70 reproduiront
d’ailleurs le format des listings.
Les premiers secteurs à s’informatiser
furent les banques et assurances ; dans les autres secteurs, les premières
utilisations ont concerné la comptabilité, la paie et la gestion des stocks.
Les
conditions physiques du travail changent. Les employés passent dans les
années 60 une partie de leur temps à perforer des cartes et à dépouiller des
listings ; puis on installe sur leurs bureaux dans les années 70 et 80 des
terminaux qui seront dans les années 90 remplacés par des PC en réseau. A
chaque étape, l’ergonomie se modifie ainsi que les possibilité offertes.
Décalage
de la pénétration des innovations
Lorsque
l’on examine comment l’informatique a pénétré les
entreprises, on constate un décalage entre la disponibilité des innovations et leur
mise en oeuvre. Il faut donc distinguer la chronologie des innovations, telle que les historiens de
l'informatique la décrivent, de celle de leur utilisation par les
entreprises.
Ainsi, il était dès
1957 possible d’utiliser quatre terminaux en grappe sur l’IBM
305, mais les entreprises en sont restées pendant les années 60 au couple
« carte perforée et listing » et la diffusion des terminaux date
des années 70. De même, il était possible de fournir aux utilisateurs des PC
en réseau dès le début des années 80, mais de nombreuses
entreprises ont continué à utiliser des terminaux « passifs »
jusqu’au milieu des années 90 et au delà.
Ces décalages s'expliquent
: les premières versions des solutions innovantes sont coûteuses et demandent des mises au point, et leur mise en
oeuvre implique des changements de l'organisation de l'entreprise.
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L’espace
de travail change d’allure. Les archives et dossiers papier sont remplacés,
dans une large mesure, par des informations stockées dans les mémoires électroniques.
L’écran-clavier s’installe sur les bureaux. Une partie du travail à faire
arrive non plus dans une barquette, mais sur l’écran.
Toutefois
ce changement ne modifie pas fondamentalement la nature du travail :
la différence entre événement interne et événement externe reste de même
nature, même si l’écran-clavier s’impose désormais comme un tiers dans la
relation avec les personnes externes.
Personne
n’a plus, en principe, à recopier une information déjà introduite dans le
système d’information ; la vérification de la saisie est faite
automatiquement ; les calculs (de prix, taxes, salaires, ainsi que les
totalisations etc.) sont eux aussi automatisés, ainsi que la sortie des
« états » divers (bulletins de paie, documents comptables, état
des stocks, statistiques etc.)
L'ordinateur remplit deux fonctions : d’une part
il aide à traiter des
dossiers individuels dont il facilite aussi le tri et la recherche ;
d’autre part il fournit des statistiques. L’être humain se spécialise dans
les tâches qu’il fait mieux que l’ordinateur : il analyse
l’information pour faire le tour d’un problème, l’interprète pour
comprendre, la synthétise
pour résumer et communiquer ce qu’il a compris ; enfin il décide ou même il
conçoit. Il est soulagé des travaux qui
utilisent la cervelle de façon mécanique, et il est invité à se consacrer aux
travaux que seule la cervelle peut assurer. On arrive ainsi à un partage des tâches
où chaque ressource tend à être utilisée au mieux de ses aptitudes. Cette
évolution n'est pas facile (cf. encadré ci-dessous).
Une
évolution difficile
Cette évolution est
pénible pour ceux des employés, souvent les plus intelligents, qui avaient pris l'habitude
de travailler de façon mécanique en pensant à autre chose. Désormais le
travail leur impose réflexion, responsabilité, prise de risque et donc soucis. Même
s'il est plus intéressant en principe, la transition n'est pas facile.
Il faut
aussi des changements dans l'organisation (transversalité etc.) : l'entreprise
doit accorder à l'employé un pouvoir de décision à la hauteur des
responsabilités qu'elle lui attribue et éviter de le harceler pour obtenir
toujours plus de productivité, de qualité ou de profit unitaire. Cela implique
un changement dans les rapports entre personnes, qui doivent devenir plus respectueux
: dans une entreprise où la prise de décision est décentralisée, il faut
savoir écouter ce que dit l'autre.
L'évolution est
difficile aussi pour les entreprises qui oublient parfois que l'employé ne peut être
à la fois un exécutant docile et un pionnier plein d'initiative et de
créativité.
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Nous
sommes là vers le milieu des années 80 ; il faut compléter cette description
en mentionnant des défauts souvent rencontrés. D’une part les « applications »
informatiques ont été conçues séparément et communiquent mal : les
personnes doivent
dans le cours d’une même tâche ouvrir une session puis la fermer pour passer
à une autre dont l’ergonomie sera différente, ressaisir des données, utiliser des codes dont la maîtrise suppose un long apprentissage.
