Modélisation et système d'information
20 décembre 2002
On peut résumer les diverses étapes de la
conception d'un système d'information par le mot "modélisation" :
l'essentiel du contenu d'un SI réside dans les abstractions qu'il a fallu
construire pour représenter, au sein d'un outil informatique de dimension
finie, la diversité des êtres du monde réel (clients, produits, fournisseurs,
partenaires, organisation interne, salariés etc.) avec lesquels l'entreprise
entretient des relations. Le support fourni par la technique informatique
(mémoires, processeurs, réseaux) confère à ces abstractions une sorte de
réalité physique (les "données" peuvent être saisies, traitées,
consultées, elles occupent un volume en mémoire, elles ont un nom et une
adresse, leur transport suscite du débit dans les réseaux), mais la fonction
essentielle du système d'information réside dans la sémantique, dans
l'articulation de l'abstraction et de l'action, du contenant et du contenu, du
concept et de sa représentation, de l'être humain et de l'automate.
Obstacles à la modélisation
Cette articulation ne va pas de soi et elle
rencontre de sévères obstacles. D'abord un obstacle sociologique : tout
système d'information suppose une mise en ordre de l'organisation, une
délimitation claire des frontières entre les institutions qui se partagent le
pouvoir de décision légitime. Cette clarification n'est pas la bienvenue dans
des entreprises, des administrations où la paix entre les dirigeants est
maintenue par des compromis boiteux et des non-dits : en révélant que tel
territoire relève diverses sphères de légitimité, la clarification risque de
réveiller d'anciens conflits, risque auprès duquel l'enjeu du système
d'information paraîtra souvent secondaire (voir "Le
compromis managérial").
Puis un obstacle intellectuel : il n'est
pas facile de définir les concepts pertinents, le vocabulaire adéquat à
l'action. Cela implique le sacrifice de certains aspects du réel, mais lesquels
? cela suppose que l'on renonce à aller plus loin qu'un certain degré de
détail, mais comment définir le "grain de photo" auquel il convient
de s'arrêter (voir "Comment concevoir un
référentiel") ? Outre ces questions de définitions, se posent aussi
des questions pratiques : si tout est simple en principe dans le domaine
conceptuel, en fait tout devient très compliqué dès que le nombre des classes
s'accroît, les liens se multiplient : les "diagrammes de classes"
d'UML illustrent bien cette complexité. Il faut, pour la maîtriser, avoir
l'esprit très clair et une bonne méthode de travail, qualités élémentaires
sans doute, mais peu répandues.
Enfin, et surtout, se présente un obstacle
philosophique. Certaines personnes éprouvent une répugnance profonde
devant la démarche d'abstraction ; elles acceptent évidemment l'abstrait, les
abstractions institutionnels et figées au milieu desquelles nous vivons
(frontières de l'organisation, règles juridiques etc.), mais elles ne
supportent pas que l'on produise de l'abstrait neuf, de nouvelles abstractions.
Elles sont comme ces gens qui aiment les vielles maisons mais ne supportent pas
la vue d'un chantier. Il y a, derrière cette répugnance qui bloque ou retarde
souvent l'élaboration du SI, une option métaphysique qui concerne la façon
dont on doit se représenter le monde réel (voir "Complexité
et complication").
Étapes de la modélisation
Supposons que nous ayons pu surmonter les divers
obstacles qui s'opposent à la modélisation, et que nous nous soyons engagés
dans cette démarche. On voit alors qu'elle comporte deux étapes : l'une
concerne la modélisation du système d'information lui-même, que l'on appelle
"urbanisme" (en effet cela ressemble à la modélisation d'une ville),
l'autre concerne la modélisation d'un processus en vue de la réalisation du
produit informatique qui l'équipera : elle recouvre les trois moments de la
"spécification" ("modèle métier", "modèle
d'analyse" et "modèle technique"). Pour poursuivre l'analogie
amorcée avec l'urbanisme, on peut comparer la modélisation d'un processus aux
plans que doit dessiner un architecte pour préparer la construction d'un
immeuble.
Urbanisme
Le plan
d'urbanisme part de l'entreprise considérée dans son ensemble, la découpe
en domaines de production de valeur qui reproduisent souvent, mais pas toujours,
le découpage de l'organigramme en grandes directions ; puis il identifie les
divers processus de production : la plupart de ces processus sont intérieurs
chacun à un domaine, mais certains parcourent divers domaines (on les appelle
"processus transverses", et ce sont ceux dont la modélisation est la
plus difficile en raison du partage de responsabilité qu'ils impliquent) ;
enfin, le plan d'urbanisme décrit sommairement les activités (étapes du
processus, exécutées chacune par un acteur bien défini) qui se succèdent à
l'intérieur de chaque processus. Il identifie enfin les principaux échanges de
données entre les divers processus, ainsi que les liens logiques qui relient
chaque processus au référentiel de
l'entreprise.
Modélisation d'un processus
La modélisation d'un processus
(ou "spécification") reprend et détaille la description des
activités esquissée dans le plan d'urbanisme. A chaque activité est associée
la liste des dossiers que l'acteur doit utiliser (dossier "client",
"commande", "produit", etc.) ; dans le langage UML ("Unified
Modeling Language", qui permet de construire les spécifications d'une
programmation en objets), on dit que chaque dossier est un "composant"
en désignant ainsi soit une "classe" du modèle objet, soit un
ensemble de classes autour d'une classe maître.
Chaque composant est caractérisé par un format
spécifique ; celui-ci comporte d'abord un identifiant, puis une liste de
variables observées sur l'être réel que le composant représente
("attributs"), enfin des traitements à réaliser sur ces
attributs ("méthodes") : ces traitements concrétisent par exemple
l'application des règles de vérification lors de la saisie, ou bien
l'élaboration d'attributs obtenus par calcul (cumuls, agrégats, âge calculé
par différence entre la date de naissance et la date du jour, etc.)
Enfin les données qui représentent les valeurs
prises par les divers attributs sont stockées dans des bases de données, selon
des architectures et des formats que le modèle devra préciser.
La modélisation du processus procède selon
plusieurs étapes qu'il faut distinguer (voir "Modélisation
du processus").
|