Le mot « protocole » avait été
créé par Tom Marrill en 1965. La conception des réseaux d’ordinateurs demandera
la mise au point de plusieurs protocoles nouveaux. BBN (voir
Le premier réseau d'ordinateurs) mit au point un
protocole de supervision (remote control) comportant des outils de diagnostic et de
débogage à distance, ainsi que le protocole de routage dynamique qui permettra
aux paquets de contourner les nœuds et les liens saturés.
Dès l’été de 1968, un
groupe d’étudiants des quatre premiers sites prévus commença à se réunir pour préparer la
mise en réseau des ordinateurs. Steve Crocker, de l’UCLA, fut volontaire pour
rédiger les comptes rendus. Il publia le 7 avril 1969 une « Request for Comments »
(RFC). Cette formule modeste sera conservée par la suite : lorsque les
utilisateurs du réseau s’organiseront en un « Network Working Group » (NWG), les
RFC resteront le support privilégié de la documentation et de la mise en forme
des protocoles.
Le NWG décida de définir des
protocoles qui traiteraient chacun un problème limité et qui seraient articulés
entre eux : c’était le début du « modèle en couches », innovation majeure
en modélisation. Il définit ainsi à la fin de 1969 le protocole Telnet, qui
concernait les mécanismes de base de la
communication entre deux ordinateurs (connexion et choix
des caractères). A l’été 1971, après beaucoup de discussions et de RFC, sortit
le « Network Control Protocol » (NCP), protocole de communication sur un réseau
d'ordinateurs.
Mais le NCP, qui ne concernait
que l’Arpanet, ne permettait pas de faire communiquer entre eux des réseaux
différents. Or des projets de réseaux émergeaient en Grande-Bretagne et en
France, animés respectivement par Donald Davies et Louis Pouzin. Comment
construire un « réseau de réseaux » ? Par ailleurs les réseaux qui utilisaient le satellite,
la radio ou, comme l’Arpanet, des lignes téléphoniques, devaient obéir chacun à
des contraintes différentes. Il en résultait des choix différents en ce qui
concerne la taille maximale des paquets et la vitesse de transmission, ainsi que des niveaux de fiabilité différents.
TCP/IP
Il fallait donc définir le protocole
qui permettrait de faire communiquer des ordinateurs connectés à des réseaux
différents. Vint Cerf et Bob Kahn publièrent en mai 1974 un article où ils
proposaient de découper les messages en « datagrammes » transmis
indépendamment, chacun selon son propre itinéraire, la responsabilité du
reclassement des datagrammes dans le bon ordre incombant à l’ordinateur destinataire.
Dans le même article ils avaient introduit la notion de passerelle (« gateway ») :
une passerelle ne lirait que l’enveloppe du datagramme, seul l’ordinateur
destinataire lirait son contenu ; de plus, la passerelle apparaîtrait pour
chaque réseau comme un ordinateur connecté à ce réseau, assurant si nécessaire
la transformation du format du datagramme. Cerf et Kahn appelèrent ce protocole « Transmission-Control
Protocol », ou TCP. Voici un graphique qui transcrit un de leurs schémas :
Au début de 1978, il parut
nécessaire de séparer de TCP la partie consacrée au routage des datagrammes, que
l’on nommerait IP (« Internet Protocol »). Désormais TCP ne traiterait que ce
que font les ordinateurs émetteur et récepteur (découpage du message en
datagrammes, mise en ordre des datagrammes à la réception et reconstitution du
message, détection des erreurs, réexpédition des datagrammes perdus). La
séparation des deux protocoles permit de construire des passerelles rapides et
relativement peu coûteuses, consacrées exclusivement au routage des datagrammes
selon le protocole IP. En 1978, TCP devint officiellement
TCP/IP.
Arpanet abandonnera NCP pour
adopter TCP/IP le 1er janvier 1983. Mais en 1988 l’ISO
(« International Standard Organization ») publia le modèle OSI (« Open Systems
Interconnection »), qui avait été longuement attendu par les constructeurs
informatiques et les opérateurs télécoms et qui avait leur préférence.
Une bataille s’engagea. Les
partisans du modèle OSI considéraient TCP/IP comme un bricolage d'universitaires peu conscients des contraintes de l’économie et de
l’industrie. Les partisans de TCP/IP considéraient le modèle OSI comme un
produit bureaucratique élaboré à coup de compromis par un comité. Mais TCP/IP
fonctionnait et, s’étant forgé dans la pratique, avait incorporé une riche
expérience, alors que le modèle OSI n’existait que sur le papier (voir Protocoles et
paradigmes).