Si l’informatique est puissante, elle manque donc encore de cohérence et de convivialité.
L'automate n'est pas souple : ce n'est pas lui qui s'adapte aux utilisateurs, ce
sont les utilisateurs qui doivent s'adapter à lui.
Ces
défauts sont d'abord tolérés en raison des gains d'efficacité que
l'informatique apporte. Puis ils sont jugés de plus en plus insupportables. Le « système d’information » vise à
les corriger. Les diverses applications doivent se fonder sur un référentiel
unique, ce qui garantit la cohérence sémantique ; elles doivent échanger
les données et se tenir à jour mutuellement, ce qui assure la cohérence du
contenu et supprime les ressaisies. Toutefois cette mise en cohérence reste
partielle, et donc les défauts persistent, en raison du poids de l'existant et
de la pression d'autres priorités.
Écart
entre théorie et pratique
L'idée
du système d'information n'est pas nouvelle : la théorie était déjà bien
avancée avant la seconde guerre mondiale. Mais il faut là encore, quand on
examine la pratique des entreprises, tenir compte de l'écart chronologique
entre l'émission d'une idée et sa mise en oeuvre. La lenteur du cycle de vie
de l'organisation fait que des méthodes que chacun juge absurdes survivent
alors que la mise en oeuvre de solutions pourtant simples et bien connues est ajournée.
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La
bureautique communicante
: à partir des années 1980
L’arrivée
du micro-ordinateur dans les années 80 est un choc pour les systèmes d'information. Les
informaticiens ne reconnaissent pas immédiatement la légitimité et l'utilité
du micro-ordinateur. Celui-ci est d'abord utilisé pour répandre les applications bureautiques
qui avaient été mises au point sur les architectures de mini-ordinateurs en
grappe (traitement de
texte, tableur, grapheur).
Il supplante progressivement la machine à écrire et la machine à calculer mais les applications
bureautiques se déploient dans un certain désordre (versions différentes des
applications, travaux locaux sans cohérence d'ensemble). Au début des années
90, la mise en réseau des PC confronte la bureautique aux exigences de
cohérence du système d'information : pour toute donnée importante, seule doit
exister sur le réseau une mesure définie et tenue à jour par le propriétaire
de la donnée.
Finalement
les PC
cumulent plusieurs rôles : ils remplacent les terminaux pour l’accès aux
applications centrales tout en apportant aux utilisateurs la bureautique personnelle et
aussi la « bureautique
communicante » (messagerie, documentation électronique, groupware
puis Intranet). Le PC en réseau devient à la fois le terminal ergonomique des
applications centrales, un outil de communication asynchrone entre personnes, et la
porte d’accès aux ressources documentaires de l’entreprise.
On
dirait alors que le SI a accompli tout ce qui était possible : il fournit à
l’utilisateur une interface qui, fédérant sous une ergonomie cohérente
les accès aux diverses applications, lui évite les connexions-déconnexions fréquentes
et les doubles saisies tout en soulageant son effort de mémoire ; il lui
fournit aussi un média de communication. Cependant il reste à assister
les utilisateurs non seulement dans chacune de leurs tâches considérée séparément, mais
dans la succession et l’articulation des diverses tâches.
En effet si l’informatique a libéré les
personnes des tâches répétitives de calcul, vérification et transcription, les entreprises ne l’ont pas encore utilisée
pour assurer les fonctions de logistique remplies autrefois par les personnes
qui transportaient les dossiers et par les superviseurs des salles de travail. Devenu informatique (« virtuel »), le
travail a perdu la visibilité que lui conférait l’apparence physique des
documents et dossiers sur papier. Il est devenu plus difficile de vérifier sa qualité,
d'évaluer la
productivité des personnes et de maîtriser les délais de production.
Rien
de tout cela n’est impossible pour l’informatique et les outils existent depuis longtemps
(de premiers « workflows »
ont fonctionné dès l’époque des « mainframes »), mais pour
qu’ils soient mis en oeuvre il faut que le besoin soit ressenti.
L'attention s'était d'abord focalisée sur la productivité de l'individu ainsi que sur la maîtrise des concepts (composants, classes, attributs,
fonctions) que le SI mettait à sa disposition. Il fallait maintenant utiliser
le SI pour automatiser le processus de travail lui-même.
L’informatique
communicante apporte un élément de solution : s’il est possible aux utilisateurs de communiquer par messagerie, pourquoi ne pas utiliser ce média
pour tisser une solidarité entre les étapes d’un même processus ?
