| (Chronique pour le numéro d’avril-mai 2007 
de 01-DSI)  Les tâches de l’informatique étaient 
relativement simples lorsqu’il s’agissait de produire des états périodiques 
(paie, comptabilité etc.). Elles sont devenues difficiles depuis qu’on a, pour 
outiller les processus, articulé le travail humain à l’automate : cela a fait de 
l’informatique un des acteurs de la production et de la relation multimédia avec 
les clients, fournisseurs et partenaires.  L’activité productive s’est alors associée à 
une opération documentaire qui la prépare, l’assiste et la contrôle ; 
l’entreprise s’est entourée d’une « doublure informationnelle ». A tout être de 
l’organisation, à toute opération, à tout produit, le SI associe une 
représentation soumise à des traitements automatiques et que l’être humain 
construit, consulte, enrichit, modifie, commente, partage.  A l’alliage « humain – automate » s’associe, 
dans le produit, l’alliage « bien – service » : le client qui achète un bien 
physique achète aussi le conseil d’un vendeur, des alertes, une garantie, un 
entretien périodique, une assurance etc. Il en résulte un type nouveau 
d’entreprise : nous le qualifierons de « quaternaire » (Michèle Debonneuil, 
L'espoir économique, Bourin 2007 ; voir 
L'émergence d'un alliage). 
*     * L’évolution que cela implique pour 
l’organisation, les produits, les relations avec les clients, fournisseurs et 
partenaires pose des problèmes institutionnels et intellectuels auxquels seule 
peut répondre cette pratique de l’abstraction qui est familière aux 
informaticiens mais que l’entreprise comprend mal et juge rarement légitime.
 Elle entraîne aussi une croissance du volume 
des bases de données, du dimensionnement des réseaux, des performances exigées. 
L’architecture a dû assimiler des solutions complexes alors même que la 
diffusion des micro-ordinateurs et du Web répandait dans la population (et les 
comités de direction) la conviction fallacieuse que l’informatique, au fond, 
c’est tout simple.  Le DSI d’une grosse PME m’a dit : « j’ai mis 
en place un référentiel et tout est devenu simple » (voir  
Construction
d'un référentiel). C’est que la plupart des 
difficultés proviennent d’identifiants mal définis, de codages désordonnés, de 
tenues à jour déficientes ; puis on demande à l’architecture informatique de 
compenser le bruit sémantique, tâche onéreuse et en toute rigueur impossible. 
La plupart des échecs des SI sont causés par les défauts de la sémantique 
(voir 
 
Pour un "génie 
sémantique" et Responsabilité de la 
maîtrise d'ouvrage). Mais à un DSI qui évoquait le besoin d’un 
alignement stratégique du SI, son DG répondit « ce qui importe, c’est que 
l’informatique fonctionne vite et ne coûte pas cher ». C’est ce que pensent ceux 
qui aiment à dire « il n’y a qu’à » (tout outsourcer, tout faire programmer en 
Inde, installer un ERP et/ou un EAI, recourir aux Web Services, passer au 
logiciel libre etc.).  
*     * L’entreprise industrielle était propulsée 
par une dialectique entre le commercial et la production, dont le DG arbitrait 
les conflits. Dans l’entreprise quaternaire la dialectique principale est celle 
qui associe l’informaticien, maître de la plate-forme technique (conception des 
solutions d’architecture, développement des applications, dimensionnement des 
ressources, fonctionnement quotidien, services), au sémanticien qui 
structure le langage des processus et des métiers (alignement stratégique et 
urbanisation du SI, modélisation des processus, construction du référentiel, 
administration des données, ingénierie des exigences). Il s’agit de deux couches 
distinctes de l’organisation.  Dans les grandes entreprises il convient 
donc de donner un contenu nouveau aux expressions « maître d’œuvre » et « maître 
d’ouvrage », cette dernière devant se professionnaliser et acquérir la pratique 
de l’abstraction pour pouvoir assurer la responsabilité de la sémantique (voir
 
  Méthodes de la maîtrise d'ouvrage).   Cette évolution rencontre les habitudes et 
structures en place : des métiers ne savent pas accueillir les compétences en 
maîtrise d’ouvrage, des DSI craignent de perdre pouvoir et prestige (voir  
La 
tentation du DSI). Si le DG n’a pas les idées claires 
ou manque d’énergie l’entreprise devra se contenter de compromis moyennement 
efficaces en espérant qu’il s’agit de solutions transitoires : certaines DSI ont 
ainsi monté en leur sein un service de maîtrise d’ouvrage alors que la place de 
celle-ci est dans les métiers ; d’autres, ayant « outsourcé » toute 
l’informatique (solution périlleuse), sont devenues ipso facto des 
maîtrises d’ouvrage sans que cela ne soit dit.  Ces compromis rendent souvent la vie 
impossible aux DSI. Il est facile pour un DG d’exiger que tel de ses 
collaborateurs soit à la fois un saint, un héros et un génie, mais c’est peu 
réaliste. Heureusement, l’institution « entreprise » est continuellement 
renouvelée par décès et naissances. Cela lui procure une évolutivité que n’ont 
pas d’autres institutions (l’éducation nationale, par exemple). Tous les espoirs 
sont donc permis, mais à terme.  |