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Vers l’Internet

31 août 2004


Liens utiles

- Origines de l'Internet
- e-conomie
- Weaving the Web

- La fonction de coût de l'Internet

The Internetting Project

Pour construire l’Arpanet, la solution évidente avait consisté à louer des lignes téléphoniques à AT&T. Mais l’ARPA chercha à diversifier les modes de transmission. En 1969, Bob Taylor avait accordé un budget à l’Alohanet, le réseau créé par Norm Abramson à l’université d’Hawaï, et qui utilisait la transmission hertzienne[1]. Une version radio de l’Arpanet fut déployée après 1972.

Si l’on voulait utiliser la radio pour transmettre des paquets de données entre des sites éloignés, en particulier des sites mobiles comme les bateaux ou les chars de combat, la meilleure solution serait de passer par les satellites de communication. Il en résulta la mise au point du réseau Satnet. Une concurrence à rebondissements s’engagea entre satellite et câble dans le domaine des communications intercontinentales : d’abord victorieux, le satellite dut reculer lorsque les lignes en cuivre furent remplacées par la fibre optique qui offrait un débit et une fiabilité élevés pour un coût d’exploitation faible, puis il regagna du terrain en augmentant son débit, pour le reperdre ensuite etc.

Chaque réseau de transport – lignes téléphoniques, radio, satellite – doit obéir à des contraintes physiques qui lui sont propres. Il en résultait des spécifications différentes de la taille des paquets, des délais de retransmission en cas d’échec etc. Il fallait qu’une communication pût emprunter ces divers réseaux sans que les ordinateurs qui voulaient communiquer n’aient à se soucier de ces complications. En 1973, l’ARPA créa à cette fin un Internetting Project.

La diversification des réseaux n’était pas seulement technique, mais aussi géographique. En France, Louis Pouzin avait créé Cyclades pour relier les universités. Donald Davies avait lancé un réseau de commutation de paquets en Grande-Bretagne. Un International Network Working Group (INWG) fut donc créé en 1972 pour organiser l’interconnexion des divers réseaux à travers le projet Concatenated Network, ou Catenet.

Il fallait remplacer le Network Control Protocol de l’Arpanet par un protocole qui permettrait de communiquer à travers plusieurs réseaux différents. L’article de Vint Cerf et Bob Kahn de mai 1974 définit le Transmission Control Protocol (TCP, qui deviendra ensuit TCP/IP)[2]. Chaque réseau pourrait être exploité indépendamment, selon son propre protocole et par ses propres opérateurs ; des passerelles (gateways) prendraient en charge la communication entre réseaux différents et garantiraient la continuité de la communication d’un bout à l’autre. L’astuce était de faire assurer la fiabilité de la communication par les ordinateurs émetteur et destinataire, le rôle du réseau étant seulement de transporter les datagrammes.

Bouleversements institutionnels

A la fin des années 60, la guerre du Vietnam avait suscité entre l’armée américaine et la société civile des tensions qui se manifestaient vivement dans les universités. On soupçonnait l’armée d’utiliser l’Arpanet pour collecter des informations et ficher les opposants, ou encore pour des recherches sur l’utilisation stratégique de l'arme nucléaire. Par ailleurs l’exploitation du réseau se compliquait en raison de sa croissance. L’armée se désengagera donc progressivement de l’Arpanet, le laissant évoluer vers l’Internet selon un processus qui comportera quelques épisodes paradoxaux.

Il fallait trouver un sous-traitant pour assurer l’exploitation quotidienne du réseau mais, avant de lâcher la main, l’armée voulut s’assurer qu’elle ne perdait pas tout contrôle sur une structure qui pourrait avoir un intérêt stratégique. La responsabilité du réseau quitta donc la DARPA en 1975 pour passer à la DCA, Defense Communications Agency, organisme purement militaire et qui, de surcroît, partageait le scepticisme d’AT&T envers la commutation de paquets. Une bureaucratie de généraux et de colonels s’installa, prescrivant en détail et par écrit ce qu’il fallait faire et comment le faire.

Il était naturel de passer à BBN le contrat relatif à l’exploitation du réseau mais BBN était entrée en conflit avec la DARPA en refusant de communiquer le code source de l’IMP. Cela gênait beaucoup ceux qui devaient corriger les dysfonctionnements du réseau. Ce code ayant été financé par le budget fédéral, la revendication de BBN parut excessive. La DARPA menaça de couper tous les contrats de BBN. BBN accepta de fournir pour une rémunération symbolique le code source à qui en voudrait ; la DCA lui confia alors l’exploitation opérationnelle du réseau.

En 1975, les spécifications techniques de TCP/IP sont disponibles ; Vint Cerf arrive à la DARPA en 1976 pour prendre la responsabilité de l’interconnexion des réseaux Arpanet, Satnet et radio, projet nommé ARPA Internet. En octobre 1977 cette interconnexion fonctionnait.

Naissance de l’Internet

La NSF (National Science Foundation), créée en 1950 pour promouvoir le progrès scientifique en finançant la recherche fondamentale et la formation, avait dès 1974 compris l’intérêt d’un réseau pour l’accomplissement de sa mission. Mais pour disposer d’un site Arpanet une université devait avoir un contrat avec la DARPA, sur des projets de recherche financés par la Défense. Un site Arpanet coûtait plus de 100 000 $ par an notamment à cause du coût des liaisons louées. En 1979, 120 Computer Science Departments étaient en place dans les universités américaines mais celles-ci n’exploitaient que 15 des 61 sites Arpanet. L’université risquait de se scinder en deux, une cloison se créant entre celles qui étaient connectés et celles qui ne l’étaient pas.