Du
concept au processus : à partir des années 1990
Pour
retrouver la maîtrise de la
logistique que l'informatisation avait dans un
premier temps négligée, il faut introduire dans le SI les tables d’adressage qui balisent les transferts entre agents
successifs, la traçabilité, des indicateurs de
volume, de délai et (si possible) de qualité : ce sont là les fonctionnalités
du workflow. Celui-ci améliore d'ailleurs notablement la
logistique par rapport à celle du papier : il met un terme au risque du « last
in, first out », permet la traçabilité des dossiers et peut
produire automatiquement des indicateurs de volume et de délai facilitant la maîtrise de la qualité. Dès lors, on obtient un SI qui équipe les processus internes de l’entreprise au plus près
de la pratique professionnelle et associe les fonctionnalités de
l’informatique de communication à celles du traitement des données
structurées
selon une articulation délicate que représente ci-dessous le
dessin accidenté de la frontière :
Pour concevoir le traitement des données
structurées, il avait fallu concentrer l'attention sur les concepts à l’œuvre
dans le SI et sur les processus des traitements
informatiques. Pour concevoir un workflow, il faut concentrer l'attention sur l’enchaînement
des tâches des personnes, sur le processus opérationnel. Ce processus se complique
d'ailleurs avec l'arrivée du multimédia pour les événements externes (utilisation conjointe du courrier, du téléphone, du présentiel, de
l'Internet, de la carte à puce) comme pour les événements internes (Intranet
etc.), et aussi avec l'interopérabilité des SI qu'implique la pratique de plus en
plus répandue des partenariats reliant plusieurs entreprises.
L'expérience montre que la hiérarchie des
difficultés invite alors à accorder la priorité au processus opérationnel : sa prise en compte dictera les concepts sur lesquels se fonde le
traitement des données. L’informatique se construit désormais ainsi autour
de la pratique professionnelle, alors qu'auparavant la pratique
professionnelle avait été invitée à se construire autour de
l’informatique.
Ce
changement de point de vue s'accompagne, en ce qui concerne l'organisation, de
la professionnalisation des fonctions de maîtrise
d'ouvrage à l'intérieur des métiers de l'entreprise. Pour prendre en
compte de façon précise le déroulement des processus au sein des métiers, il faut en effet à la fois une proximité quotidienne avec les
personnes et une rigueur intellectuelle dont le besoin n'avait pas
jusqu'alors été ressenti. Les processus opérationnels se
mettent en forme en utilisant par exemple le langage UML.
De nouveaux problèmes apparaissent : comment choisir, si l'on veut un SI
assez sobre pour pouvoir évoluer, entre les fonctionnalités que l'on fournira et celles sur lesquelles on fera l'impasse ? comment faire en sorte que
le métier, les dirigeants, s'approprient le SI, valident ses spécifications,
participent à sa définition ?
Si
la
maîtrise du processus que permettent le multimédia et le workflow convient aux
travaux internes, il est plus difficile d’équiper
la personne en contact avec des clients ou des fournisseurs car on ne
peut pas prévoir l’ordre dans lequel il devra saisir les données et lancer les
traitements. Tout au plus le SI pourra-t-il lui fournir une aide contextuelle et
la liste des tâches à accomplir équipée de boutons indiquant pour chaque
tâche le degré d’avancement ; le workflow débute au moment où il
alimentera les événement internes.
Le
resserrement des relations entre l’informatique communicante et le traitement
des données structurées amène à
construire un SI « sur mesures », « près
du corps », dont la définition et l’évolution collent à la pratique
professionnelle des personnes. Il permet d'associer aux données leur commentaire,
ce qui les rend compréhensibles et transforme en profondeur leur rôle dans
l'entreprise. Le SI assiste les diverses personnes qui
interviennent dans l’entreprise – opérationnels, managers, concepteurs et
stratèges de la DG - en fournissant à chacun la « vue » qui lui
convient : ici les données pour le traitement opérationnel d'un dossier ; là
les indicateurs utiles au pilotage opérationnel quotidien ; ailleurs les
statistiques qui alimentent les études marketing et l'analyse stratégique (cf. « pilotage de l'entreprise » et « système informatique d'aide à la
décision »)
Cependant
cette évolution rencontre des
obstacles. D'une part, comme l'informatique d'une
entreprise résulte d'un empilage historique d'applications conçues dans
l'urgence, elle est rarement conforme aux exigences de cohérence du SI : il s'en faut de beaucoup que les référentiels et
l'administration des données répondent aux critères de qualité communément reconnus. D'autre part, l'histoire a habitué les esprits à une représentation particulière de ce
que peut et doit être le rôle de l'informatique. Le choc éprouvé lors de l'arrivée
des PC se renouvelle, sous une autre forme, lorsque l'on met en place la
documentation électronique, le multimédia et les workflows : personne ne pensait
auparavant que l'informatique pouvait ou devait faire cela, et il faut du temps
pour que l'on réalise (à tous les sens du terme) ces nouvelles
possibilités.