Un facteur décisif pour le
succès de TCP/IP fut son adoption par Sun, créé en 1982 pour commercialiser des
stations de travail Unix. Les stations Sun étaient équipées d’une version
d’Unix qui incluait gratuitement TCP/IP, ce qui réduisait le coût de leur mise en
réseau. Ethernet fut un autre facteur
de succès.
Ethernet
Bob Metcalfe avait, lorsqu’il
était étudiant à Harvard, préparé une thèse sur la commutation de paquets en
s'appuyant sur l'exemple de l'Arpanet. Harvard avait jugé ce travail trop peu théorique. Metcalfe fut néanmoins embauché par le
PARC de Xerox.
En 1972, il découvrit
le
papier écrit par Abramson pour décrire le réseau
Alohanet mis en place à
Hawaï grâce à un financement de l'ARPA. Le protocole Aloha était fondé sur une idée
originale : au lieu d’être routés d’un ordinateur à l’autre, les paquets étaient
émis par radio ; chaque ordinateur recevant tous les paquets, il lui
incombait de trier ceux qui lui étaient destinés. Cela permettait de faire
communiquer des ordinateurs situés sur des îles différentes de l'archipel
d'Hawaï.
Metcalfe se fit envoyer à Hawaï
par Xerox pour étudier le fonctionnement d’Aloha. Il en améliora la
modélisation mathématique, fondée sur le calcul des probabilités. Cela lui
permit d’introduire dans sa thèse assez de théorie pour qu’elle soit acceptée
par Harvard.
Le PARC avait mis au point
l’Alto, machine qui préfigurait l’ergonomie des futurs ordinateurs personnels,
et souhaitait mettre des Altos en réseau. Ce travail fut confié à Metcalfe.
Équiper chaque Alto d’un IMP aurait été d’un coût prohibitif. Metcalfe mit au
point une version améliorée d'Aloha : en faisant passer le signal par un
câble et non par l’espace hertzien, il accroîtrait le débit du réseau ; en
introduisant la détection des collisions, il améliorerait le rendement du
protocole.
Le premier réseau Ethernet fut
ainsi mis en place en 1973 au PARC. Ses spécifications ne seront rendues publiques
que le 30 septembre 1980 et la norme IEEE 802.3 ne sortira qu'en 1983. Les réseaux
locaux (ou LAN pour Local Area Network) se répandront dans les
entreprises en 1989 avec le lancement d’Ethernet 10BaseT, qui permet de faire
transporter le signal par une paire torsadée semblable à celle du réseau téléphonique
de l'établissement.
Complémentarité entre
Ethernet et TCP/IP
Dès lors les réseaux
d’ordinateurs vont s’appuyer à la fois sur TCP/IP et sur Ethernet. Ethernet sert
à la communication entre les ordinateurs connectés à un même réseau local ; TCP/IP assure la communication à
distance.
Ethernet est analogue à une
conversation dans une salle où chacun prend la parole quand il a quelque chose à
dire, s'interrompant en cas de collision
avec un autre intervenant ; TCP/IP est (en plus rapide) semblable à l’envoi d’un
texte, via la poste, par morceaux successifs qu’il faut classer à
l’arrivée. Physiquement, le support de l’Ethernet peut être divers : paire
de fils torsadée, câble coaxial, fibre optique, espace hertzien des réseaux WiFi
ou câblage électrique de l’immeuble. L’Internet, lui, est composé d’un ensemble
de routeurs et de liaisons louées aux opérateurs télécoms. Un réseau Ethernet
est relié à l’Internet par une passerelle et une liaison louée.
Ainsi, sous réserve des droits
d’accès, n’importe quel ordinateur d’un établissement peut communiquer avec un
autre ordinateur d’un autre établissement, la communication empruntant des
passerelles entre les réseaux Ethernet et TCP/IP.
L’utilisateur individuel passe, lui, par le modem et la ligne téléphonique pour
se relier à un fournisseur d’accès (IAP, Internet Access Provider),
lui-même relié au réseau TCP/IP par une liaison louée.
Pour des raisons de sécurité
certaines entreprises cloisonnent physiquement leur réseau : elles
utilisent des réseaux privés virtuels fortement protégés (RPV ou VPN pour
Virtual Private Network) selon des architectures conçues par les opérateurs
télécoms. Sur ces réseaux peuvent entrer en jeu d'autres protocoles que TCP/IP
(X25, Frame Relay, ATM etc.). Ces entreprises définissent aussi un Intranet
fournissant à l'intérieur de l'entreprise des services analogues à ceux que
l'on trouve sur l'Internet (messagerie, documentation électronique, moteur de
recherche etc.) Alors le schéma se diversifie et s'enrichit, mais
l'articulation entre le protocole du réseau local et celui (ou ceux) du réseau
de transport reste la règle.
Les premières applications
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