Larry Landweber, de l’université du Winsconsin, proposa  de créer un réseau ouvert à la recherche, l’université et l’industrie en louant des liens à Telenet. Cette filiale de BBN exploitait un réseau de commutation de paquets plus lent que l’Arpanet mais moins coûteux. En 1980, la NSF accepta de financer pour cinq ans un Computer Science Research Network (CSNET). En 1986, pratiquement tous les départements d’informatique des universités et beaucoup de centres de recherche privés étaient connectés au CSNET et le coût de son exploitation était équilibré par les redevances de ses utilisateurs.

A l’exemple du CSNET, d’autres réseaux se mirent en place dans les années 80  :
- BITNET (Because It’s Time Network) entre les systèmes IBM,
- UUCP (Unix-to-Unix Copy Program) aux Bell Labs,
- SPAN (Space Plasma Analysis Network) à la NASA,
- ainsi que divers réseaux universitaires en Europe et au Canada.

Ces réseaux communiquaient en utilisant TCP/IP. On utilisa alors le terme « Internet » pour désigner l'interconnexion mondiale des réseaux TCP/IP. L’industrie des routeurs prit son essor.

En 1985, la NSF accepta de construire entre cinq ordinateurs répartis sur le territoire américain le backbone NSFNET, réseau à haut débit auquel les réseaux régionaux des universités pourraient se connecter (il est économiquement efficace d'organiser un réseau en plusieurs niveaux, le niveau fédérateur fournissant le débit le plus élevé : un backbone permettait donc de diminuer le coût du réseau). Sa disponibilité suscita la création de plusieurs réseaux régionaux : NYSERNET à New York, CERFnet en Californie etc. La NSF finançait les premières années d’exploitation d’un réseau universitaire, après quoi chaque université devrait payer 20 000 à 50 000 $ par an pour une connexion à haut débit.

Il fallait identifier les ordinateurs connectés à l’Internet. Le Domain Name System (DNS), défini en novembre 1983, proposa une structure hiérarchique. Sous la pression de la DARPA ce système fut adopté par l’ensemble des acteurs en janvier 1986, les sept domaines de haut niveau étant edu, com, gov, mil, net, org et int.

En 1989, l’Internet démarre au plan économique[3]. TCP/IP s’impose dans le monde entier. L’Internet n’est plus une constellation d’ordinateurs centrée sur l’Arpanet, mais un ensemble de réseaux connectés à l’épine dorsale du NSFNET, vingt-cinq fois plus rapide que l’Arpanet et beaucoup plus commode. L’Arpanet n’était plus désormais que l’un des réseaux Internet de la DARPA. Il ne restait qu’à débrancher l’un après l’autre les IMP pour faire basculer chacun des ordinateurs connectés à l’Arpanet vers un des réseaux régionaux de l’Internet. A la fin de 1989 c’était chose faite, non sans quelque nostalgie.

En 1991 naissait le Web (voir Tim Berners-Lee, Weaving the Web, Harper Business 2000). En 1993 apparaissait Mosaic, le premier navigateur. L'Internet était ainsi doté des facilités ergonomiques qui avaient fait défaut à l'Arpanet.

En 1995, l’administration américaine interrompit le financement du backbone de l’Internet : l’Internet devenait une affaire purement commerciale, rémunérée par le paiement des utilisateurs aux IAP (Internet Access Providers) qui eux même paient leur raccordement, ce qui finance de proche en proche une architecture à base de liaisons louées, routeurs et backbones.

L’évaluation économique prouve alors que l’Internet est viable grâce à la simplicité de l’architecture que permet le protocole TCP/IP et à la baisse tendancielle du coût des équipements électroniques[4]. Cette baisse facilite par ailleurs l'accès à l'Internet d'une population d'utilisateurs qui s'élargira, bien au delà du cercle des spécialistes de l'informatique, universitaires et chercheurs, pour inclure potentiellement l'ensemble de la population et lui fournir des services multimédia.

De même qu'un cintre sert à construire une voûte qui, une fois posée, tiendra toute seule, l'Arpanet a servi à construire un être nouveau, techniquement efficace et économiquement viable. Les projets de Licklider, utopiques au début des années 60, étaient devenus réalisables. Les institutions, sceptiques dans un premier temps, se rallieront l'une après l'autre à ce nouveau média - mais elles devront s'y adapter.

FIN


[2] V. G. Cerf and R. E. Kahn, "A protocol for Packet Network Intercommunication" IEEE Trans. Comm. Tech., vol. COM-22, V 5, pp. 627-641, mai 1974 ; voir TCP/IP et Ethernet.

[3] « We started looking at the network statistics and realized we had a rocket on our hands » (Vint Cerf, cité dans Katie Hafner et Matthew Lyon, Where Wizards Stay Up Late, Touchstone 1998 p. 254).

[4] Christophe Talière et Michel Volle, Modélisation technico-économique du réseau Internet, étude Eutelis, mars 1996.