Le
tracé des frontières dans l'entreprise, une question philosophique
D'après
le dictionnaire de Lalande ,
l'une des acceptions du mot « métaphysique »
est « connaissance
de ce que sont les choses en elles-mêmes par opposition aux apparences
qu'elles présentent ».
On peut utiliser ce terme pour désigner les idées (qu'elles soient
pertinentes ou non)
concernant la nature de l'entreprise ou celle de l'informatique.
Ces
idées influencent la façon dont on trace la frontière entre
les activités que l'entreprise doit assurer elle-même et celles
qu'elle doit sous-traiter. L'intuition des dirigeants étant déconcertée
dans les périodes d'innovation, il peut leur arriver d'adopter des
principes antiéconomiques. Certaines entreprises externalisent ainsi
leurs centres
d'appel (dont la compétence est alors gaspillée) ou encore la maîtrise d'œuvre
de leur informatique (ce qui leur fait perdre la maîtrise de leur SI),
alors qu'elles conserveront l'exploitation des serveurs qu'il serait plus
efficace de sous-traiter.
La frontière de
l'automatisation est, elle aussi, l'objet de convictions métaphysiques.
Certains pensent
qu'en équipant les
processus opérationnels on dépasse une limite qui n'aurait pas dû être
franchie. Ils éprouvent une horreur instinctive devant le multimédia ou le workflow, horreur qui
semble absurde
tant que l'on n'en perçoit pas les raisons.
Ainsi s'explique qu'un directeur
qui, par ailleurs, lance d'un cœur léger des projets de plusieurs dizaines de
millions d'euros, refuse un projet de workflow de 100 000 euros qu'il considère
comme une « usine à gaz » alors que l'expérience a démontré l'efficacité de ce type de solution.
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Il est
vrai qu'il est impossible de tout informatiser et que l'informatisation doit
donc rester
en deçà d'une certaine frontière.
Mais cette frontière ne passe pas entre le concept informatique (légitime) et le processus
opérationnel (qu'il ne faudrait pas informatiser) : les exemples du traitement de texte, du tableur,
de la
messagerie et de la documentation électronique, ainsi que ceux de l'Internet et
de l'Intranet, prouvent que l'informatique peut se mettre efficacement au service de
l'activité quotidienne de la personne au travail.
Tout système d'information
implique une abstraction, un schématisme, un renoncement à la finesse sans limites de
l'expérience au bénéfice d'une représentation peut-être grossière, mais
efficace en
pratique. La frontière de l'informatisation se définit donc par le degré de
détail fonctionnel (et donc conceptuel) qu'il est raisonnable de retenir pour
assister l'action des êtres humains, et non par une conception normative (en
fait tissée d'habitudes) de ce que serait son champ légitime.
Pour
ceux qui veulent faire progresser le système d'information de l'entreprise et,
à travers lui, l'assistance que l'automate apporte aux personnes, il est devenu
prioritaire de faire comprendre (ou mieux « réaliser »)
par l'entreprise que la frontière du SI ne se définit pas par la nature des
opérations qu'on peut lui faire réaliser, mais par le degré de détail que
l'on exige de lui. Il faut passer du SI spécialisé dans quelques fonctions
qu'il remplit en offrant une inflation de fonctionnalités souvent inutiles, à
un SI sobre en fonctionnalités mais fournissant l'ensemble des fonctions
automatisables.
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Volle
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Site
Web : From Carbon to Computers
Hollerith fonde en 1896 la « Tabulating Machine Company ». Cette compagnie fusionne en 1911
avec la « Computing Scale Company of America » (balances
automatiques) et l’« International Time Recording Company »
(horloges enregistreuses) pour former la « Computing Tabulating
Recording Company » (CTR) dont la direction est confiée à Thomas J.
Watson (1874-1956). Ce dernier, devinant le potentiel de la mécanographie
pour la gestion, change en 1917 le nom de la
filiale canadienne de la CTR en « International Business Machines »
(IBM). CTR devient IBM en 1924. Watson fonde en France en 1920 la
« Société Internationale de Machines Commerciales » (SIMC) qui
est à l’origine d’IBM France.
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